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Le rôle de la fréquence d’occurrence dans l’acquisition des contrastes en perceptionl’acquisition des contrastes en perception

La fréquence des traits dans le langage adressé à l’enfant

4.1 La fréquence dans le langage adressé à l’enfant

4.1.2 Le rôle de la fréquence d’occurrence dans l’acquisition des contrastes en perceptionl’acquisition des contrastes en perception

Afin de construire leur système phonologique, les enfants doivent être capables d’acquérir les contrastes de leur langue. L’acquisition des contrastes d’une langue suppose la discrimination de ces contrastes. De nombreuses études (Eimas et al., 1971; Eimas, 1975; Eimas & Miller, 1980a,b; Streeter, 1976; Werker & Tees, 1984;

Jusczyk, 1997) ont montré que de très jeunes enfants, entre 1 mois et 6 mois, étaient capables de discriminer de nombreux contrastes linguistiques même si ceux-ci n’étaient pas distinctifs dans leur langue maternelle. Cependant, cette capacité de discrimination universelle de certains contrastes non-natifs semble disparaître avec l’âge.

Ainsi, Werker & Tees (1984) ont mis en évidence que des enfants anglophones distinguaient des contrastes de lieu (dental / rétroflexe et vélaire glottalisé / uvulaire glottalisé) qui existent respectivement en hindi et en salish dès 6 mois.

Cependant, dans leur étude, Werker & Tees (1984) ont montré que la distinction de ces contrastes ne se maintenait pas dans le temps. Nous reproduisons à la figure 4.1 page 100 les résultats de cette étude. Ainsi, dès l’âge de 8 mois, tous les enfants anglophones ne distinguent plus le contraste salish, et à partir de 11 mois, aucun des contrastes non-natifs n’est distingué par les enfants anglophones.

Les résultats de Werker & Tees (1984), confirmés par d’autres études, montrent ainsi qu’il existe un déclin de la sensibilité à des contrastes non-natifs, et qu’en grandissant, les enfants ne discriminent que les contrastes qui sont distinctifs dans leur langue maternelle. A partir de ces observations, Maye et al. (2002, 2008) s’interrogent sur l’acquisition des contrastes distinctifs dans chaque langue. En reprenant les travaux de Aslin & Pisoni (1980), ils repèrent trois types de schémas quant à la construction des contrastes d’une langue. Ils distinguent tout d’abord la perte des contrastes non-natifs, tels que les contrastes de lieu hindi ou salish pour les enfants anglophones (Werker & Tees, 1984), mais également lemaintien des contrastes natifs, tels que les contrastes de lieu hindi pour les enfants hin-diphones, et enfin le renforcement de certains contrastes qui sont initialement

Figure 4.1: Résultats de l’étude sur la discrimination de contrastes non-natifs, tiré de Werker & Tees (1984)

moins bien discriminés par les enfants.

Mayeet al. (2002, 2008) testent l’hypothèse selon laquelle ces différents types de construction de contraste se font grâce aux informations distributionnelles contenues dans l’input que reçoit l’enfant. En effet, ils remarquent que les contras-tes d’une langue se reflètent dans la distribution des sons de cette langue : dans une langue qui contraste entre deux catégories, la distribution des fréquences des sons sera bimodale, dans une langue qui contraste entre trois catégories, la distribution des fréquences des sons sera trimodale, etc.

Dans leur première étude, Mayeet al.(2002) ont testé l’hypothèse de la perte d’un contraste non-natif par la distribution des fréquences d’occurrence des sons.

Ils ont ainsi testé la discrimination du contraste de voisement chez des enfants anglophones de 6 et 8 mois. Pour chaque âge, deux groupes étaient constitués : un groupe était exposé à une distribution unimodale, c’est-à-dire que la plupart des stimuli entendus se trouvaient au milieu du continuum voisé – non-voisé ; le deuxième groupe était exposé à une distribution bimodale, c’est-à-dire que la plupart des stimuli entendus se trouvaient aux deux extrémités du continuum voisé – non-voisé.

Après une familiarisation de 2,30 minutes, le groupe d’enfants exposés à la distribution bimodale a montré une capacité à discriminer le contraste auquel ils avaient été familiarisés, alors que le groupe d’enfants exposés à la distribution uni-modale n’a montré aucune capacité de discrimination du contraste de voisement.

Cette étude montre qu’une exposition à une distribution fréquentielle unimodale, même brève en comparaison à ce à quoi peut être exposé un enfant dans des conditions naturelles, a pour effet de réduire la discrimination d’un contraste qui peut tout à fait être perçu par ailleurs. Maye et al. (2002) ont donc montré que la perte d’un contraste, comme observé par Werker & Tees (1984) peut se faire grâce à des informations distributionnelles.

Après avoir testé la perte d’un contraste sous l’effet d’informations fréquen-tielles, Maye et al. (2008) ont cherché à vérifier que le même type d’informations peut favoriser le renforcement de contrastes difficilement perçus. Ils ont ainsi testé des enfants anglophones de 8 mois sur le contraste de voisement réalisé par

l’opposition entre une consonne prévoisée et une consonne à délai de voisement court. La littérature a montré des résultats mitigés quant à la capacité de discri-mination de ce contraste particulier par les enfants de 6 à 12 mois ; les auteurs en concluent donc que ce contraste est difficile à discriminer. Ils proposent donc que l’exposition à une distribution bimodale de ces sons renforcerait la capacité de discrimination de ce contraste difficile. Une première expérience a confirmé cette hypothèse : les enfants exposés à la distribution bimodale des fréquences d’occur-rence de sons ont pu discriminer le contraste de voisement, alors que les enfants exposés à la distribution unimodale ainsi que les enfants du groupe contrôle n’ont pas pu discriminer le contraste. Dans une seconde expérience, Maye et al.(2008) ont testé la capacité de généralisation du contraste acquis : pour chaque condi-tion, les enfants étaient divisés en deux groupes. L’un était habitué à un contraste de voisement sur un lieu d’articulation particulier : un groupe était exposé au lieu dental, avec les stimuli [ta]-[da], et l’autre groupe était exposé au lieu vélaire avec les stimuli [ka]-[ga]. Chaque groupe a été testé sur l’autre lieu d’articulation : les enfants habitués au lieu dental étaient testé sur le lieu vélaire, et vice-versa.

Les résultats de cette deuxième expérience ont montré que les enfants exposés à la distribution bimodale sur un lieu particulier étaient capables de discrimi-ner le voisement sur un autre lieu, auquel ils n’avaient pas encore été exposés.

Maye et al. (2008) en concluent que les enfants ont pu « extraire les propriétés du contraste en termes de traits après moins de trois minutes d’exposition3».

Les travaux de Maye et al. (2002, 2008) nous apportent deux résultats mar-quants. La première conclusion remarquable est que les informations des distri-butions de fréquences d’occurrence contribuent à la construction du système de contrastes de la langue, que ce soit par la perte de discrimination des contrastes non pertinents, ou que ce soit dans le renforcement de la discrimination de contrastes initialement difficiles à discriminer. Ceci confirme donc le rôle de la fréquence d’occurrence dans la construction du système phonologique, comme cela a été montré dans d’autres études (par exemple, Jusczyket al., 1994; Saffran et al., 1996).

3. « the infants in Experiment 2 appear to have extracted the featural properties of the input speech after less than 3 minutes of exposure ».

La deuxième conclusion concerne l’extraction de propriétés en termes de traits à partir d’exemplaires consonantiques. La deuxième expérience de Maye et al.

(2008) a non seulement montré que les enfants sont capables de discriminer un contraste entre deux consonnes auxquelles ils ont été habitués, mais aussi qu’ils peuvent généraliser le contraste à d’autres consonnes, auxquelles ils n’ont pas été exposés. A partir des exemplaires de consonnes, ils sont capables d’extraire des informations sur le contraste. Si l’on modélise ceci en termes de traits, ils sont capables d’extraire un trait à partir d’exemplaires de consonnes, et de le reconnaître dans d’autres consonnes.

Ces deux conclusions mettent en valeur deux facteurs dans la construction des contrastes en perception : la fréquence dans l’input et l’importance des traits distinctifs. En effet, si les enfants sont capables d’extraire les traits de l’input qu’ils reçoivent, et que la fréquence joue un rôle dans la construction du système des contrastes, alors la fréquence des traits doit contribuer à l’acquisition du système consonantique. A partir de là, nous nous demandons si la fréquence des traits, qui semble jouer un rôle dans l’acquisition des contrastes en perception, peut également être pertinente pour rendre compte des données sur l’acquisition des contrastes en production. Nous avons donc conduit une étude préliminaire sur des données préliminaires afin de mettre en lumière une éventuelle adéquation entre fréquence des traits et données d’acquisition en production.