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La RSE, le paradigme libéral et le paradigme du développement durable

SECTION I : LA RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE (RSE)

3- La RSE, le paradigme libéral et le paradigme du développement durable

D’après Combes (2005 : p.132), l’absence d’accord sur le sens et la portée de la RSE

n’a pas pour origines un problème de traduction, ni même un défaut de conceptualisation, mais un affrontement de deux paradigmes : un paradigme dominant libéral, dans lequel

s’inscrit notamment le courant de l’éthique des affaires, et un paradigme émergent de développement durable dans lequel s’inscrit la RSE. Ces deux paradigmes, concurrents et en grande partie contradictoires, coexistent aujourd’hui et cherchent à convaincre un auditoire de plus en plus large. Le cadre libéral a mis du temps à s’imposer comme le paradigme de référence ; il a influencé et influence encore les modes de pensée et d’agir comme l’a montré Kilbourne dans le champ particulier de l’écologie en testant l’hypothèse que, plus les individus adhèrent à ce paradigme social dominant, moins ils sont concernés individuellement par l’environnement. Partant de là, il démontre que lorsque les individus adhérant à ce paradigme commencent à se préoccuper de l’environnement, ils aggravent le problème en cherchant des solutions à l’intérieur du modèle, c’est-à-dire en ayant recours à plus de technique, plus de croissance et plus de réforme politique ! (Combes, idem : p.134).

Dés les années 80 et jusqu’au jour d’aujourd’hui, il y a eu des vagues successives de protestations dénonçant, avec une intensité hétérogène, les ravages du néolibéralisme et ses idéaux supposés procurer un bien être socio-économique à une partie de l’Humanité.

Les crises écologiques survenues depuis n’ont fait que renforcer le désenchantement envers le mirage du salvateur free market82. « La mise à l’épreuve du paradigme dominant se produit

donc seulement après que des échecs répétés, pour résoudre une énigme importante, ont donné naissance à une crise » (Kuhn repris par Combes, idem : p.135).

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Parmi les facteurs à l’originede la critique et de la contestation accrues de ce paradigme, il y a : l’incapacité à résoudre des problèmes croissants de justice sociale, de pauvreté et de préservation d’un cadre de vie

Ballet et Bazin (2004 : p.40) déclarent que le changement de ce paradigme, auquel les

sociétés sont confrontées, implique de repenser notre cadre d’analyse et de prendre en compte la problématique environnementale, non plus comme une idéologie écologiste, mais

véritablement comme un enjeu objectif. Les stratégies d’entreprises pour le développement durable exigent dorénavant des démarches globales et interdépendantes impliquant de

nombreuses relations exogènes à l’entreprise. Combes (op.cit : p.137) se réfère à Capron et al. (2004), pour qui, la thématique contemporaine de la RSE a trouvé, au moins en Europe

jusqu’à présent, un cadre de référence idéologique celui du développement durable conduisant pratiquement à assimiler ces deux notions : une entreprise socialement responsable étant une entreprise qui concourre au développement durable. Pour d’autres auteurs, la RSE est un concept importé des États-Unis lié à leur héritage puritain et apparu en France suite au déferlement de la vague éthique venant d’outre-Atlantique. Cette deuxième approche,

effectivement d’inspiration anglo-saxonne, s’inscrit dans un autre courant idéologique, celui de l’école américaine du “business ethics” (éthique des affaires). Elle est porteuse pour

nous d’une logique, non seulement différente, mais surtout concurrente de la RSE.

Aujourd’hui, la notion de développement durable semble fournir un socle normatif et une base morale acceptables et potentiellement universels qui faisaient défaut au champ de

la RSE et semble avoir permis de laïciser le concept de RSE et d’offrir une base mondiale à sa diffusion (Acquier et Gond,2005 : p. 25). Ainsi, c’est dans ce contexte précis que l’ISO a

lancé l’élaboration de la future norme ISO 26000 spécifique au domaine de la RSE83. Les lignes directrices de l’ISO 26000 s’inspireront des meilleures pratiques actuelles ; elles seront cohérentes et compléteront les déclarations et conventions correspondantes de

l’ONU et de ses institutions spécialisées. C’est l’ISO/COPOLCO, le Comité pour la Politique en matière de Consommation, qui a initialement montré en 2001, l’intérêt d’un travail de l’ISO sur une telle norme. En 2003, le groupe ad hoc de l’ISO sur la responsabilité sociétale, composé de multiples parties prenantes, qui avait été créé par le Bureau de gestion technique (TMB) de l’ISO, a réalisé une analyse complète des initiatives et enjeux RSE dans le monde. En 2004, l’ISO a organisé une conférence internationale rassemblant de multiples parties

prenantes sur le besoin ou non de lancer des travaux dans ce domaine (ISO, 2008 : p.03).

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Cette norme est destinée aux organismes de tous types dans tous les pays. Elle doit créer un consensus international sur le sens de la RSE et sur les questions que les organisations doivent traiter. Elle fournira des lignes directrices pour traduire les principes en actions efficaces et condensera les meilleures pratiques déjà établies et les diffusera mondialement. Elle ne contient pas d’exigences et elle n’est donc pas destinée à la certification comme le sont les normes ISO 9001 version 2000 et ISO 14001 version 2004.

La recommandation positive de cette conférence a conduit, à fonder fin 2004, le Groupe de travail ISO sur la responsabilité sociétale (GTRS) chargé d’élaborer la future

norme ISO 26000. 80 pays et 39 organisations en liaison participent au GTRS sous la direction commune des membres de l’ISO brésilien (ABNT) et suédois (SIS). Les principaux groupes de parties prenantes sont représentés : l’industrie, les gouvernements, les travailleurs, les associations de consommateurs, les organisations non gouvernementales, les secteurs des services, du conseil, de la recherche et autres avec équilibre géographique et équilibre hommes/femmes (ISO, op.cit).

Tableau n°02 : Paradigme libéral et paradigme du développement durable en concurrence Eléments de

comparaison Paradigme libéral Paradigme du Développement Durable

Sciences et techniques

A tout problème, on peut trouver une solution technique

Le développement de la technique est parvenu à un point tel que l’Homme devient à la fois maître

de la nature/l’environnement, mais aussi responsable, puisque sa survie est menacée par

sa propre action (Hans Jonas, 1979)

Économique

La croissance est un bienfait, source de progrès pour

les individus

Le développement durable se donne 3 objectifs : une croissance socialement équitable,

économiquement viable et écologiquement soutenable/durable Référentiels

théoriques

Théorie économique standard : durabilité faible

Concept récent (Rapport Brundtland “Our Common Future”, 1987) : durabilité forte

Idéologie

Chacun est libre de rechercher son propre intérêt. Le droit à la

propriété est fondamental

Toutes les parties prenantes doivent être associées aux décisions dans une logique concertative. Les droits des générations futures ne doivent

pas être hypothéqués. Conception

de la responsabilité

des entreprises

Limitée aux engagements contractuels

Etendue dans le temps (inter-générationnelle), dans l’espace (locale, régionale, nationale, internationale) et dans les champs d’application :

sociale, économique et environnementale

Tableau n°03: Logiques de l’éthique des affaires et de la RSE Eléments de

comparaison Logique de l’éthique des affaires Logique de la RSE

Référentiels Théorie économique standard Développement durable

Cibles visées Porte sur des comportements individuels: sur les dirigeants d’entreprise

Porte sur des entreprises en tant que collectivité

Finalité Distinction du bien et du mal : moralisation des affaires

Efficacité et pérennité des démarches volontaires

Conception de la gouvernance

Référentiel Financier • Théorie de l’agence (Berle and Means, 1930) : séparation actionnaires/dirigeants

• Rationalité conventionnelle, purement économique • Basée sur le contrôle • Approche patrimoniale

Référentiel Durable • Théorie de l’intendance (Donaldson, 1990): pas de conflits

actionnaires/dirigeants • Rationalités multiples, valeurs basées sur la concertation

• Prise en compte d’un ensemble de parties prenantes • Approche partenariale

Stratégie Dominante financière Pluridimensionnelle

Source : Combes (op.cit : p. 138), modifié par nos oins

Rappelons que l’opérationnalisation du développement durable grâce à la RSE a fait naître au sein de la firme des processus ou des outils de déclaration environnementale qui vulgarisent et informent les partenaires directs et indirects d’une possible instauration d’une culture originale et d’un projet d’entreprise inédit. Parmi ces processus qui donnent

l’impression d’être autonomes et volontaires concourant à promouvoir une image positive,

il y a le Rapport Socialement Responsable, RSR ou le Rapport de Développement Durable, RDD

(Khelladi et Salem, 2007 : p.02). Cette démarche informative, qui inclut un bilan économique,

environnemental et social, n’a commencé à être mise en vigueur que vers la fin des années 90 par certaines des grandes firmes. En 1999, près de 25% des entreprises du top 250 dans le secteur non-financier publiait un tel bilan qui a d’autres appellations anglo-saxonnes :

Sustainable Report, Corporate Citizenship Report, ou bien encore Progress Towards Sustainable Development comme chez la Royal Dutch Shell.

En France, la Loi relative aux Nouvelles Régulations Economiques (NRE) du 15 Mai 2001, a fixé les obligations légales en matière de RSR ou de RDD : « Le dirigeant

d’une société dont les titres sont admis sur un marché réglementé devra indiquer, dans son rapport de gestion, la manière dont la société prend en compte les conséquences

sociales et environnementales de son activité », citée par Meier et Schier (2005 : p.296).

Cette loi n’exige pas la réalisation d’un RSR mais d’indiquer uniquement dans le rapport

de gestion la démarche qu’adopte la firme pour répondre aux exigences sociales et environnementales. Dans les faits, la majorité des entreprises ont traduit cette obligation par la rédaction d’un RDD à part entière intégré au sein du document de référence. L’obligation sus-citée a été complétée par le Décret n°2002-221 du 20 Février 2002 précisant les informations à faire figurer au sein du RDD.

Certaines firmes élaborent des rapports simplifiés sous format papier suivis par des rapports plus complets on line en hiérarchisant des informations au niveau local, régional ou mondial, tout en s’adaptant à la demande du lieu d’implantation. Dubigeon (2002 : p.174) indique que la première étude sur la pratique de RSR a été publiée en 2000. Elle affirme qu’au

sein des 50 entreprises auditées, le champ le plus visé ou le plus couvert par le reporting vise le champ environnemental (53%) suivi du champ économique (32%) puis du champ

social et éthique (29%). Il est donc très claire que la dimension environnementale est le plus souvent l’axe du Rapport de Responsabilité ou de Performance Globale (RRG ou RPG), autres synonymes du RSR ou du RDD. Le rapport environnemental, qui peut être mensuel, rappelle les engagements de l’entreprise et les cibles pour l’année en cours et identifie les différents résultats obtenus face à chacune des cibles.

Une seconde étude de l’Association of Chartered Certified Accountants (ACCA), rapportée par Dubigeon (idem : p.167), estime que parmi 50.000 FMN, 2.000 d’entre elles, soit (04%) publient un rapport environnemental, et comme précédemment cité, presque 60 sociétés du top 250, soit (24%) appartenant à 12 nations développées, produisent un rapport annuel sur leur performance environnementale. Cette tendance est plus importante en Europe

qu’aux Etats-Unis En France, près des 2/3 des entreprises du CAC 40 ont consacré en 2000 un chapitre ou une section de leur rapport annuel aux pratiques de la RSE. Dubigeon (idem : p.168) s’appuie sur une autre étude réalisée et publiée sur Internet par le cabinet britannique SustainAbility sur le reporting de type triple bilan donnant les chiffres

* rapports financiers : 111 entreprises ont publié 213 rapports sur cette période (100 rapports sur la seule année 1997) ;

* rapports environnementaux : 125 firmes ont publié 83 rapports (50 sur 1997) ; * rapports sociaux : 13 entreprises ont publié 13 rapports, dont 10 non datés.

Ces RSR sont souvent établis selon le modèle du Global Reporting Initiative (GRI), le mieux reconnu actuellement. Ce modèle de reporting est un effort incarné par divers acteurs internationaux pour réfléchir et créer au sein de l’entreprise la trame commune d’un reporting

volontaire dans le domaine environnemental, économique et social (Bello et al., 2001 : p.48). Le GRI est une association indépendante, fondée en 1997 à Amsterdam, en vue

de définir des directives de reporting pour nombre d’institutions : firmes, administrations publiques et ONG. C’est est une émanation du Coalition for Environmentally Responsible

Economies (CERES) et du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE).

Les premiers travaux du GRI basés sur des standards communs de reporting liés aux aspects

environnementaux, sociaux et économiques furent présentés en Mars 1999 à Londres. 21 firmes tests, presque toutes anglo-saxonnes et aucune française, s’étaient prêtées à l’expérience GRI dont British Airways, Shell, Henkel, Ford, General Motors, Electrolux,

ainsi que Procter and Gamble.

Depuis 1999, la prise en compte des méthodes du GRI s’est accrue au sein de

différentes organisations à travers le monde. Pour Meier et Schier (op.cit : p. 299-300), au delà de la définition des qualités d’un bon rapport (pertinence, fiabilité et clarté des

données, comparabilité dans le temps et vérifiabilité par des auditeurs externes), le GRI propose de structurer le RSR en trois parties : i) vision et stratégie de l’entreprise,

ii) structure de gouvernance, organisation et système de gestion et iii) indicateurs de

performance économique, sociale et environnementale. Enfin, pour ce qui est des indicateurs

de performance environnementale devant être inclus dans les RSR, Meier et Schier (op.cit)

citent, entre autres : le taux de consommation d’eau, de matières premières et d’énergie,

les quantités de gaz à effets de serre émises, le pourcentage des produits récupérés et recyclés, la contribution à l’innovation pro-environnementale, le respect des lois et règlements ainsi que

SECTION II : LES STRATEGIES ENVIRONNEMENTALES DES ENTREPRISES

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