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I.1.1.1.2 Un processus sédimentaire connu et décrit, dans la nature jusque dans la poésie Dans la nature…

Partie A Les travertins anthropiques : état de la question et nouvelle définition.

A. I.1.1.1.2 Un processus sédimentaire connu et décrit, dans la nature jusque dans la poésie Dans la nature…

Le phénomène de pétrification, de formation de concrétions, est déjà connu dès l’Antiquité, comme en témoi- gnent certains récits des auteurs antiques. Vitruve (Ier s. av. J.-C.) décrit parfaitement ce phénomène, prenant

le cas d’un lac de Cappadoce, une région d’Asie mineur située dans l’actuelle Turquie, dans lequel, si l’on y trempe un roseau, la partie immergée de celui-ci se retrouvera encroûtée :

« Etiamque est in Cappadocia in itinere, quod est inter Mazaca et Tuana, lacus amplus, in quem lacum pars

sive harundinis sive alii generis si demissa fuerit, et postero die exempta, ea pars, quae fuerit exempta, inve- nietur lapidea, quae autem pars extra aquam manserit, permanet in sua proprietate. »

« Il y a encore en Cappadoce, […], un très grand lac qui a cette propriété, que si l’on y met tremper une canne ou une autre chose, on la trouve le lendemain, quand on la tire, pétrifiée par la partie qui a été dans l’eau, celle qui était dehors étant demeurée en son état naturel. »

Vitruve, De Architectura (Livre VIII, III, 9).

Vitruve signale également les travertins générés par la source chaude et bouillonnante de Hiérapolis, en Phry- gie, région de l’actuelle Turquie. Il s’agit de l’actuel site de Pamukkale, célèbre pour ses sources chaudes et ses dépôts de travertin associés. Vitruve nous apprend que la source dépose, au bout d’un an, une croûte de pierre dans les fossés entourant les jardins et vignes, et que cette croûte est enlevée chaque année pour servir à l’édification de clôtures dans les champs :

« On voit aussi auprès de Hierapolis en Phrygie une grosse fontaine bouillante, qui dans les fossés qui font autour des jardins et des vignes où elle coule, engendre une croûte de pierre de chaque coté du fossé, que l’on en tire tous les ans, et dont on se sert pour faire les séparations des terres. »

Le philosophe Sénèque (Ier s. apr. J.-C.) mentionne également ce phénomène de pétrification qu’il décrit en

prenant l’exemple d’un fleuve dans le territoire des Cicones (Asie mineure) et en citant le poète Ovide :

« Le fleuve dont parle Ovide, […], a une eau minérale ; le limon qu’elle contient cimente et durcit les corps. Le sable de Pouzzoles se charge en pierre au contact de l’eau, mais l’eau de ce fleuve, si elle touche une matière solide, s’y attache et s’y fixe. Aussi tout objet jeté dans son lit est-il, tôt après, retiré à l’état de pierre. »

Sénèque, Questions Naturelles (III, 20).

Puis Sénèque décrit ce même phénomène observé dans quelques régions d’Italie :

« Même phénomène dans quelques endroits d’Italie : a-t-on plongé dans l’eau une baguette, un rameau feuillu, on repêche une pierre quelques jours plus tard. Le limon se dépose en effet tout autour de l’objet et s’y agglomère peu à peu. »

Sénèque, Questions Naturelles (III, 20).

Enfin, Sénèque cite encore l’exemple des eaux sulfureuses, particulièrement celles de la source d’Acque Al-

bule (Tivoli, Italie) :

« La chose te paraîtra moins surprenante, si tu observes que l’Albula et en général toutes les eaux sul- fureuses encroûtent d’une matière solide leur lit et leurs canaux. »

Sénèque, Questions Naturelles (III, 20).

Et il compare certaines pierres qu’il observe, poreuses et perméables, aux concrétions que peut parfois former l’eau aux abords de « sources médicinales » :

« Les pierres même qu’on peut y trouver sont poreuses et perméables, pareilles aux concrétions que l’eau forme en se durcissant, surtout aux bords des sources, médicinales, où les immondices des eaux sont rapprochées et consolidées par l’écume. »

Sénèque, Questions Naturelles (III, 25).

…jusque dans la poésie :

Le poète latin Ovide (43 av. J.-C. /17 apr. J.-C.) mentionne dans son long poème « Les Métamorphoses », le phénomène de pétrification observé dans un fleuve dans le territoire des Cicones :

« flumen habit Cicones, quod potum saxea reddit Viscera, quod tactis inducit marmora rebus. »

« Le fleuve des Cicones, qui pétrifie les entrailles et revêt de marbre les objets qu’il touche. »

Ovide, Les métamorphoses (XV, 313-314).

Sur l’île de Chios (Grèce), Vitruve (VIII, 22) nous raconte qu’il existait une fontaine dont l’eau était agréable à boire mais dont une légende disait qu’elle changeait l’âme et le cœur de celui qui en boit en rocher :

« Item est in insula Cia fons, e quo qui imprudentes biberint, fiunt insipientes, et ibi est epigramma insculptum ea sententia : iucundam eam esse potionem fontis eius, sed qui biberit, saxeos habiturum sensus. »

« L’île de Chio possède de même une fontaine dont les eaux font perdre la raison à ceux qui en boivent imprudemment; on y lit aussi une inscription qui signifie que ses eaux sont agréables à boire, mais que celui qui en boit aura le cœur dur comme un rocher. »

Vitruve, De Architectura (Livre VIII, 3).

Et Vitruve rapporte l’épigramme inscrite sur cette même fontaine et relatant une légende bien particulière :

« ῾Ηδεῖα ψυχροῦ πόματος λιβὰς, ἣν ἀνίησι Πηγὴ, ἀλλὰ νόῳ πέτρος ὁ τῆσδε πιών. »

« Il est agréable de boire les eaux fraîches que répand cette fontaine ; mais elles changent en rocher le cœur de celui qui en boit. »

Vitruve, De Architectura (Livre VIII, 3).

Nous discernons dans ces quelques vers une métaphore du phénomène de pétrification qui caractérise cer- taines sources et certaines eaux. En parallèle de la traduction d’une eau impropre à la consommation (et pou- vant entraîner une « maladie du cœur »), il peut s’agir ici d’une véritable symbolisation du phénomène naturel de concrétionnement et de formation de travertin ou de tuf calcaire.