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Partie A Les travertins anthropiques : état de la question et nouvelle définition.

A. I.3.1 Le problème spécifique des laminations.

« Lamination is evidence of periodic change in sedimentation »

A. Pentecost (2005)

Le caractère laminé du sédiment est une caractéristique importante et primordiale d’un dépôt de travertins s.l. et représente souvent un trait remarquable du faciès et de la structure du sédiment. Cette lamination dans le travertin s.l., qui peut être plane ou relativement ondulée, se présente sous différentes formes selon l’échelle d’observation du sédiment. En effet, la gamme des structures laminées s’étale depuis des lamines irrégulières, voire discontinues, visibles à l’œil nu mais non observables en lame mince à l’échelle microscopique, jusqu’à des très fines (micro)lamines, visibles exclusivement à l’échelle microscopique. La lamination d’un sédi-

ment est le reflet d’une variation périodique de la sédimentation et de la précipitation des carbonates formant le travertin. Cette variation dans la précipitation des carbonates peut être générée par des facteurs

essentiellement physiques, qui sont reliés à des variations climatiques susceptibles d’agir sur le comportement hydrodynamique et hydrologique de la source, ou à des épisodes évènementiels, tels que des évènements de crue. Cette lamination peut également être la conséquence, directe ou indirecte, d’une certaine activité biolo- gique, à différentes échelles.

Selon Pentecost (2005, p. 37), plusieurs types de lamination peuvent être distingués dans les séquences sédi- mentaires des travertins s.l. (Fig. A.29) :

▫ une lamination répétitive (repetitive lamination) : la séquence sédimentaire montre une succession de lamines identiques entre elles.

▫ une lamination alternée (alternate lamination) : la séquence sédimentaire montre une succession d’alternances entre deux types de lamines différents. Si les deux types de lamines sont d’égale épaisseur, la lamination alternée est dite isopaque (alternate homopachous lamination). Inversement, si les la- mines sont d’épaisseur différente, la lamination alternée est dite anisopaque (alternate heteropachous lamination).

▫ une lamination cyclique (cyclothemic lamination) : le travertin s.l. montre une répétition d’une même séquence plus ou moins complexe de lamines.

La saisonnalité dans la lamination (d’ordre pluri-millimétrique à pluri-centimétrique) des travertins s.l. a été étudiée sur plusieurs exemples de séquences laminées, que ce soit pour des tufs calcaires (Kano et al., 2003 ; Arp et al., 2001 ; Kawai et al., 2009), pour des travertins (Chafetz et Folk, 1984 ; Guo et Riding, 1992) ou encore pour des spélétohèmes, c.-à-d. des travertins endokartsiques (Baker et al., 2008, Treble et al., 2003, 2005).

Concernant les tufs calcaires, Kano et al. (2003) ont suivi mensuellement la formation du dépôt carbonaté de

Shirokawa, situé dans le Sud-Ouest du Japon, sur une période de trois ans (de mars 1997 à février 2000). En

mesurant plusieurs paramètres physico-chimiques de la source responsable du dépôt (température, alcalinité, débit, pH, pCO2, concentration en ions calcium, indice de saturation de la calcite) et de son environnement naturel (précipitations hebdomadaires), et en caracétrisant les signatures pétrographiques et géochimiques des dépôts eux-mêmes, les auteurs ont pu démontrer le caractère annuel des lamines composant le dépôt, qui montrent une cyclicité alternée entre une lamine à cristallisation dense et une lamine à cristallisation poreuse. Les auteurs attribuent la lamine à cristallisation dense à la saison à fort taux de précipitation (été et automne, de juin à octobre) et la lamine à cristallisation poreuse à la saison de faible taux de précipitation (hiver et printemps, de novembre à mai). Ainsi, ils proposent une influence exclusivement inorganique sur la précipi- tation des carbonates, expliquant cette variation de cristallisation par une variation du taux de sédimentation/ précipitation générée par les variations du débit de la source elles-mêmes reliées directement aux variations

Figure A.29. Types de lamination des travertins s.l. :

a) répétitive, b) alternée iso- paque, c) alternée anisopaque et d) cyclique

pluviométriques (variabilité climatique, saisonnalité du climat).

Dans la même optique scientifique, l’observation et l’analyse, pendant une période de cinq années, du dé- veloppement du tuf calcaire sur le site de Shimokuraida, dans le Sud-Ouest du Japon (Kawai et al., 2006), amènent aux mêmes conclusions. Comme pour l’exemple du site de Shirokawa, la lamination biannuelle s’explique par les variations saisonnières du taux de précipitation du CaCO3, qui est en relation directe avec la température et le débit de l’eau. Dans la formation de ce tuf calcaire, un taux de précipitation élevé lors des saisons été-automne génère une lamine à cristallisation dense alors qu’un taux de précipitation plus faible lors des saisons hiver-printemps génère une lamine à cristallisation poreuse.

Le même phénomène de cyclicité alternée entre une lamine à cristallisation dense et une lamine à cristallisation poreuse a été étudié sur un dépôt de tufs calcaires du ruisseau de Deinschwanger, en Allemagne (Arp et al., 2001). Dans ce cas, selon les auteurs, et à l’inverse de l’exemple des sites de Shirokawa et de Shimokuraida, les lamines à cristallisation dense se forment pendant la saison hiver-printemps et les lamines à cristallisation poreuse se forment pendant la saison été-automne. Les auteurs expliquent ce phénomène par l’influence de la précipitation organique en identifiant une relation entre la texture du sédiment (dense ou poreuse) et les com- munautés microbiennes présentes dans le sédiment. Ils proposent que la texture poreuse est due à la présence de films biologiques (biofilms) à population dominante de diatomées qui se développent en hiver-printemps, et que la texture dense est le résultat de l’influence de communautés cyanobactériennes. La variation saisonnière dans les communautés microbiennes qui contrôle la lamination d’un tuf calcaire a également été démontrée pour des dépôts situés en Belgique (Janssen et al., 1999).

L’information primordiale qui ressort des ces études de la lamination d’un tuf calcaire est le caractère annuel de cette lamination. Celle-ci étant la conséquence d’une variation saisonnière, soit de l’hydrodynamisme de la source responsable du dépôt, soit de l’activité biologique des communautés microbiennes présentes et par- ticipant à la précipitation, chaque lamine est alors le reflet d’une saison (été-automne et hiver-printemps), et

chaque doublet de lamines représente une période d’une année.

En résumé :

□ Sites de Shirokawa (Kano et al., 2003) et de Shimokuraida (Kawai et al., 2006) :

1 an = 1 doublet : lamine dense (été-automne) + lamine poreuse (hiver-printemps)

□ Site de Deinschwanger (Arp. et al., 2001) :

1 an = 1 doublet : lamine poreuse (hiver-printemps) + lamine dense (été-automne)

Dans une récente étude de plusieurs dépôts de tufs calcaires de la région du Sud-Ouest du Japon, six sites étu- diés dont celui de Shirokawa vu précédemment, Kawai et al. (2009) reprennent les causes du caractère bian- nuel d’un doublet de lamines qui composent les dépôts. En analysant les paramètres physico-chimiques des sources responsables du dépôt calcaire et des variations hydrologiques, les auteurs statuent pour une influence inorganique dans les variations saisonnières de précipitation des carbonates, tout en n’excluant pas l’influence cyanobactérienne sur la texture des carbonates.

La lamination affectant certains dépôts de travertins a été étudiée sur quelques exemples de sites. Nous cite- rons l’exemple du travertin formé par la source chaude de Mammoth, dans le parc de Yellowstone, aux Etats- Unis (Chafetz et Folk, 1984) ainsi que le cas du travertin qui se forme actuellement à Rapolano Terme, en Toscane, Italie (Guo et Riding, 1992).

Enfin, de nombreuses études du caractère laminé d’un sédiment ont porté sur les spélétohèmes, qui sont sou- vent considérés comme des travertins endokarstiques. Dans le cas de ces spéléothèmes, l’annualité des dou- blets de lamines qui constituent la séquence de croissance carbonatée est maintenant prouvée et pleinement re- connue. A travers un bilan portant sur l’annualité des lamines des spéléothèmes, Baker et al. (2008) recensent les quatre types de lamination possibles constituant les séquences sédimentaires : les lamines fluorescentes dues à des variations annuelles dans le taux de matière organique, les lamines pétrographiques qui montrent une lamination alternée suivant la cristallisation (texture et fabrique) du carbonate de calcium, la lamination alternée marquée par des doublets calcite/aragonite, et la lamination marquée par les variations saisonnières des teneurs en éléments traces.

Concernant les dépôts carbonatés en relation avec des structures humaines, la lamination de ceux-ci a été étu- diée dans les aqueducs antiques de Nîmes (Fabre et Fiches, 1986) et de Fréjus (Dubar, 2006a, 2006b ; Bobée et

al., 2010). Dans les deux cas, que nous détaillerons dans notre définition de la notion de travertin anthropique,

les auteurs attribuent la formation d’un doublet de lamines à une année et proposent ainsi une chronologie relative de la structure archéologique concernée.

Nous comprenons aisément que le caractère laminé d’un travertin s.l., et particulièrement dans le cas d’un travertin s.l. préservé au sein d’une structure archéologique va avoir son importance dans nos enquêtes géoar- chéologiques. En effet, ce signal laminé géochronologique sera primordial pour la reconstitution de la

chronologie relative de la (des) structure(s) archéologique(s).