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L’économie écologique : vers le verdissement économique

SECTION II : LES BRANCHES DE L’ECONOMIE ENVIRONNEMENTALISTE

2. L’économie écologique : vers le verdissement économique

Outre l’économie de l’environnement, il y a lieu de signaler un autre mouvement

d’appréhension des problèmes de l’environnement édifié par des économistes hétérodoxes, à travers un certain nombre d’écrits3

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publiés à partir des années 60 (Vivien, 2006 : p.04). L’économie écologique ou la bio-économie indique que la question environnementale conduit à une crise de la science économique4

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et à sa remise en question radicale. D’après Godard (op.cit : p.03), l’économie écologique s’intéresse aux interrelations entre l’économie et le processus physique et biologique de la planète Terre dont cette économie dépend via une

démarche générale appelée écologie systémique. L’économie écologique tente d’intégrer des éléments empruntés à la fois aux sciences de la nature et à la partie des travaux

économiques les plus préoccupés du fonctionnement de l’économie matérielle des hommes : des économistes et des écologues vont essayer de fonder ensemble une nouvelle branche, en rapprochant, voire en fusionnant, les éléments clés de l’économie et de l’écologie.

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Préoccupée par la menace contre ses pêcheries de langoustes, l’Australie a évalué le rendement durable de la pêcherie et a émis des permis selon le nombre de langoustes pouvant être pêchées chaque année ; les pêcheurs ont pu ensuite acheter ces permis aux enchères. Depuis l’adoption de ce système en 1986, les pêcheries se sont stabilisées et semblent fonctionner sur une base durable (Brown, 2003 : p.367).

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On peut citer, à titre d’illustration, les analyses de Boulding (1966) et Georgescu-Roegen (1966).

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Idée exprimée, par exemple, par William Kapp (1970): « Environmental disruption and social costs of the

character and scale now confronting modern industrial societies have created such critical conditions that is has become urgent to raise new questions about the adequacy and relevance of the old framework of analysis ».

Les exemples ne manquent pas de disciplines qui apparaissent à la frontières de deux sciences : biochimie et psychosociologie, par exemple. Le mouvement de l’économie

écologique puise ses origines, entre autres, dans les travaux de Sergueï Podolinsky, économiste russe du dernier quart du 19ème siècle qui a tenté une évaluation de la ponction

opérée sur la nature non pas en termes monétaires mais en calories. Selon Vivien (op.cit), ce mouvement est une sorte de « révolution copernicienne » pour les économistes hétérodoxes

impliquant un renversement des perspectives et des hiérarchies habituellement établies par les néoclassiques. Outre Howard Odum, d’autres scientifiques, y compris des économistes de renom, comme Kenneth Boulding, Robert Ayres, Nicholas Georgescu-Roegen, Herman Daly, René Passet et Malte Faber ont contribué à diffuser cette nouvelle branche scientifique.

Alors que l’économie de l’environnement incorpore les actifs naturels à l’intérieur de la logique économique marchande, l’économie écologique insère l’économie au sein des régulations écologiques24. Pour Billaudot et Destais (2009 : p.10), l’économie écologique

s’est fondée sur la critique du postulat de substituabilité parfaite entre capital naturel et technique. Ses adeptes ont cherché à comprendre les incompatibilités entre le système

écologique et le système économique totalement désencastré du premier, donc à se préoccuper

des conditions du ré-encastrement de l’économie dans l’écologie, seul à même de permettre une croissance durable. A ce sujet, Harribey (2000) reprend les propos de Passet :

« L’économie s’insère dans une organisation sociale qui elle-même doit s’insérer dans l’ensemble des systèmes vivants sous peine d’en contrarier les conditions de reproduction ».

Suivant cette citation, la philosophie des économistes écologiques, Herman Daly, à leur tête, va porter sur la généralisation de la perspective macroéconomique à des aspects écologiques : le circuit économique n’est plus en autarcie avec les écosystèmes puisqu’il y puise des

matières premières et de l’énergie, les transforme pour produire des biens et des services, et, ce faisant, y rejette des rebuts de formes multiples. Georgescu-Roegen, qui fut le maître à penser de Daly, a insisté tout particulièrement sur le fait que la machine économique est entropique : du point de vue thermodynamique, cette machine fait passer, sans cesse, des richesses de basse entropie en des richesses de haute entropie. Cette idée originale a

encouragé probablement les économistes écologiques à reconsidérer ou à rediscuter de certains agrégats macroéconomiques vitaux (PIB, demande totale, investissement global, taux de croissance, offre agrégée) sur une base biophysique apte à mieux cerner les causes des catastrophes écologiques.

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Les économistes écologiques mettent en avant l’idée de "co-évolution" entre les systèmes écologiques et les systèmes socio-économiques comme c’est le cas de Daly et Farley (2004).

C’est dans cette optique, d’après Daly et Farley (2004), cités par Vivien (op.cit : p.05), qu’il faut définir la croissance économique25. Ces auteurs traitent d’une croissance au sens physique du terme, d’une croissance en termes de quantités d’énergie et de matières premières utilisées par les activités économiques. La croissance entendue dans ce sens est transformation et dégradation de l’environnement. C’est même une sorte de système de vases communicants qui fonctionne : la croissance du système économique se faisant au détriment de l’organisation de la biosphère. Vient donc se poser la question de la coexistence des deux systèmes économique et écologique. S’appuyant sur ce qu’a dit Daly et Farley, Vivien (idem) note que l’une de interrogations pertinentes de l’économie écologique est celle de la taille optimale ou critique de l’économie26. En d’autres termes, jusqu’à quelles limites est-il

rationnel de faire croître le système économique ? à partir de quand cette croissance économique va-t-elle se faire au détriment du bien-être des individus, du fait des dégradations environnementales induites ?

* L’apport de la thermodynamique

La complexité des liens entre nature et économie a fait construire un type inédit de réflexion tirant ses racines de l’usage des lois thermodynamiques fondées sur la notion d’entropie qui a concouru à bousculer et à réinterpréter des principes économiques pris pour

des principes immuables. De ce fait, une nouvelle approche entre le monde économique et les actifs naturels est née suite au développement des acquis scientifiques physiques et énergétiques. L’importance de la thermodynamique dans l’étude de la question écologique et ses apports dans l’analyse économique sont reflétés dans 02 principes : i) le premier postule

que l’économique, via ses multiples processus (notamment les processus industriels), ne peut guère créer et/ou détruire de la matière et de l’énergie : il peut seulement les réarranger. Ici donc, c’est le célèbre principe de Lavoisier qui est mis en avant : rien ne se crée, rien ne

se perd, tout se transforme. Cette première loi, dite loi de conservation de l’énergie pose une

équivalence comptable des intrants dans les processus productifs, sans exception, puisque le volume de la matière ou de d’énergie dans l’univers est constant, même s’il change de forme.

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La croissance économique est définie habituellement par la variation annuelle du PIB (la variation doit être positive). On ne peut donc pas relier automatiquement cet agrégat monétaire à une information relative aux quantités d’énergie et de matières consommées par les secteurs d’activité.

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L’économie écologique recherche le renouvellement conceptuel et méthodologique de l’économie dans le rapprochement interdisciplinaire avec ces sciences de la nature (thermodynamique ou biologie des systèmes). Elle a entraîné avec les années la formation d’une Association internationale pour une économie écologique, l’institution d’une revue d’une notoriété internationale Ecological Economics et la publication d’ouvrages dont celui dirigé par Robert Costanza (1991) est la première manifestation.

Au niveau global, ce sont donc la somme de toutes les matières premières non énergétiques et énergétiques extraites de l’environnement naturel et les flux de déchets

retournant soit dans la production par recyclage, soit, in fine dans l’environnement. Ainsi, la consommation de charbon d’une année doit être égale au montant des émissions de gaz et de solides issus de sa combustion ; ii) Le second principe a été formulé par l’économiste

roumain Nicholas Georgescu-Roegen notamment avec son ouvrage The entropy law and

the economic process (1971). II intègre à l’économie, la loi de dégradation ou d’entropie :

l’énergie, bien que constante, se transforme de plus en plus en chaleur irrécupérable et inutilisable. La sphère économique puise de l’énergie et de la matière de basse entropie

dans l’environnement et la convertit, après usage, en matière et énergie de haute entropie, c’est-à-dire, fortement désorganisées. La combustion d’énergies fossiles transforme de la

matière hautement structurée en gaz et particules dispersés ainsi qu’en énergie de plus haute entropie libérée sous forme de chaleur.

La nature entropique de l’économie explique pourquoi un recyclage à 100% est impossible et ce, d’autant moins que l’énergie utilisée pour le recyclage, n’est pas elle-même

recyclable, elle ne peut qu’être économisée. D’où l’intérêt que va susciter ce paradigme de la thermodynamique pour toute une lignée d’ingénieurs économistes. L’une des conclusions de l’usage des lois de la thermodynamique à l’activité économique est que les pollutions sont dûes à la croissance de l’entropie issue d’une consommation accrue d’énergie fossile. Georgescu-Roegen fut l’un des premiers à tirer les conséquences de la thermodynamique

pour l’économie. Harribey (2002 : p.15) se réfère à Georgescu-Roegen qui avance que

« l’entropie d’un système clos augmente continuellement (et irrévocablement) vers un maximum ; c’est-à-dire que l’énergie utilisable est continuellement transformée en énergie inutilisable jusqu’à ce qu’elle disparaisse complètement ».

Il a montré que la sphère économique s’insérait dans un univers physique soumis à la loi de l’entropie. Selon lui, même si la fonction de production néoclassique présente la

production comme une relation technique entre des intrants et des extrants, elle ne décrit finalement aucune réalité physique. Rompant avec celle-ci, il va mettre en avant la notion de « processus », à savoir une transformation contrôlée de la nature qui se déroule dans un certain contexte organisationnel. Sous son aspect biophysique, la production économique est une transformation de « basse entropie » en « haute entropie », et ce tant du point de vue de l’énergie que de la matière, avancent Dannequin et al. (2000 : p.66).

On trouve des idées très proches chez Robert Ayres, Allen Kneese et Ralph D’Arge qui ont développé les études des bilans matières en économie. C’est le premier principe de la thermodynamique qui sert de guide à ce type d’approche. Pour Dannequin et al. (op.cit), dans une économie fermée, où il n’y a pas d’accumulation nette (sous forme d’usine, d’équipements, d’immeubles, etc.), la masse de rejets et de déchets de toute sorte produits par le système économique équivaut approximativement à la masse d’énergie et de matière utilisées par ce même système. Dans son "programme bioéconomique minimal", Georgescu-Roegen en appelle à une décroissance économique à travers la réduction de la consommation marchande des individus par le rejet des gadgets, de la mode et des objets inutiles27. Selon lui, le développement économique est fondé sur l’utilisation inconsidérée du stock terrestre d’énergie accumulé au cours du temps (Harribey, op.cit). Certains penseurs tels Ivan Illich ou André Gorz avancent la nécessité de repenser la notion de besoin et de réfléchir à l’élaboration d’une norme du suffisant. Illich et Gorz en appellent ainsi à la découverte d’une « austérité joyeuse », un modèle de société où les besoins sont réduits, mais où la vie sociale est plus riche parce que plus conviviale, affirment Dannequin et al. (op.cit : p.71-72).

A l’issue de cette seconde section, nous pouvons dire qu’au-delà de leur opposition

d’approches, l’économie de l’environnement et l’économie écologique proposent, chacune de son côté, un cadrage analytique intéressant inhérent aux rapports complexes entre

l’environnement naturel et le monde économique. Ces deux disciplines assez récentes ont fourni et, fournissent toujours à l’heure actuelle, une foisonnante littérature composée de

travaux théoriques et surtout empiriques ayant été à l’origine de plusieurs alternatives ou solutions qui ont aidé, plus ou moins, à sauvegarder une part non négligeable du

patrimoine naturel aussi bien à l’intérieur des frontières nationales qu’en dehors de ces

frontières. Ces travaux ont contribué à baliser le chemin à l’émergence d’un concept devenu axial en matière de protection de l’environnement, en l’occurrence, le concept de

développement durable, objet de la section suivante.

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A ce propos, on parle de concepts de décarbonisation ou dématérialisation de l’économie. Georgescu-Roegen dénonce l’idée, selon laquelle, les seules limites naturelles que rencontrerait le développement industriel résident dans l’énergie disponible pour le système de production.

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