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Chapitre 6 Gérer la vidange, activité à risques

6.2 Pathologies de la vidange

6.2.2 La respiration plombée

Principale cause de décès des ouvriers de la vidange, l’asphyxie ou mort par suffocation, en général brutale et spectaculaire, est un sujet qui concerne également les noyés, mais aussi les mineurs charbonniers, cureurs de puits, brasseurs, fossoyeurs

et terrassiers qui s’exposent par leur activité aux exhalaisons suffocantes572. Dans le

domaine de la vidange, ce péril mortel d’apoplexie est bien connu dès la fin du XVIIIe s. des médecins qui le nomment

asphyxie des vidangeurs, connue sous le nom singulier de plomb, dénomination qu’on donne également aux gaz impropres à la respiration, qui produisent les accidents asphyxiques573.

Cette perte de connaissance, le plus souvent foudroyante et brutale, a conduit les praticiens à nommer plomb ces accidents de vidange, en référence au métal plomb et sa forte densité, mais sans doute aussi en raison de la force de l’impact des balles au plomb. Elément chimique présent dans les déjections sous forme de protéines et sulfates, le soufre est souvent à l’origine d’accidents.

Conjointement à la production de méthane précédemment évoquée, le biogaz contient également des traces d’hydrogène sulfuré (H2S) ou acide hydrosulfurique

hydraté (H2SO4), et de sulfate d’ammoniaque ((NH4)2SO4), en général hydraté

(H8N2O4S), gaz asphyxiants cause première de mortalité des vidangeurs.

566 Histoire de l'Académie royale des sciences, 1762, p. 26.

567 Très impliqué dans la question des vidanges de la ville de Lyon, Janin de la Combe-Blanche fait

l’objet d’un développement ultérieur.

568 L.C.P. AUBIN, Eléments de pathologie externe, t. 1, 1803, p.6 569 Salvatore FURNARI, Traité pratique des maladies des yeux…, 1841,

570 Florent CUNIER, Recherches statistiques sur la nature et les causes des maladies oculaires observées

en Belgique…, A. Van der Cruysse, Bruxelles, 1847, 332 pp.

571 Louis Auguste DESMARRES, Traité théorique et pratique des maladies des yeux, 2nde éd., Paris 1855,

vol. 2 pp. 73-74

572 E. Cyprien Alphonse DESPLAS, Essai sur les asphyxies des égouts et des fosses d'aisance ; tribut

académique, 1834, 27 p.

573 LEROY, CORNETTE, BERTHOLLET, TEISSIER et LAVOISIER, Rapport sur des Pompes Anti-méphitiques,

Particulièrement pernicieux, le sulfure d’hydrogène se caractérise à de faibles dilutions par une odeur qui permet de le déceler et donc de quitter la fosse, mais il devient inodore et mortel aux fortes concentrations. Au niveau sémantique, cette affection, d’après Eugène Belgrand, a été ainsi désignée par les vidangeurs

à cause de la gêne de la respiration qui fait éprouver une sensation comparable à celle que produirait l’application sur la poitrine d’une charge lourde comme du plomb574.

Au niveau des symptômes, sans lien avec l’analyse de Morand en 1749, une graduation physique des affections au plomb est établie en 1785 par une commission de l‘Académie des Sciences constituée par Jean-Noël Hallé, le Duc de la Rochefoucaud, Macquer, l'Abbé Tessier, et de Fourcroy. Les experts distinguent cinq espèces

principales de plomb, reconnaissables par leurs effets. La description du premier

type de plomb se caractérise par l’état de stupeur qui frappe

l'ouvrier [qui] s'endort doucement tout en travaillant et tombe asphyxié. Cette asphyxie est de toutes la moins facile à détruire. Le malade n'a point de convulsions, revient à lui en faisant de grandes et de fortes inspirations, mais sans douleur. Il perd la mémoire de tout ce qui s'est passé avant son asphyxie575. En revanche, pour les quatre autres types, systématiquement associés à des spasmes, la perte de mémoire n’est semble-t-il jamais observée. Pour le plomb de type 2, le

malade rit ou chante, ou fait entendre des sons modulés, déraisonne, jase beaucoup et tombe asphyxié. Plus spectaculaire, dans le type 3, l'ouvrier se sent saisi, se fait

retirer, parle, est pris subitement d'un mouvement convulsif, danse comme un fou et tombe asphyxié. Enfin, le vidangeur victime du type 4 ressent une suffocation subite

et une douleur dans l'estomac et dans les jointures des bras.

Dans le type 5, ce sont des mouvements saccadés de l'estomac et du ventre qui s'élèvent et s'abaissent à la manière d’un soufflet à deux âmes, avec des convulsions

dans la mâchoire. Susceptible de frapper le vidangeur sans prévenir, le risque de

plomb est à craindre jusqu’à l’achèvement de l’opération de vidange, avec en particulier, conséquence de l’abaissement de la ligne d’eau dans la fosse, de possibles introductions de liquides par la paroi fuyarde

en effet, en raison de son état liquide, la vanne pénètre souvent à travers les parois des fosses d'aisance, s'insinue dans les terres voisines, va infecter les puits et les caves, et reflue dans le sac des latrines lorsqu'il a été vidé576.

Ce risque pernicieux donne matière à deux thèses de médecine, en 1834577 et en

1853, et Paulet confirme l’attention qu’il convient de porter à ce phénomène de reflux par les parois de la fosse

574 Eugène BELGRAND, Les Travaux souterrains de Paris, les Égouts, 3ème partie - Les Vidanges, Paris,

Ed. Dunod, 5 vol. p.16.

575 Jean-Noël HALLE, Recherches sur la nature et les effets du méphitisme des fosses d'aisance…, 1785,

p. 4 et suiv.

576 Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Vol. 36, Ed. Pellet,

quand on effectuait l'extraction des matières, les liquides ambiants étaient résorbés par la fosse vide, et l'ouvrier vidangeur courait le risque d'être asphyxié. Cette affluence des liquides s'appelait poussée de la vanne, nom qui s'est conservé parmi les ouvriers578.

Mais dans les affections au plomb qui frappe les ouvriers vidangeurs, l’importance de l’H2S doit être modulée par un autre gaz, également mortel, mais dans d’autres

conditions. Le dioxyde de carbone (CO2), en l’absence d’oxygène (O2), peut causer

des accidents mortels, illustrés par divers exemples un peu plus loin

l’hydrogène sulfuré existe rarement dans une fosse en quantité suffisante pour donner la mort…, les accidents, quand il s’en produit, sont surtout causés par le gaz acide carbonique qui s’y dégage, surtout après de copieuses désinfections contenant un excès d’acide…. Ce gaz est d'autant plus perfide, qu'étant plus lourd que l'air, il reste au fond des fosses, de sorte que c'est en se baissant que les ouvriers en ressentent les atteintes579.

Croyant neutraliser les miasmes de la fosse, le vidangeur produit ainsi lui-même l’atmosphère fatale. Illustration du risque de plomb, un curieux accident mortel survient à Toulouse le 19 juillet 1779 lorsque, à la demande d’un marchand épicier de Toulouse qui y avait laissé tomber deux écus de six francs, et seulement trois mois après avoir été vidangée, une fosse d’aisances est curée par un vidangeur qui meurt

de plomb, asphyxié par du dioxyde de carbone580.

Figure 120 – mémoire sur un cas d’asphyxie d’un vidangeur à Toulouse (1779)

577 E-Cyprien-Alphonse DESPLAS, essai sur les asphyxiés des égouts et des fosses d’aisances, thèse de

médecine, 9 janvier 1834

578 Maxime PAULET, L'engrais humain, Paris, 1853, p.67.

579 J. H. TOUCHET, guide pratique de la vidange, Ed. Lacroix, Paris, 1864, p. 41 et suiv.

580 M. de PUYMAURIN, Accident arrivé à deux maçons dans une fosse d’aisance en 1779, Histoire et

Autre exemple déjà mentionné analysé par Morand et caractérisé par sa gravité, un accident survient à Narbonne en 1779 avec huit morts dont trois ouvriers et cinq

sauveteurs581. L’effondrement du mur mitoyen d’une fosse vicieuse lors de travaux de

maçonnerie pour réaliser une nouvelle fosse d’aisances en remplacement, est à l’origine de ce sinistre.

En 1788 à Noyon, cité picarde du couronnement de Charlemagne, du sacre de Hugues Capet et ville de naissance du réformateur Jean Calvin, Catherine Vassent, une jeune

fille du peuple, se distingue après avoir sauvé seule quatre hommes terrassés par le

plomb lors d’une vidange dans la maison d'un perruquier.

Récompensée dans une proportion jamais égalée pour cet acte de courage, l’héroïne est présentée au Roi, comblée d'honneurs par le clergé, les nobles, et distinguée

d’une couronne civique et d’un prix de vertu de l'Académie française582.

Figure 121 – sauvetage de vidangeurs à Noyon583 (1788)

Si l’on ne peut établir la longue liste des accidents de cette activité (le Tableau 4 en présente une sélection entre 1711 et 1834), la presse parisienne rapporte en 1892 l’asphyxie de quatre ouvriers sur une fosse mobile.

581 Baron d’Escale et Directeur des Fermes du Roi à Narbonne, Marcorelle est Membre de l'Académie

Royale des Sciences & Belles Lettres de Toulouse, et Correspondant de l'Académie Royale des Sciences de Paris et de la Société Royale de Médecine.

582 PAGEL, Mémoire sur Catherine Vassent, Comité archéologique et historique de Noyon, compte-rendu

et mémoires lus aux séances, t. 14, 1898, p. 1-40.

583 Gazette de France du 22 avril 1788 ; Trait extraordinaire de courage de bienfaisance et d'humanité

L’intervention d’un caporal des pompiers permet de remonter vivants trois ouvriers, le dernier étant décédé584.

année ville auteur commentaires

1711 Paris anonyme explosion d’une fosse, aucun mort585

1749 Lyon Morand explosion d’une fosse, 1 mort

1779 Narbonne Marcorelle asphyxie, 8 morts586

1779 Lille Decroix asphyxie, aucun mort587

1779 Toulouse de Puymaurin asphyxie, 2 morts588

1788 Noyon anonyme asphyxie, aucun mort

1834 Paris Julliard asphyxie, aucun mort589

Tableau 4 – accidentologie des asphyxies de vidangeurs (1711-1834)

La nocivité des gaz produits par les déjections humaines ne touche pas seulement les vidangeurs de fosses, mais également les riverains590, et les égoutiers. Ainsi, à l’ordre

du jour de sa séance du 26 avril 1882, la Société de médecine publique et d'hygiène professionnelle se consacre à la communication d’un médecin militaire, professeur

d'épidémiologie au Val-de-Grâce, sur l'influence pathogénique des gaz d'égouts591.