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Description de l’acquisition de contrastes au sein du système en productionsystème en production

Les traits distinctifs dans l’acquisition phonologique

3.1 Les traits distinctifs pour décrire l’acquisition segmentale

3.1.3 Description de l’acquisition de contrastes au sein du système en productionsystème en production

Les traits distinctifs permettent de rendre compte de l’acquisition des contras-tes d’un système phonologique dans des données de production. Ainsi, Menyuk (1968) est l’une des premières à avoir analysé le rôle des traits distinctifs dans des données d’acquisition. Elle a comparé l’acquisition des traits acoustiques en anglais et en japonais, en mesurant le pourcentage de productions correctes de consonnes pour chaque trait. Elle obtient ainsi le même ordre d’acquisition des traits pour l’anglais et le japonais :

1. nasal 2. grave 3. voisé 4. diffus

5. continu 6. strident

Pour elle, cet ordre d’acquisition reflète une tendance universelle qui jouerait un rôle dans l’acquisition des sons d’un système.

Pourtant, d’autres travaux ont questionné la pertinence d’utiliser les traits distinctifs pour décrire l’acquisition d’un système phonologique. Par exemple, l’article de Menn & Vihman (2011) questionne la légitimité d’utiliser les traits afin d’expliquer les premiers mots des enfants. Ces auteurs remarquent qu’il y a très peu de systématicité dans les productions très précoces, ce qui selon elles réfute l’idée qu’un système phonologique bien défini existe dès le départ. En com-parant les productions d’enfants parlant anglais, néerlandais, estonien, finnois, français, allemand, italien, japonais, suédois et gallois, elles constatent que cer-taines données peuvent être expliquées par les traits distinctifs, et d’autres beau-coup moins. Nous signalons qu’elles prennent comme critère de présence de trait distinctif l’existence de paires minimales dans le lexique précoce de production de l’enfant. Or cette manière d’établir la présence et la fonctionnalité d’un trait est d’abord méthodologique et non pas définitoire : l’absence de paires minimales illustrant un contraste ne signifie pas automatiquement que ce contraste est non fonctionnel dans la langue.

Ensuite, Menn & Vihman (2011) constatent qu’une systématicité phonolo-gique émerge avec l’augmentation du lexique de production de l’enfant, au mo-ment du « point des 25 mots3» Cette systématicité phonologique est compatible avec une explication en termes de traits émergents. Ces auteurs concluent en faveur d’une définition émergente des traits, qui se baserait sur une interaction entre le signal acoustico-auditif, la capacité cognitive de l’enfant, et les capacités articulatoires, et par la suite ces traits deviennent une partie d’une grammaire mentale.

Les données présentées dans cet article ne vont pas à l’encontre d’une descrip-tion de l’acquisidescrip-tion des segments en termes de traits. Tout d’abord, les données

3. « 25 word point », ce qui correspond au moment où l’enfant produit spontanément 25 types de mots différents au cours d’une session de 30 minutes.

extrêmement variables qu’elles présentent correspondent à la période des pre-miers mots, c’est-à-dire à un âge très précoce (à partir de 9 mois !). A cet âge-là, il est difficile d’estimer de façon précise le lexique de l’enfant. De plus, à cette période-là, les enfants montrent une grande variabilité de comportement, et cer-taines données précoces sont explicables en termes de traits (il s’agit des enfants des groupes 3 et 4 dans leur article). Les auteurs indiquent que lorsque les enfants grandissent, au début de l’explosion lexicale, alors la systématicité phonologique apparaît. C’est ce moment qui correspond à la période des données présentes dans notre travail de thèse : l’enfant a déjà acquis quelques mots, et son lexique croît de plus en plus. Comme les auteurs le soulignent elles-mêmes, les productions des enfants à ce moment-là peuvent tout à fait être décrites par des traits distinctifs émergents.

Ainsi, si l’on considère que chaque contraste est acquis l’un après l’autre, en suivant par exemple l’ordre établi par Menyuk (1968), on peut avoir des difficul-tés à rendre compte des données d’acquisition précoces comme celles de Menn

& Vihman (2011). Pour analyser ce type de données en termes de traits dis-tinctifs, Menn & Vihman (2011) estiment qu’il faudrait manipuler et supposer l’acquisition de plusieurs contrastes en même temps.

Pour résoudre ce problème, de nombreux auteurs proposent que l’acquisition de chaque contraste ne se fait pas contraste par contraste, mais que l’acquisi-tion de chaque trait interagit avec l’acquisil’acquisi-tion d’autres traits du système. Ces interactions sont souvent formalisées en termes de contraintes de co-occurrence de traits.

Par exemple, Levelt & van Oostendorp (2007) ont étudié l’ordre d’apparition des segments du néerlandais chez six enfants de la base de données CPLF (Fikkert, 1994; Levelt, 1994), et ont montré que ces ordres d’acquisition pouvaient s’analy-ser en termes de traits distinctifs, en formalisant des contraintes de co-occurrence de traits. Ces contraintes sont de deux types : 1, certains traits distinctifs, qui sont monovalents pour les auteurs, ne peuvent apparaître en co-occurrence avec certains autres traits ; 2, la présence d’un trait implique la présence d’un autre trait. Par la suite, ces contraintes de co-occurrence sont désactivées et peu à

peu l’inventaire phonémique de la langue se construit. Les auteurs montrent qu’il existe ainsi des chemins développementaux individuels qui sont expliqués par la présence puis la désactivation de contraintes de co-occurrence de traits. Le-velt & van Oostendorp (2007) ont par ailleurs testé deux autres hypothèses qui expliqueraient leurs données d’acquisition. La première hypothèse postule que la fréquence des phonèmes en discours adressé à l’enfant en néerlandais permet d’expliquer l’ordre d’acquisition des consonnes. En comparant les fréquences des consonnes avec l’ordre d’acquisition des consonnes, les auteurs observent qu’il n’existe aucun lien direct entre ces deux variables. La deuxième hypothèse est celle de la diffusion lexicale, selon laquelle ce ne sont pas les sons qui sont acquis mais de nouveaux mots qui sont appris. Cette hypothèse suppose une acquisition progressive des nouveaux mots, mais n’est pas validée par les données.

L’article de Levelt & van Oostendorp (2007) justifie ainsi l’utilisation des traits pour décrire le développement global des inventaires consonantiques, mais également pour décrire les chemins individuels d’acquisition, et montre que l’uti-lisation de contraintes de co-occurrence de traits permettent d’expliquer leurs données mieux que d’autres hypothèses, comme la fréquence segmentale ou la diffusion lexicale.

Cette approche suppose donc que l’acquisition des traits n’est pas à considérer en prenant chaque contraste de façon isolée, mais en étudiant l’acquisition du contraste au sein du système, en prenant en compte les interactions des contrastes entre eux de façon générale, ou au sein d’un domaine comme le mot, comme l’ont proposé Fikkert & Levelt (2008); Altvater-Mackensen & Fikkert (2010); da Costa (2010).

L’approche de Levelt & van Oostendorp (2007), comme l’approche prise en compte dans la présente thèse, considère l’acquisition phonémique comme l’acqui-sition d’un système de contrastes, acquil’acqui-sition dont les traits distinctifs peuvent rendre compte. Cependant, les auteurs ne développent pas d’explication de l’ordre d’apparition et de la nature des contraintes de co-occurrence de traits, qui pour-raient être expliquées par des principes basés sur les traits distinctifs, comme par la hiérarchie de traits ou par l’évitement de la marque.

Toutes les études citées dans cette section ont mis en valeur le rôle des traits distinctifs pour analyser les données enfantines de perception et de production.

Les traits distinctifs peuvent ainsi être utilisés dans les premières étapes du déve-loppement linguistique de l’enfant, pour décrire l’acquisition des classes naturelles et des généralisations phonotactiques, mais aussi pour exprimer la fonction dis-tinctive des contrastes segmentaux. En production, les traits distinctifs peuvent également être employés afin de décrire l’acquisition de contrastes particuliers dans certaines positions suprasegmentales, mais aussi pour rendre compte de l’acquisition d’un système de contrastes, en les prenant dans leur ensemble. Ce-pendant, lorsqu’on étudie l’ensemble des contrastes d’un système, on observe que tous les traits n’ont pas le même statut. Ainsi, en perception, certains traits semblent plus robustes que d’autres Cristià et al. (2011), et en production, il se dégage une tendance quant à l’ordre d’acquisition des traits : à travers l’étude de l’acquisition de différentes langues, il semblerait qu’on retrouve les mêmes traits qui sont acquis avant d’autres. Ces observations semblent indiquer qu’il existe-rait une hiérarchie entre les texiste-raits. Certains travaux ont approfondi cette notion et ont étudié l’éventuelle présence d’une hiérarchie des traits dans l’acquisition phonologique. Nous discutons de ces différentes études à la section suivante.

3.2 La hiérarchie des traits en acquisition du