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Partie A Les travertins anthropiques : état de la question et nouvelle définition.

A. I.3.2 Reconstitution des paléoenvironnements et paléoclimatologie.

De nombreuses études ont pu démontrer le potentiel que représentent les formations travertineuses en tant qu’archives sédimentaires des paléoenvironnements. En parallèle des progrès effectués dans les méthodes de datation des séquences de travertin (datation par U/Th, radiocarbone), l’analyse du contenu biologique préservé dans les sédiments (fossilisation de la macrofaune, contenu malacologique, fossilisation de végétaux

supérieurs (Fig. A.30), conservation de traces de végétaux supérieurs (Fig. A.31), contenu palynologique, etc.) ainsi que les analyses géochimiques des isotopes stables (carbone et oxygène) offrent une certaine lumière sur les conditions environnementales du dépôt de travertin.

• Les travertins s.l., enregistreurs d’évènements géotectoniques : une mémoire de la géodynamique.

En tant qu’archives sédimentaires, les tufs calcaires, ubiquistes à la surface de la terre dans les nombreuses régions à substrat calcaire, et les travertins, majoritairement localisés dans des zones géodynamiquement très actives et à forte sismicité sont susceptibles d’enregistrer des évènements géotectoniques. Par exemple, les célèbres travertins de Pamukkale sont situés dans le bassin de Denizli, une zone à géodynamique très active où le risque sismique est jugé important (Fig. A.32). Les séismes y sont fréquents, notamment dans l’Anti- quité, en témoigne l’histoire rapportée par Strabon de ce marchand d’esclaves logeant dans la cité voisine de

Carura, surpris et englouti vivant, lui et ses esclaves, à la suite d’un tremblement de terre (Géographie, Livre

XII, 8). Dans la cité antique de Hiérapolis, les séismes furent souvent destructeurs (en particulier ceux de 17 et 60 apr. J.-C. qui détruisirent, entre autre, le théâtre romain) avec les conséquences que l’on imagine sur les communautés humaines, et, comme le montre la large fracture qui entaille un long chenal/canal rempli de tra- vertins (de date inconnue) (Fig. A.33), sur les structures hydrauliques, et plus généralement sur les formations de travertins.

Pamukkale

Figure A.30. Tronc d’arbre encroûté dans le travertin de Bagni San Filippo (Toscane, Italie) ;

Longueur visible du tronc d’arbre = 2,50 m.

Figure A.31. Fantômes de végétaux supérieurs dans la tuffière de Rolampont (Haute-Marne).

Figure A.33. Canal de travertins à Pamukkale, fracturé à la suite de séismes (Pentecost, 2005).

Figure A.32. Le site de Pamukkale sur la carte des aléas sismiques en Turquie.

Le second type d’évènements catastrophiques pouvant être enregistrés par les travertins sont les éruptions volcaniques. Les panaches de cendres émis par ces éruptions, susceptibles de se propager dans l’atmosphère sur des distances considérables, peuvent être piégés dans les dépôts de travertin lors de leur retombée. D’un point de vue historique, pour le monde méditerranéen, nous pensons bien évidemment à l‘éruption minoenne du volcan Santorin (Thera, Grèce) et à celle du Vésuve (Campanie, Italie) à l’époque romaine. La première, datée de ca. 1627-1600 BC (Friedrich et al., 2006) et réputée pour être une hypothèse de la chute de la civili- sation minoenne, et dont le panache de cendres atteignit la région de Pamukkale (Fig. A.34). La seconde, datée du 24 août 79 apr. J.-C. et célèbre pour avoir détruit et pétrifié les cités alentour (Pompéi, Herculanum, etc.), a vu son panache de cendres se propager sur plus de 100 kilomètres vers le sud de l’Italie atteignant ainsi la cité de Paestum et ses dépôts de tufs calcaires (Fig. A.35). Dans ces deux exemples, l’épaisseur des téphras susceptibles d’être retombés au sein des dépôts de travertins s.l. est de 10 cm.

0,1 10 20 4 2 0,5 Santorin (volcan) Pamukkale (travertins) lignes isopaques des téphras (cm) 2

Vésuve (volcan) Paestum (tufs calcaires) lignes isopaques des téphras (cm)

10 10 0 10 25 50 150 Figure A.34. Le site de Pamukkale et la répartition géographique des cendres (d’après Friedrich, 2000) issues de l’éruption du Santorin (ca. 1627-1600 BC).

Figure A.35. Le site de Paestum et la répar- tition géographique des cendres

(d’après Sigurdsson et al., 1985) issues de l’éruption du Vésuve (24 août 79 A.D.).

L’identification de marqueurs d’événements catastrophiques au sein de travertins s.l. répond à une double problématique, paléoenvironnementale d’une part et sociétale d’autre part, en abordant la réponse des sociétés humaines face à ces catastrophes. Ce potentiel d’archives sédimentaires reste encore, à notre connaissance, inexploité dans la communauté scientifique.

• Les travertins s.l., archives paléoclimatiques :

Les travaux réalisés sur la séquence du tuf de Caours (Somme, France) par une équipe de recherche pluridisci- plinaire (Antoine et al., 2006) représentent l’exemple le plus complet et le plus remarquable associant recons- titutions paléoécologiques et occupations humaines, pour la période du paléolithique, liées au développement d’un tuf calcaire. Les auteurs ont pu étudier la faune malacologique préservée dans ce tuf essentiellement à faciès palustre et contenant de nombreux restes végétaux encroûtés, et ont pu ainsi mettre en évidence une séquence interglaciaire, suivi d’un optimum climatique, puis d’une phase de réouverture du milieu reflétant le déclin des conditions tempérées. La datation par la méthode U/Th de la séquence tuffeuse, ainsi que sa posi- tion au sein du système alluviale de la Somme et des conclusions des enquêtes bioclimatiques, ont permis de caler cette séquence parmi l’interglaciaire Eemien (ca. 120 ka BP), faisant des niveaux archéologiques mis au jour à Caours un exemple unique, dans la France septentrionale, d’occupation humaine contemporaine du dernier interglaciaire. L’analyse des isotopes stables et de la composition en éléments traces sur cette même séquence de Caours, ainsi que sur une autre séquence de tufs calcaires, également d’époque pléistocène, de la Celle-sur-Seine (Seine-et-Marne, France), a pu montrer que les variations des isotopes stables du carbone et de l’oxygène constituent des indicateurs fiables des variations climatiques au cours des phases interglaciaires (Dabkowski et al., 2011, 2012). Ces mêmes indicateurs géochimiques avaient préalablement été utilisés avec succès, au cours d’études antérieures (Andrews, 2006), sur des séquences de tufs alluviaux d’époque holocène.

Concernant les dépôts de travertins s.l. anthropiques, Dubar (2006a, 2006b) propose une approche climatique à travers l’étude de la cyclicité de l’épaisseur des doublets de lamines constituant les dépôts carbonatés pré- servés dans l’aqueduc gallo-romain de Fréjus (Var, France, Ier-IIe s. apr. J.-C.). D’une épaisseur totale de 17

cm, le concrétionnement de l’aqueduc antique est constitué de 102 lamines, que l’auteur interprète comme le témoin de variations saisonnières biannuelles, par référence au régime hydrologique actuel des sources qui alimentaient le canal. L’analyse fréquentielle a permis de définir deux pics, l’un de haute fréquence à 7,1-7,3 ans et le second de basse fréquence à 39-43 ans, correspondant respectivement au mode actif et au mode passif qui caractérise l’Oscillation Nord Atlantique (NAO) dont le rôle est prépondérant en Europe occidentale.