• Aucun résultat trouvé

Les traits distinctifs dans l’acquisition phonologique

3.1 Les traits distinctifs pour décrire l’acquisition segmentale

3.1.2 Description de l’acquisition de contrastes spécifiques

Les traits distinctifs permettent de rendre compte des contrastes au sein d’une langue, et certains travaux ont utilisé les traits distinctifs afin d’observer l’acqui-sition d’un contraste en particulier.

Certaines études ont ainsi analysé l’acquisition d’un contraste spécifique au sein d’une langue spécifique. Par exemple, Altvater-Mackensen & Fikkert (2010) ont étudié l’acquisition des occlusives et des fricatives en néerlandais, en se ba-sant sur des données de production et de perception. Elles ont pu rendre compte de leurs données en postulant différentes étapes dans l’acquisition des traits de manière d’articulation, et notamment en développant l’acquisition du trait [±continu] en différentes positions dans le mot.

D’autres études ont utilisé les traits afin d’exprimer certaines tendances seg-mentales spécifiques en différentes positions suprasegseg-mentales, qu’elles soient ga-baritiques, syllabiques ou prosodiques. Par exemple, Velleman & Vihman (2002) utilisent implicitement les traits lorsqu’elles définissent des segments ou des classes naturelles spécifiques associés à des positions particulières. Elles postulent l’exis-tence de gabarits permettant d’exprimer des schémas préférentiels que les

en-fants utilisent afin de produire des mots. Certains de ces schémas sont exprimés à l’aide de traits attribués à certaines positions au sein du mot, comme le gaba-rit labial-vélaire qui indique que la première consonne du mot doit être labiale alors que la seconde doit être vélaire. De plus, certaines observations quant à l’ac-quisition segmentale peuvent être représentées par la l’association privilégiée de certains traits à certaines positions prosodiques. Par exemple, dos Santos (2007) explique certaines métathèses dans ses données d’acquisition de français par une contrainte de légitimation du trait [dorsal] à la tête du pied prosodique, qui fa-vorise les consonnes vélaires dans cette position. Il y aurait donc une association entre ce trait et une position prosodique particulière. Enfin, les traits distinctifs permettent d’exprimer l’acquisition segmentale par rapport aux positions sylla-biques. C’est le cas de l’acquisition du contraste entre obstruantes et sonantes, qui a été beaucoup étudié (Kehoe & Stoel-Gammon, 2001; Hilaire-Debove & Ke-hoe, 2004; Stites et al., 2004; Zamuner et al., 2005), notamment par rapport à la position syllabique. En effet, selon l’échelle de sonorité postulée par Clements (1990), l’attaque syllabique aurait tendance à être occupée par une consonne à faible sonorité, comme une obstruante, et la coda syllabique aurait tendance à être occupée par une consonne à forte sonorité, telle qu’une sonante. Ainsi, de nom-breux auteurs ont testé l’acquisition du contraste entre sonantes et obstruantes en coda syllabique afin d’observer une éventuelle confirmation de l’échelle de so-norité dans les données d’acquisition. Par exemple, Zamuner et al. (2005) ont observé les productions d’enfants anglophones dans les mots à coda syllabique afin de voir si ces productions reflétaient des tendances typologiques de marque.

Afin d’exprimer ces tendances typologiques, les auteurs ont utilisé la notion de trait de sonorité en la liant à la position syllabique.

Les traits distinctifs ont également été utilisés afin de rendre compte de phé-nomènes et processus particuliers dans les productions enfantines. Par exemple, Altvater-Mackensen & Fikkert (2010) ont utilisé le trait [±continu] afin de rendre compte de substitutions de fricatives par des occlusives dans des productions d’en-fants néerlandophones. De même, Rose (2000) et dos Santos (2007) ont utilisé les traits de lieu [labial], [coronal] et [dorsal] afin de rendre compte de mé-tathèses et d’harmonies consonantiques de lieu se produisant à l’intérieur d’un

même domaine prosodique en français. Dos Santos (2007) a également utilisé le trait [±continu] afin de rendre compte d’harmonies de mode qui se manifestaient par la production d’occlusives au sein du même mot ou de la réalisation de frica-tives et de la latérale [l] au sein du même mot. Dans tous ces exemples, les traits distinctifs ne servent pas seulement à exprimer la réalisation d’un contraste, mais aussi à exprimer les processus qui se réalisent lors de l’acquisition phonologique.

Enfin, certaines études ont employé les traits distinctifs dans une approche interlangue, afin de comparer l’acquisition d’un contraste spécifique dans des données d’acquisition de langues différentes. Ainsi, Kager et al. (2007) ont com-paré les contrastes laryngaux en néerlandais, en allemand et en anglais. Dans ces langues, le contraste « de voisement » est en fait réalisé différemment : en néerlandais, les consonnes dites voisées sont réalisées prévoisées et les consonnes non-voisées sont réalisées avec un délai de voisement (Voice Onset Time) court ; alors qu’en allemand et en anglais les consonnes voisées sont réalisées avec un délai de voisement court et les consonnes non-voisées sont réalisées avec un délai de voisement long. Les données d’acquisition montrent que ce contraste n’est pas acquis de la même façon ni à la même période dans chacune des langues exa-minées. En néerlandais, le contraste de voisement est acquis tardivement (après 2 ;6) et les consonnes non-voisées semblent être acquises avant les consonnes voi-sées. Cependant en allemand, les données montrent que les consonnes non-voisées semblent être acquises plus tardivement que les consonnes voisées ; le contraste semble être acquis vers l’âge de 2 ans. L’examen des données de ces deux langues semble montrer une incohérence dans l’acquisition du contraste de voisement. Les auteurs permettent de rendre compte de ces observations en postulant l’existence de deux traits unaires distincts, le trait [voisé] pour le néerlandais, et le trait [glotte ouverte] pour l’allemand et l’anglais. Dans ces langues, la consonne réali-sée avec un délai de voisement court n’est pas spécifiée pour ces traits, alors que l’autre consonne du contraste, qu’elle soit prévoisée ou réalisée avec un délai de voisement long, porte la spécification de trait. Kager et al.(2007) rendent compte des données d’acquisition grâce à l’acquisition de chaque trait : le fait qu’il s’agisse de traits différents explique la différence dans le calendrier d’acquisition du voi-sement, et dans les deux cas, c’est la consonne non-spécifiée qui est acquise en

premier, et qui remplace la consonne spécifiée dans des erreurs de substitutions ; la consonne non-spécifiée est réalisée par une consonne à délai de voisement court dans les deux cas. Lorsque le trait est acquis, la consonne spécifiée est acquise, et se réalise différemment dans chaque langue : par une consonne prévoisée en néerlandais, par une consonne à délai de voisement long en allemand. Dans cette étude, l’utilisation des traits distinctifs permet d’avoir une modélisation unifiée de l’acquisition d’un contraste dans des langues différentes.

Les traits distinctifs ont ainsi été utilisés pour décrire l’acquisition de contrastes et certains phénomènes de substitutions que l’on trouve dans les données d’acqui-sition. Cependant, les études qui ont été citées dans cette sous-section ont examiné un trait ou un contraste en particulier, sans considérer l’ensemble des contrastes du système et leur relation entre eux. Or, l’acquisition d’un contraste ne se fait pas de façon isolée, car les enfants sont exposés à l’ensemble des contrastes de leur langue. Pour avoir une vue d’ensemble de l’acquisition des contrastes, nous passons maintenant en revue les études qui ont étudié l’acquisition des contrastes au sein d’un système en production.

3.1.3 Description de l’acquisition de contrastes au sein du