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Dans ce deuxième chapitre méthodologique nous expliquons les critères que nous avons appliqués afin de réaliser les différentes analyses. Ces critères concernent la sélection des productions enfantines et s’appuient sur un cadre théorique de référence avec des concepts opératoires. Dans un premier temps nous explique-rons comment nous avons défini et délimité le corpus utilisé dans cette thèse, tout d’abord en ne prenant en compte que des énoncés composés de mots et en excluant les productions de babillage. Ensuite, nous nous sommes interrogée sur la pertinence de prendre en compte les productions de l’enfant lorsqu’il répète les productions de l’adulte. Puis, nous exposerons le modèle syllabique adopté dans cette thèse afin de présenter les différents résultats et analyses. Enfin, une fois la délimitation du corpus définie, nous présenterons les critères que nous avons retenus pour considérer qu’un phonème était acquis.

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8.1 Choisir des énoncés porteurs de sens : les mots

Nous savons que l’enfant passe par différents stades avant de parler véritable-ment, et que l’un de ces stades, celui du babillage, se superpose avec la période des premiers mots. Le babillage est défini comme « des vocalisations sans signifi-cation » composées de consonnes et de voyelles (Oller et al., 1976), tandis que les premiers mots, eux, possèdent une signification, et cette distinction nous apparaît essentielle dans notre présente étude de l’acquisition phonologique.

Il a été dit que dans le babillage sont présentes les premières unités phonolo-giques de la langue, telles que l’unité syllabique à travers l’alternance consonne-voyelle (MacNeilage, 1998) et les prémices de l’inventaire segmental de la langue environnante (de Boysson-Bardies & Vihman, 1991; Hallé, 1998). On peut donc penser que dès ce moment, l’acquisition phonologique se met en place très pro-gressivement. Cependant, il s’agit d’une phase de transition, où les réalisations dues à l’exercice du conduit vocal et les premières unités de la langue se che-vauchent, et il est difficile de séparer les réalisations purement articulatoires des réalisations linguistiques à proprement parler. Pour être sûre d’utiliser des énon-cés linguistiques, nous avons utilisé la notion de sens. En effet, s’il n’y a pas de sens dans les énoncés produits, on ne peut pas être sûr d’avoir affaire à un système linguistique, où les différents éléments sont en relation les uns aux autres. Nous sommes cependant consciente du débat autour de la question du début de la phonologie (débat évoqué par exemple chez Wauquier, 2006). Nous avons décidé de ne prendre en compte l’acquisition du système phonologique que lorsque le sens est impliqué, et que lorsque les segments se distinguent les uns des autres en provoquant des différences significatives, comme l’énonce Troubetz-koy (2001) « Phonology is concerned with phonemes, that is, with the sound intentions (or, to put it simply, sound concepts) employed in a given language to distinguish meaning. » Il s’agit donc de retenir les énoncés qui font sens pour étudier le système phonologique en acquisition. Nous nous rangeons ainsi derrière la conception retenue par Jakobson (1969) : « Les sons, on l’a dit, subissent de

la part de l’enfant une sélection à l’issue de laquelle ils ne deviennent des sons du discours que dans la mesure où ils se rapportent au langage au sens strict du terme, à savoir aux « signes linguistiques arbitraires» de Saussure. Cette sélection est donc inséparablement liée à la nature sémiotique du langage ; il s’agit d’un problème purement linguistique, les sons n’étant considérés que sous l’angle de leur fonction de signe. ».

8.1.1 Identifier les mots enfantins

Nous choisissons donc de garder les énoncés enfantins qui ont un sens, c’est-à-dire qui sont des mots1. Toutefois, identifier un mot produit par un enfant n’est pas une chose aisée, car les énoncés enfantins n’ont pas toujours la même forme que les mots adultes. Nous avons donc appliqué les critères de Vihman &

McCune (1994), qui sont regroupés en deux ensembles. Tout d’abord nous avons des critères qui touchent à l’usage du mot :

1. L’énoncé doit être adapté au contexte communicatif.

2. La mère ou le père identifie l’énoncé comme un mot compréhensible. Pour nos enregistrements, nous n’avions pas l’occasion de vérifier les mots avec les parents que ce soit lors de l’enregistrement ou après celui-ci. Cependant, lorsque le parent a compris un mot, dans la plupart des cas il le reprend dans sa phrase ou il le répète. Lorsque le parent ne comprend pas le mot, soit il le fait répéter à l’enfant, soit il explicite le fait qu’il n’a pas compris.

3. L’enfant utilise une même forme à plusieurs reprises.

4. Au moins une occurrence du mot doit être imitée de l’adulte.

5. Sur toutes les occurrences du même mot au cours d’une même session, la forme ne doit pas varier.

6. Il ne doit pas y avoir d’utilisation inappropriée du mot.

Ensuite, Vihman & McCune (1994) mentionnent des critères relatifs à la forme du mot par rapport au mot cible :

1. La définition du mot dans la littérature pouvant différer selon les auteurs, nous choisirons de définir le mot comme un énoncé significatif.

7. Le mot produit par l’enfant doit avoir une correspondance complexe sur au moins deux segments.

8. ou le mot produit par l’enfant correspond totalement à la forme du mot cible.

9. La prosodie du mot produit doit également correspondre à la prosodie du mot cible.

Pour identifier un mot, l’idéal serait de réunir tous les critères ; toutefois, il est rare que tous les critères soient validés pour un même énoncé. Dans ce cas-là, nous retenons comme critères essentiels les critères 1, 2, 6 relatifs au contexte et le critère 7 relatif à la forme du mot. Pour être identifié comme mot, un énoncé devait satisfaire à l’ensemble de ces quatre critères.

Parmi les énoncés produits par l’enfant, il peut y avoir des mots incompréhen-sibles, que nous avons rejetés. Nous présentons le pourcentage des mots incompré-hensibles2 par rapport à l’ensemble des mots d’une session (mots grammaticaux compris) et donc rejetés pour la présente thèse pour Adrien (tableau 8.1 page 185) et pour Madeleine (tableau 8.2 page 186). Nous voyons que pour Madeleine, globalement, les énoncés deviennent de plus en plus compréhensibles au fur et à mesure du temps. Pour Adrien le pourcentage de mots incompréhensibles est moins régulier au fur et à mesure des sessions, avec un pic à 8,71% lors de la vingt-et-unième session. Cependant, les pourcentages de mots écartés de l’étude restent faibles pour l’un et l’autre.

Une fois les mots identifiés, nous avons fait la distinction entre les mots gram-maticaux et les mots lexicaux.

8.1.2 Sélection des mots lexicaux

La distinction entre mots grammaticaux et mots lexicaux nous a paru perti-nente dans le contexte de l’acquisition du langage. En effet, il n’est pas rare de remarquer que les mots grammaticaux sont remplacés par des « syllabes

inglo-2. Nous appelons ces productions « mots » même si nous ne pouvons pas savoir s’il s’agit d’un ou de plusieurs mots.