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Les fosses septiques, outil liquéfacteur (après 1860)

Chapitre 3 Les fosses d’aisances

3.3 Les fosses d’aisances à séparation

3.3.4 Les fosses septiques, outil liquéfacteur (après 1860)

Même si le terme septique n’apparait dans le domaine de la gestion des déjections humaines qu’à la toute fin du XIXe s.327, la vidangeuse automatique et inodore

développée dans les années 1860 par Jean-Louis Mouras de Vesoul est considérée comme le premier dispositif réalisant une forme primitive de traitement biologique des eaux vannes328.

Après diverses expérimentations pour tester son efficacité à l’aide d’un aquarium vitré, l'Abbé Moigno dépose un premier brevet qu’il complète le 28 février 1882329.

Signe de son dynamisme commercial, Moigno vante son système à Lyon, qui devient la première ville sensibilisée. L’élite scientifique nomme rapidement une commission et les experts rendent le 2 juin 1882 leur avis, notant que le dispositif Mouras met en œuvre

une opération mystérieuse, qui révèle un principe tout nouveau, et sans addition d'ingrédients chimiques…, [qui] transforme, dans un temps assez court, toutes les matières qu'elle reçoit en un liquide homogène, à peine trouble, qui ne forme pas de dépôt. Elle se vide elle-même d'une façon automatique, de telle sorte qu'à chaque admission de déjections nouvelles, un volume égal de déjections anciennes élaborées et fluidifiées est rejeté de l'appareil. Le liquide de sortie, presque inodore, peut être reçu dans un tonneau d'arrosage, et déversé sur le sol d'un jardin, on peut, sans inconvénient, le déverser dans les égouts330.

Le jugement est certes positif mais souligne que le processus de liquéfaction n’est pas bien compris. Cette ignorance ne constitue pas un handicap car les plus hautes

autorités sanitaires formulent à leur tour d’élogieuses recommandations 331, et

l’entreprise se développe alors avec succès sur divers segments du marché de la gestion des matières stercoraires.

En particulier, les fosses Mouras se multiplient dans les casernes de l’armée332, mais

également dans les établissements de santé et prisons.

A l’international, de nombreuses références attestent de l’extension géographique du système, notamment en Suisse333, en Grande Bretagne334, en Finlande335, aux Etats

Unis, en Italie…

Il a été médecin inspecteur de l’armée, Professeur agrégé de l’Ecole de Médecine militaire du Val-de- Grâce, Commandeur de la Légion d’honneur, membre de très nombreuses sociétés médicales international, et du Conseil d’Hygiène du Département du Nord.

327 Georges BECHMANN, Salubrité urbaine, distributions d'eau, assainissement, vol. 2, 1899, Ed

Béranger, p. 268

328 Objet du brevet du 22 septembre 1881 complété le 28 février 1882

329 Voir ses articles publiés - Revue Cosmos des 29 décembre 1881,21 janvier et 13 mai 1882

330 Société d'agriculture, histoire naturelle et arts utiles de Lyon. Annales des sciences physiques et

naturelles, d'agriculture et d'industrie, séance du 2 juin 1882.

331 Rapport sur la fosse Mouras de Brouardel, Bergeron et A-J Martin au Comité consultatif d’hygiène

publique, 4 juillet 1887

332 BARILLOT, Les vidangeuses automatiques, système Mouras, Bulletin technique du génie militaire.

Comme le montre la Figure 76, au plan technique et comme pour d’autres systèmes antérieurs, c’est la fermeture hydraulique de la fosse qui permet la liquéfaction de la phase solide des matières organiques en conditions anaérobies.

Figure 76 – vidangeuse Mouras, France et Grande Bretagne (1860 – 1890)

333 Pr O. ROTH, Dr A. BERTSCHINGER, Ueber Fosses Mouras und ähnliche Einrichtungen zur Beseitigung

der Abfallsloffe (des fosses Mouras et des installations analogues pour l’éloignement des matières usées), Correspondenz-Blatt für Schweizer Aertze, 1900, n°23

334 Voir Kinnicut, H. P. and H. P. Eddy, "Experiments at Worcester, Mass. Treating Acid from Sewage in

a Closed Septic Tank, Engineering News, May 29, 1902.Hering, R., Bacterial Process of Sewage Purification, Engineering Magazine, Sept. 1889. Par ailleurs, une communication est faite au congrès annuel de l’année 1884 de l’association des ingénieurs civils britanniques sur la Mouras’Automatic Scavenger et le sujet est toujours d'actualité dans les années 1930 : H.C. WHITEHEAD, F.R. O’SHAUGHNESSY, The Treatment of Sewage Sludge by bacterial digestion, Minutes of the Proceedings of the Instit. of Civil Engineers, Vol 233, 1932, pp. 38-58

335 Helsingin kaupunginvaltuuston painetut asiakirjat, avis du Conseil municipal d’Helsinki n°12, 30

Mais les connaissances biologiques, certes en développement depuis Pasteur, ne permettaient alors pas de comprendre ce phénomène d’hydrolyse naturelle des solides organiques qui s’accompagne d’une décantation.

En 1917, la revue d’une grande et toute jeune association professionnelle entièrement dédiée au génie sanitaire présente son analyse de ce qu’elle nomme

l'appareil de Mouras

qui n'est autre qu'une fosse bien close, [et qui] a été la première fosse septique. Il réalise assez imparfaitement la première phase de l'épuration, la désagrégation et la solubilisation des matières organiques, mais n'épure pas, à proprement parler, et ne saurait satisfaire l'hygiène. Ce sont les mécomptes donnés par cette vidangeuse qui ont jeté pendant longtemps le discrédit sur les fosses septiques complétées d'un lit bactérien, véritable organe d'épuration, aptes à rendre à l'hygiène les plus grands services336.

Très proche de la fosse Mouras, le système du Britannique Roger Field (Figure 76) réalise également une liquéfaction des matières par hydrolyse avant rejet à l’égout, ce qui dispense de toute vidange.

Figure 77 - flush tank ou fosse avec siphon automateur Roger Field (1882)

On peut noter sur cette figure que le branchement à l’égout situé sous la voie publique n’est pas représenté.

D’autres fosses analogues sont commercialisées dans la seconde moitié du XIXe s., comme la tinette Augier, la vidangeuse Tassart-Barbes ou le désagrégageur monocellulaire de Pagliani et Rastelli testé à Turin en 1884. Suite à l’ordonnance du Préfet de Police de la Seine du 1er juin 1910 relative aux appareils de vidange dits

fosses septiques, ne sont autorisés que les systèmes disposant du certificat de vérification prévu.

336 La Technique sanitaire et municipale : hygiène, services techniques, travaux publics : journal de

l'Association générale des ingénieurs, architectes et hygiénistes municipaux de France…, Éditeur Van Lint, janvier 1917, p. 2

Un audit détaillé met en évidence la diversité des inventions, avec en particulier le

transformateur complet de Barbas et Balas et le transformateur-épurateur de Léon Hirsch, dispositifs qui mettent en série fosse anaérobie et lit bactérien337.

Sophistiquée, la fosse Touring-Club de France s’éloigne au début du XXe s. de l’habitation et dispose d’une double ventilation, mais il n’existe pas encore de champ d’épandage ou lit d’infiltration pour réaliser une épuration biologique par le sol :

Figure 78 – fosse septique modèle Touring-Club de France (1904)338

Sur le plan sémantique, un très grand nombre de procédés fait référence au concept de fosse, comme par exemple la fosse Bezault, la fosse à caisse siphoïde Devrez, la fosse Auclair, la fosse Fasny, la fosse Gandillon, la fosse Le Bastard, la fosse Londero, la fosse Monney, la fosse Eureka, ou la fosse Gaultier dite simplex. L’évolution terminologique est analogue dans le monde anglo-saxon, avec en particulier la fosse

de Donald Cameron ou septik tank, brevetée le 3 octobre 1899, ou la fosse Imhoff339.

Comme l’illustre la Figure 79, espèce animale inventive jamais à court d’idées, les êtres humains du XXe s. sont toujours en recherche d’innovations, à l’instar de ces deux prototypes de latrines mécanisées, le modèle de gauche apparaissant peu fonctionnel avec l’absence de toute évacuation :

Figure 79 – prototypes de latrines mobiles340 (fin du XXe s.)

337 R. SOUEGES, Hygiène de l'habitation : Les fosses septiques, Bulletin des sciences pharmacologiques,

1914, p. 470-476 et 510-539

338 Revue mensuelle du Touring-club de France, article fosse septique – appareil de dilution, mai 1906,

p. 217

Will DARVILLE, L'eau à la ville, à la campagne et dans la maison. Hydraulique, fontainerie, plomberie, Paris, Librairie de la Construction Moderne, (vers 1911), p. 517.

339 A BUILDER, Les fosses septiques, Dunod, 1968, 4ème Ed. Paris, 205 pp., préface 340 Crédit personnel