• Aucun résultat trouvé

Jebel Oust (Tunisie).

B. I.2.2.2.1 Le modèle proposé par les historiens.

Le précurseur des études des conditions environnementales en Afrique du Nord à l’époque romaine fut l’histo- rien Stéphane Gsell, qui formula l’idée d’un climat identique mais sensiblement plus humide dans un premier article consacré au climat de l’Afrique du Nord dans l’Antiquité (Gsell, 1911) avant de reprendre cette même idée dans sa monumentale Histoire Ancienne de l’Afrique du Nord (Gsell, 1913). Dans ses travaux, S. Gsell entreprend, entre autre, un essai de réponse quant à la prospérité agricole que connait l’Afrique septentrionale durant une grande partie de l’époque antique et introduit judicieusement ses propos en posant une question essentielle à l’appréhension des conditions environnementales dans l’Afrique du Nord antique : il s’agissait de savoir « si [la] prospérité [de l’Afrique romaine] a eu pour cause principale un climat plus favorable à la culture que le climat d’aujourd’hui ou si elle a été surtout l’œuvre de l’intelligence et de l’énergie des hommes ; si nous devons nous borner à regretter un passé qui ne revivra plus ou lui demander au contraire des leçons utiles au temps présent » (Gsell, 1913, p. 40).

Ciblant la période antique, S. Gsell établit une description région par région des différents paramètres caracté- risant les conditions climatiques du milieu, s’appuyant sur des sources écrites (des inscriptions archéologiques aux écrits des auteurs antiques), sur des données archéologiques d’occupation du sol, et sur les structures hy- drauliques, vestiges des travaux ingénieux des anciens.

S’appuyant sur l’abaissement, voire l’assèchement, d’un certain nombre de points d’eau, qui assuraient la pré- sence d’une faune résiduelle d’éléphants (qui sembleraient être des descendants de l’elephas africanus), ou de puits antiques, S. Gsell produit quelques arguments pour soutenir que le climat était légèrement plus humide qu’actuellement, en particulier à proximité des zones montagneuses. Cependant, ces variations restent locales et n’ont pratiquement jamais trouvé de véritables preuves archéologiques ; elles peuvent bien évidemment être dues à des facteurs n’ayant aucun rapport avec des variations climatiques, tels que des tremblements de

1 « Quand il se rendit en Afrique, la pluie tomba à son arrivée après cinq années de sécheresse, ce qui lui valut l’affection des Africains » (Histoire

terre, que nous savons fréquents en Afrique du Nord et qui peuvent être à l’origine de l’assèchement d’un point d’eau, ou au rôle grandissant des influences humaines entrainant la surexploitation des ressources naturelles du milieu, et particulièrement des ressources hydriques.

Trois quarts de siècle après les études de S. Gsell, l’historien Brent D. Shaw consacra un certain nombre de ses recherches sur le climat à l’époque romaine en Afrique du Nord. Plusieurs de ses articles furent regroupés dans une publication commune intitulée Environment and Society in Roman North Africa (Shaw, 1995), dont deux d’entre eux sont consacrés au climat, l’un sur l’époque préhistorique saharienne, le second sur l’époque romaine. A la lumière d’études nouvelles, et en s’appuyant particulièrement sur les travaux novateurs du géo- morphologue Claudio Vita Finzi qui pu mettre en évidence le rôle majeur du climat dans la crise érosive et la métamorphose fluviale au cours des périodes historiques (Vita Finzi, 1969), B.D Shaw dresse une évaluation de la contrainte climatique qui va lui être nécessaire pour aborder deux sujets à problématique écologique et environnementale : l’introduction tardive du dromadaire (Camelus dromedarius) dans le nord de l’Afrique attribuée historiquement aux Romains (Shaw, 1995, IV, p. 663-721) et l’influence relative de l’innovation romaine dans les aménagements hydrauliques dans le Maghreb antique (Shaw, 1995, V, p. 121-173). Il saisit ainsi l’occasion pour croiser une typologie des aménagements hydrauliques romains avec l’inventaire des res- sources en eau disponibles, de la pluviosité aux eaux superficielles et souterraines (Shaw, 1995, VII, p. 73-74) (Fig. B.32). Par ce biais, il démontre bien le risque climatique auquel étaient exposées les sociétés antiques en Afrique du Nord, au croisement de la vulnérabilité, définit par les stratégies et les méthodes d’approvisionne- ment en eau, et de l’aléa naturel qui régie les ressources hydriques (Leveau, 2009, p. 314). En parallèle, B.D. Shaw n’omet pas de rappeler le rôle et l’impact de l’occupation du sol sur le bilan sédimentaire, en soulignant l’obstacle à l’érosion engendré par les modes d’occupation du sol et, à l’inverse, la pleine expression de l’éro- sion climatique lors des périodes d’abandon du sol (Shaw, 1995, III, p. 395).

B.I.2.2.2.2. L’apport des géosciences de l’environnement.

L’apport des géosciences de l’environnement, dont en particulier la géomorphologie, la géoarchéologie flu- viale, la pédologie et la paléoécologie, ne va pas bouleverser ses premières théories, mais va permettre la compréhension des procédés (Leveau, 2009, p. 310). Les travaux précurseurs du naturaliste Hubert H. Lamb

Type de source Champs extensifs Horticulture intensive Fontaines, Nymphées, Bains

Précipitations Nappes souterraines

Sources Eaux stables de surface Eaux mobiles de surface Eaux erratiques de surface

Citernes, réservoirs et autres systèmes de stockage de l'eau Puits / mécanismes de puisage

Petits aqueducs et canaux Aqueducs monumentaux

dispositifs de levage mécanique

Terrasses et barrages artificiels

Rural Urbain

Utilisations principales des ressources hydriques Usage quotidien

Figure B.32. Inventaire des ressources en eau disponibles et typologie des aménagements hydrauliques romains (d’après Shaw, 1995).

(Lamb, 1977, in Leveau, 2009), qui confirment les premières conclusions du modèle offert par les historiens, font encore autorité auprès des spécialistes des sciences de la Terre et de l’environnement. Dans une étude géoarchéologique menée sur le bassin de l’oued Miliane, qui prend sa source sur le versant occidental de la Dorsale et se jette dans le golfe de Tunis, Bourgou et Oueslati (1987) expliquent une phase de remblaiement à l’origine des dépôts constituant une terrasse fluviatile d’âge historique par la présence d’une période humide ou pluvieuse, en complément des activités agricoles (l’origine de cette phase de remblaiement serait donc partiellement climatique), depuis l’époque punique jusqu’à la fin de l’époque romaine. Ces dépôts correspon- draient au « Younger Fills » défini par Vita-Finzi (1969), un des pères de la géoarchéologie moderne, qui a pu mettre en évidence cette phase humide récente, qualifiée d’ « historique » car débutant à l’époque romaine, de remblaiements des vallées sédimentaires de Tripolitaine et Cyrénaïque ainsi que de pays méditerranéens. Cette phase précède une phase d’incision qui débute au VIIe s., avant la formation de le terrasse historique

inférieure qui parait être liée à un mini-épisode pluvieux correspondant au Petit-Age Glaciaire de l’Europe occidentale (Bourgou et Oueslati, 1987).

Cette vision générale fut par la suite affinée, grâce aux études menées sur la vallée moyenne de la Medjerda (Faust et al., 2004), importante rivière prenant sa source en Algérie et qui se jette dans le golfe de Tunis, après avoir traversé l’une des secteurs géographiques les plus riches, d’un point de vue agricole, de l’Afrique ro- maine. Ces travaux ont permis de préciser la dynamique fluviale de la Medjerda à l’Holocène et de mettre en évidence une longue pause de stabilité géomorphologique durant la période antique (Fig. B.33), au cours de laquelle un sol a pu se former (des conditions plus humides ont pu entrainer une pédogenèse). Cette période est centrée sur les Ier et IIe siècles de notre ère et débute au Ve s. av. J.-C., avant une reprise de l’activité fluviale

à partir du IIIe siècle. Trois autres épisodes de stabilité géomorphologique et de pédogenèse ont pu être mis

en évidence, aux VIe s., XIIe / XIIIe s. et au XVIe s., chacun séparé par une phase d’aridification. Concernant

la phase de stabilité géomorphologique à l’époque romaine, les auteurs penchent pour une explication anthropique du phénomène par le biais des pratiques agricoles mises en oeuvre par les Romains en Afrique du Nord (irrigation, terrassement, techniques de réten- tion de l’eau, etc.), qu’ils disent parfaitement ajustées aux conditions environnementales (Faust et al., 2004, p. 1771).

Figure B.33. Reconstitution du taux de sédimentation de la Medjerda (Faust et al., 2004) ; en encadré, la phase de stabilité de la période antique.

Les études palynologiques menées sur des carottes sédimentaires provenant du golfe de Gabès et du plateau des Kerkennah a pu retracer les modifications de l’environnement végétal en Tunisie depuis 20 000 ans (Brun, 1992) et confirmer les résultats issus de études géoarchéologiques et géomorphologiques. En outre, ces tra- vaux paléoécologiques ont permis la mise en évidence de plusieurs événements botaniques au cours de la période historique, qui peuvent être liés à des signaux anthropiques et/ou climatiques : i) une forte extension d’Artemisia (Armoise) corrélée à une régression de Quercus à feuillage caduc et la prééminence de l’olivier (Olea) sur les pistachiers (Pistacia) entre la fin de l’époque romaine et le Xe siècle, ii) la suprématie de l’oli-

vier (Olea) au cours des derniers siècles de notre ère. Le développement de l’olivier est clairement à mettre en relation avec l’intensification de l’oléiculture dans le centre tunisien, qui se manifeste déjà à l’époque romaine dans le Nord-Est de la Tunisie. Par contre, l’origine du processus de steppisation (marqué par l’accroissement d’Artemisia) à la fin de l’époque romaine est plus délicate à interpréter (aridification liée à une dégradation anthropique et/ou d’origine climatique).

Synthèse sur les conditions environnementales en Afrique du Nord à l’époque romaine.

Les différents et nombreux travaux de recherche concernant les conditions environnementales en Afrique du Nord à l’époque antique aboutissent à la construction d’un « modèle romain » sensiblement identique au modèle climatique et environnemental actuel. Comme le résume Ph. Leveau dans un bilan des recherches sur les conditions climatiques dans l’Afrique du Nord antique (Leveau, 2009), il existait

un climat favorable, car légèrement plus humide, durant la période qui s’étend du Ve s. av. JC au IIIe

s. apr. J.-C., située entre deux périodes pendant lesquelles le climat était plus sec. L’aridification de la situation à la fin de la période antique peut s’expliquer par une oscillation du climat ; à l’heure actuelle, cette modification du climat ne peut être mise en relation avec l’impact des sociétés (Leveau, 2009, p. 341), car il est nécessaire de rester prudent face aux données actuelles, qui restent rares et qui sont dif- ficilement généralisables à l’ensemble des secteurs géographiques de la Tunisie.