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Partie A Les travertins anthropiques : état de la question et nouvelle définition.

A. I.2.1.2.2 La sédimentologie de faciès.

Les signatures sédimentologiques offertes par les dépôts de travertins s.l. ont été largement étudiées et des classifications des différents faciès sédimentaires ont pu être proposées. Nous proposons ici une brève syn- thèse des faciès susceptibles d’être rencontrés au sein de ces dépôts en insistant sur les caractéristiques et l’ori- gine des éléments pétrographiques observés, leur association éventuelle et sur leur lien avec l’environnement de dépôt correspondant.

• Les faciès sédimentaires de travertins :

La précipitation des travertins se fait majoritairement de manière rapide et complexe, offrant des variations latérales et verticales de faciès souvent marquées au sein d’un même site. Ces variations de faciès sont la conséquence des fluctuations que subit le flux des eaux au sein du système de travertins : variations du débit, de la température, du cheminement directionnel, de la composition chimique, mélange avec des eaux de na- ture différente (eau douce, eau de pluie), effets climatiques, influences pédogénétiques. La topographie du site va jouer un rôle majeur dans le contrôle de la séquence sédimentaire et des faciès associés, depuis la source jusqu’aux parties les plus distales.

L’architecture sédimentaire complexe qui résulte d’un tel système de dépôt rend compte d’une lithologie type à un dépôt de travertin. Celui-ci est caractérisé par des calcaires souvent très bien lités et très finement laminés, composés dans la partie proximale* de croûtes macrocristallines (crystalline crust travertine) et dans la partie distale par une boue carbonatée microcristalline bactérienne et cyanobactérienne (Guo et Riding, 1998, 1999

; Özkul et al., 2002). Les travaux réalisés sur les travertins de Rapoleno Terme (Guo et Riding, 1998, 1999) ont pu mettre en lumière les différents faciès qui constituent la séquence sédimentaire en association avec les différents milieux de dépôt. Plusieurs lithotypes de faciès ont ainsi été définis :

- Crystalline crust (Fig. A.20) :

Les croûtes cristallines (crystalline crust) forment typiquement d’épais dépôts très étendus latéralement au niveau de pentes et de falaises et reflètent une pré- cipitation rapide issue d’écoulements extrêmement turbulents. Elle sont géné- ralement d’un aspect dense, d’un blanc brillant et grossièrement fibreux avec des cristaux de calcite rayonnants (ray crystals) ou en plume (feather crystals) perpendiculaires à la surface de dépôt.

- Shrub travertine (Fig. A.21) :

C’est un faciès poreux dominé essentiellement par des structures en forme de petits buissons (shrub-like growths), qui se développe sur une surface sub-ho- rizontale, dans les bassins des terrasses (terrace pools) et dans des dépressions (depressions). Les buissons micritiques à sparitiques (micrite/spar-rhomb

shrubs), de quelques millimètres à quelques centimètres et orientés vertica-

lement, sont de couleurs gris pâle à brun pâle et constituent une morphologie dendritique irrégulière. Ils sont agencés en multiples couches horizontales (de 1 à 3 cm d’épaisseur) séparées par des fines lamines micritiques. Leur genèse

est principalement due à une activité microbienne mais une part de processus abiotiques influe également sur la précipitation.

- Pisoid travertine :

Les pisoïdes (Fig. A.22), communs dans les travertins, se développent aussi bien dans les petits bassins de terrasse (small terrace pools) ou sur des surfaces à faible pente, que dans de grands bassins crées par certaines dépressions, en association avec des structures buissonnantes (shrubs) et de la boue micritique. De couleur généralement blanche pouvant tirer sur le jaune pâle, ils offrent une diversité de forme, de sphérique ou

Figure A.20. Croûte cristal- line dense, blanche, laminée et fibreuse, typique d’une précipita- tion rapide (Guo et Riding, 1998).

Figure A.21. Faciès « Shrub travertine » (indiqué par le S) (Guo et Riding, 1998).

sub-arrondie jusqu’à des formes complètement irrégulières. Leur dévelop- pement est dépendant de l’énergie du milieu (processus inorganiques) et de l’influence microbienne.

- Paper-thin raft travertine :

Egalement nommé « glace d’eau chaude » (hot water ice) ou « glace de calcite » (calcite ice) (Fig. A.23), ces « radeaux fins comme du papier » (paper-thin rafts), fins et délicats, se développent et forment une croûte cristalline à la surface de l’eau, jusqu’à leur chute au fond, sous le poids croissant de la formation de calcite et de la croissance cyanobactérienne. Ainsi se développe un faciès particulier (Fig. 24), marqué par un empi- lement de fines plaquettes successives sur le fond de petits bassins stagnants ou de chenaux d’eaux calmes, voir dormantes.

- Coated bubble travertine (Fig. A.25) :

Ce faciès se développe lorsque des bulles de gaz se retrouvent encroûtées lors d’une précipitation très rapide du carbonate de calcium, se retrouvant piégées près de la surface sous les paper-thin rafts, ou au sein de cris- taux développées en présence de végétation. De diamètre compris entre 1 et 4 mm, les fantômes de bulles

Figure A.22. Faciès «Pisoid travertine » (Guo et Riding, 1998).

Figure A.24.

Faciès «Paper-thin raft » associé à des racines (Guo et Riding, 1998).

Figure A.23.

« Radeaux » de calcite à la surface de l’eau (« hot water ice »).

présentent une couche interne de micrite et un encroûtement externe (côté de l’eau) de cristaux euhédraux, souvent aragonitiques.

- Reed travertine (Fig. A.26) :

Lorsque les eaux refroidissent, des racines de végétaux (reeds) ou des herbes sont susceptibles de se développer et vont être encroûtées par une précipitation du carbonate, majoritairement micritique. Le moule généré par ces organismes restera vide, donnant sa grande po- rosité à ce type de faciès, ou sera partiellement rempli de grains spa- ritiques. Souvent associé au paper-thin raft, ce faciès est principa- lement observé dans des travertins d’eaux peu profondes et calmes.

- Lithoclast travertine (Fig. A.27) :

L’intégration de matériaux issus de l’érosion des versants travertineux au sein d’un travertin en cours de formation, particulièrement au ni- veau des pentes distales et dans les dépressions, génère la formation d’un travertin lithoclastique (lithoclast travertine). De couleur géné- ralement grise sombre à brune, ils sont dominés par un sédiment silto- sableux provenant majoritairement de dépôts proximaux et peuvent contenir une grande proportion de fragments détritiques de plantes, de racines, ainsi que des gastéropodes et des ostracodes.

Figure A.25. « Coated bubble travertine », issu de l’encroûtement de bulles de gaz

(Guo et Riding, 1998).

Figure A.26.

Faciès « Reed travertine » (Guo et Riding, 1998).

Figure A.27.

«Lithoclast travertine » (Guo et Riding, 1998).

• Les faciès des tufs calcaires :

Les faciès de tufs calcaires ont été étudiés aussi bien à l’échelle d’un site particulier, citons notamment les études sur les tufs d’Urrea de Jalón, en Espagne (Arenas et al., 2000) et du bassin du Diborrato, en Italie cen- trale (Gandin et Capezzuoli, 2008 ; Capezzuoli et al., 2008), que par des approches comparatives (Pedley et

al., 1996), et ont fait l’objet de classification (Pedley, 1990 ; Pentecost, 2005) ainsi que d’une brève synthèse

récente (Pedley, 2009).

L’élément principal qui influence fortement les faciès sédimentaires des tufs calcaires, en parallèle des ca- ractéristiques physico-chimiques des eaux et de la topographie du système, est la présence d’une végétation souvent importante, voir luxuriante, dans le milieu de précipitation. Elle se marque par le développement de plantes, terrestres et aquatiques, de racines, de mousses et d’algues, en particulier dans les milieux de haute énergie, auxquelles est également susceptible de s’ajouter la prolifération de colonies bactériennes.

Les tufs calcaires présentent typiquement une structure sédimentaire très poreuse, très peu ou grossièrement litée, caractérisée par des fragments de macro-végétaux (phytoherm facies), par la présence éventuelle de sé- diments détritiques silto-sableux (intraclast tufa) et/ou par des constructions exclusivement stromatolithiques (stromatolitic tufa) souvent caractérisés par la présence d’oncoïdes issues d’une précipitation cyanobacté- rienne (cyanolith oncoidal tufa). La question de la part d’influence des processus physico-chimiques et celle des processus biologiques sur la précipitation du carbonate est encore débattue (Pedley, 2009, p. 235). Le dégazage de CO2 et la chute de température de l’eau lors de son émergence, ou plus en aval au sein de milieux turbulents, entraîne une précipitation relativement rapide du carbonate sous la forme de cristaux sparitiques formant une croûte microcristalline et encroûtant les organismes biologiques, associés parfois à un ciment mi- critique. En parallèle, le carbonate de calcium précipite également au voisinage immédiat d’organismes pho- tosynthétiques (macrophytes, microphytes et bactéries). La chute de la teneur en CO2 de l’eau provoquée par leur activité de photosynthèse entraîne une saturation croissante en carbonate de calcium qui précipite alors en ciment micritique. Pour leur part, les communautés bactériennes s’associent et s’organisent au sein d’un biofilm qui se développe à la surface de l’eau (EPS = Extracellular Polymeric Substances), extrêmement fin et fragile mais qui est source de la précipitation d’un ciment micritique, de cristaux sparitiques ou de péloïdes.