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Chapitre 3 Les fosses d’aisances

3.3 Les fosses d’aisances à séparation

3.3.2 Les fosses mobiles à séparation de phases

L’année 1786 est riche d’innovations en matière de fosses d’aisances car peu après la

publication par Giraud de ses nécessités306, Mathieu-Luc Géraud, docteur-régent de la

Faculté de médecine de Paris, propose un modèle de fosse mobile avec séparation de phases. Comme le montre la Figure 70, le dispositif consiste en un grand tonneau à fonds incliné partagé en deux cavités communiquant par un tuyau fermé par un robinet à une tinette portative. La cavité supérieure, qui occupe à peu près les neuf- dixièmes du tonneau, est destinée à conserver seulement les parties solides, la cavité inférieure recevant les liquides, la vidange s’effectuant après ouverture du robinet et remplissage de la tinette portative. Point particulier, Géraud propose d’envoyer les liquides en voirie et de produire un combustible en asséchant les matières par de la terre ou du charbon de bois307

Figure 70 - fosses mobiles et inodores du Docteur Géraud308 (1786)

En dépit de la publicité faite sur ce système mobile à séparation, aucune application ne semble avoir été réalisée pendant près de 20 ans. Mais le concept revient à la mode en 1818 à Paris avec l’invention de Jean-Marie Cazeneuve309 (ou Caseneuve),

initialement associé avec MM Alluard et Donat. Amélioration notable des dispositifs précédents, il s’agit d’un

procédé [qui] diffère du procédé Giraud qui consiste dans l’emploi d’un vase ingénieusement agencé pour vider la grande cuve, tandis que dans le procédé Cazeneuve, c’est la tinette qui est la fosse même310.

306 Pierre GIRAUD, Commodités portatives…, 1786, 85 pp (opuscule cité)

307 Mathieu GERAUD, Essai sur la suppression des fosses d'aisances et de toute espèce de voiries, sur la

manière de convertir en combustibles les substances qu'on y renferme…, Imp. rue et hôtel Serpente, 1786, 180 pages

308 Extrait du Journal de la Société de la morale chrétienne, 1822, p.225-230.

309 Des fosses mobiles inodores, de leur nécessité et de leur avantage pour le gouvernement, les

propriétaires, les locataires, Paris, 1818.

Protégé par au moins trois brevets, ce système de tinettes alternatif aux fosses fixes s’installe dans la cour ou dans la cave311, et l’écoulement des liquides s’opère par

trois étages filtrants constitués de tuyaux de plomb percés de petits trous placés verticalement. Comme le montre la Figure 71, deux tonneaux en bois de chêne cerclées en fer placés l’un au-dessus de l’autre assurent le stockage des matières après séparation, la partie supérieure recevant les solides.

Figure 71 - fosse mobile inodore de MM Cazeneuve et Cie (1818)

Bien accueillie, la fosse Cazeneuve reçoit les louanges de nombreuses Institutions savantes. Particulièrement motivée, la Société d'agriculture de Paris décide d’en faire la promotion et édite plus de 500 exemplaires pour diffusion à ses membres et correspondants312.

311 Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, février 1819, planche n°172 -

rapport de M. BOURIAT au nom du comite des arts économiques sur les fosses d’aisances mobiles et inodores de MM Cazeneuve et Cie

312 Rapport sur les fosses mobiles et inodores de MM. Cazeneuve et Cie, fait à la société royale et

Cette action de promotion impacte plusieurs pays européens, avec des traductions en anglais, allemand, espagnol et italien313. Sollicitée, l’Académie des Sciences rend peu

après un jugement positif314, suivi par l’avis favorable du Comité des arts économiques

de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale315. Fort de ces publicités et

après de longues tergiversations qui durent plus de 20 années, le Préfet de police de Paris autorise par une ordonnance du 23 septembre 1843 l’installation des fosses

Cazeneuve, qui se développent alors en Province à Rouen316, Marseille et Orléans317

Parmi les divers brevets qui s’inspirent du système Cazeneuve318, l’appareil diviseur

Huguin, dérivé du brevet de l’architecte Dalmont de 1840, se distingue. Dans sa version initiale (voir Figure 72), un récipient en fer galvanisé percé de trous évacue les eaux

vannes dans un réservoir, en bois de chêne garni de plomb à l'intérieur, ou en

maçonnerie319. La mention eaux vannes signifie que ces latrines sont associées à l’emploi

d’eau. Dans une version améliorée, la fraction liquide évacuée par la paroi percée s’écoule gravitairement par un tuyau de chute dans un réservoir de 2 m3 en chêne doublé en plomb. Les jus sont ensuite pompés par un tuyau d'aspiration en plomb et transportés par des voitures-réservoir. Après sa fusion avec la Cie Richer, qui dispose d’un capital de 14 millions de Frs en 1854, le système Huguin connaît un fort développement dans la seconde moitié du XIXe s.

Figure 72 – système de vidange Huguin, puis Richer (1844-1860)

313 Outre la traduction du Baron de Friddani, le Roi Vittorio Emanuele accorde un droit de patente à

Felice Cavigioli (Annunzio dell'amministrazione delle latrine mobili ed inodorifere creato in dipendenza di regie patenti delli 4 dicembre 1818).

314 Rapport de MM Vauquelin, Husson, Leveillé et Renauldin du 6 mai 1819.

315 Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, 1819, n°175-186 p. 55-59

316 A l’initiative du baron Malouet, Préfet de la Seine Inférieure, des essais jugés concluants sont

conduits à la caserne de la gendarmerie royale et à la prison de St Lô.

317 Rapport sur les fosses d’aisances mobiles et inodores, de MM Cazeneuve et cie, fait à la Société

Royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts d’Orléans, séance du 29 décembre 1818.

318 A l’instar du brevet du 26 novembre 1846 de Mme Toury, à Paris, pour une fosse mobile inodore dite fosse mixte séparative.

319 GUERARD, Note sur un nouveau système de vidange des fosses d’aisances, Annales d'hygiène

En 1884 de façon analogue à ce qui arrive à de nombreux autres systèmes de gestion des déjections humaines, après une première phase d’enthousiasme, l’administration parisienne condamne le concept en constatant que

ces appareils ayant donné lieu à des plaintes, un arrêté du préfet de la Seine du 3 mars 1881 en a ordonné la suppression dans toute maison pourvue d'un branchement particulier d'égout320

Parmi la multitude de systèmes analogues qui apparaissent sur le marché dans la première moitié du XIXe s., le brevet de 1833 de Guibout et Sanson relatif à un

appareil de vidange en vases clos, imperméable, inaltérable et dessicateur connait

un relatif succès (voir Figure 73), l’idée étant récemment revenue à la mode321

Figure 73 – appareil séparateur désinfecteur Guibout et Sanson322 (1848)

Vers la fin du XIXe s., produit dérivé, le système Gehring combine séparation des matières, obturation par valves, et assèchement des solides par la tourbe (Figure 74)

Figure 74 - earth-closet à séparation de Gehring323 (1890)

320 Henri de PONTICH, Administration de la ville de Paris et du département de la Seine, sous la

direction de Maurice BLOCK, Guillaumin, Paris, 1884, p. 500

321 Si rares sont les occidentaux qui assèchent leurs déjections à domicile, il existe sur le marché une

vaste panoplie d’équipements domestiques destinés à traiter les résidus de cuisine par voie de séchage/minéralisation, comme le namagomi au Japon ou, en version technologique, la ZeraFood Recycler, commercialisée autour de 1000€, qui permettrait d’obtenir un résidu analogue au compost en 24 heures!