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Les externalités : historique, définitions et typologies

SECTION II : LES BRANCHES DE L’ECONOMIE ENVIRONNEMENTALISTE

1- L’économie de l’environnement

1.1. Les externalités : historique, définitions et typologies

Les problèmes d’environnement surgissent lorsque de semblables pertes d’utilité des agents économiques ne sont pas supportées par la régulation marchande ; elles ne font pas l’objet d’un versement monétaire compensatoire. Faucheux et Noël (1995 : p.177) se référèrent à Godard (1993) pour qui « le critère d’existence des problèmes n’appartient pas à la sphère de

l’environnement, il est exclusivement interne à la théorie de la régulation économique par le

marché ». Pearce and Turner (1990) notent : « La présence physique de pollution ne signifie

pas qu’une pollution existe « économiquement »…Même si une pollution existe économiquement,

il n’est pas certain qu’elle doive être éliminée » (repris par Faucheux et Noël, idem).

La théorie économique de l’environnement propose une formalisation des problèmes environnementaux conforme au cadre de la micro-économie néoclassique. Elle envisage leur traitement sous l’angle de la recherche d’une solution ayant toutes les caractéristiques de l’optimalité (ex : pollution optimale). L’économie néo-classique, dont l’analyse repose sur le système de marchés concurrentiels, pourrait paraître dépourvue pour prendre en compte des phénomènes qui appartiennent clairement au domaine de l’extra-économique par leur origine mais qui ne sont pas sans lien avec la sphère économique. Elle a pourtant engendré avec le concept d’effet externe, externalité, ou économie/déséconomie externe une représentation de la faillite ou défaillance du marché ("market failure") susceptible, à la fois, d’offrir une description des phénomènes de nuisances (y compris donc de pollution) cohérente avec la définition de l’économique qui est la sienne et aussi de fournir des instruments de correction

Par défaillance de marché, Bator entend toute « défaillance d’un système plus ou

moins idéalisé d’institutions de prix de marché à soutenir des activités ‘désirables’ ou stopper des activités non ‘désirables’» (cité par Berta, 2008 : p. 14). Ce qui est sûr, c’est que l’origine

du terme effet externe remonte à la fin du 19ème siècle. Initialement proposé par Sidgwick (dans les années 1880) et Marshall (1890)14, puis développé par Pigou (1920), le concept d’externalité ou d’effet externe permet de rendre compte des interdépendances ou interactions hors marchés entre fonctions d’utilité et/ou de production (Grolleau et Salhi, 2005 : p.116).

La postérité de ce concept sera capitale puisque, sous le nom d’externalité, est assorti d’une façon négative, la déséconomie externe qui sera au centre du traitement des problèmes d’environnement par la théorie néoclassique. Pour Cropper et Oates (1992), repris par Grolleau et Salhi (idem : p.117), le concept d’externalités est la pièce maîtresse de l’économie de l’environnement.

C’est avec Pigou, fondateur de la théorie du bien-être à partir des années 1920, que se trouvent posés les fondements de la théorie des externalités dans son ouvrage,

The economics of welfare, en prenant pour illustration, une analyse du bien-être des cas

relevant à l’évidence du milieu naturel, tel celui d’une cheminée d’usine qui fume et salit

le voisinage. En quelques années seulement, entre Marshall (1890) et Pigou (1920), le même concept d’effet externe ait pu passer de l’explication des bienfaits du district

industriel marshallien à la prise en compte des nuisances dûes au développement de l’industrie. Ronald Coase (2005 : p.156) indique que la source première de l’analyse

économique moderne de ces problème est l’ouvrage de Pigou qui traite des divergences entre les produits nets sociaux et privés15 qui adviennent parce qu’une personne A,

au cours d’un service rémunéré rendu à une seconde personne B, rend aussi incidemment

service ou nuit à d’autres personnes (non productrices de services comparables), service d’une telle ampleur qu’aucun paiement, aucune compensation imposée au nom des

parties lésées ne peut être exigé des parties qui en profitent.

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Selon Faucheux et Noël (op.cit : p.77), Marshall cherchait à déterminer les facteurs de la décroissance des coûts des firmes industrielles anglaises ; il en isole deux : « économies internes » et « économies externes ». Les premières, dépendent surtout de l’organisation de la firme, mais aussi de sa taille. Les secondes proviennent de ce qu’il appelle « le progrès général de l’environnement industriel » et passent par la localisation de la firme, par exemple au sein d’un district industriel, ou par son appartenance à une branche particulière. Pour lui, l’économie externe est une influence bénéfique assez vague de l’environnement industriel, et de ce fait, montrer

que l’existence de firmes à coûts décroissants est compatible avec le maintien à long terme de la concurrence.

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Pour Pigou, l’économie ou la déséconomie externe est analysable en termes de divergence entre coût privé et coût social. Ce dernier étant pris au sens de coût pour l’ensemble des agents économiques formant la collectivité.

De son côté, Berta (op.cit : p.02) s’appuie sur ce qu’a avancé Laffont (1987) pour qui

« l’externalité se définit comme l’effet indirect d’une activité de consommation ou de production sur l’ensemble de consommation, la fonction d’utilité d’un consommateur ou l’ensemble de production d’un producteur. Par indirect, nous entendons que cet effet concerne un agent autre que celui qui exerce l’activité économique et que cet effet ne passe pas par le système de prix ». Faucheux et Noël (op.cit : p.180) se réfèrent à une définition de

l’effet externe proposée par Pigou qui présente ce concept d’une manière plus claire que Marshall, définition qui insiste sur le caractère hors-marché de l’effet : « L’essence de l’effet

est qu’une personne A en même temps qu’elle fournit à une autre personne B un service déterminé pour lequel elle reçoit un paiement, procure par la même occasion des avantages

ou des inconvénients d’une nature telle qu’un paiement ne puisse être imposé à ceux qui

en bénéficient ni une compensation prélevée au profit de ceux qui en souffrent ».

Deux points fondamentaux sont à relever ici :

* l’effet est positif ou négatif : on parlera soit d’économie externe si l’effet est positif (externalité positive) ou de déséconomie externe si l’effet est négatif (externalité négative) ;

* l’absence de compensation par un paiement exprime le caractère non-marchand qui est à l’origine de l’économie ou de la déséconomie. “Externe, ne veut plus dire externe à la firme comme chez Marshall, mais extérieur à l’échange marchand.

Pour sa part, Godard (2004 : p.09) affirme : « Les effets externes se présentent lorsque

l’action d’un agent affecte positivement ou négativement la fonction d’utilité d’un autre agent en dehors d’un échange volontaire entre eux et de toute mise en jeu d’un phénomène de marché. En présence de telles externalités, l’effet d’« utilité » ou de « désutilité » imposé aux tiers, ne fait pas l’objet d’un paiement compensatoire. Sa valeur est donc ignorée de l’agent émetteur, ce qui engendre une inefficacité dans l’allocation des ressources du fait de l’écart entre coûts privés et coûts sociaux, l’agent émetteur produit en trop grandes quantités le bien

dont la production engendre l’externalité, lorsque celle-ci est négative ».

Donc, en présence d’externalités positives ou négatives, les calculs des acteurs économiques qui s’appuient sur les prix sont faussés, ce qui conduit à une mauvaise allocation des ressources, relativement à une situation d’optimum au sens de Pareto, situation hors de laquelle nul ne peut accroître ses gains sans diminuer ceux d’un autre. Les externalités sont ainsi des échecs du cadre marchand et l’environnement naturel apparaît comme le cas typique de l’imperfection qui se glisse dans la perfection supposée du marché de concurrence parfaite.

La proposition fondamentale de la théorie des externalités est l’internalisation des effets externes pour rétablir une allocation efficace des ressources. Dans ce cas, l’enjeu va être de faire rentrer à l’intérieur de la configuration marchande ce qui, au départ, lui est extérieure

et rétablir la régulation du marché. Dans ce registre, Callon (1999), repris par Vivien (2006 : p.04), parle d’un "cadrage marchand" visant l’élaboration de signaux prix liés à

l’environnement, lesquels vont permettre aux opérateurs économiques de confronter leurs préférences ou de négocier autour du bien-être qu’apporte l’environnement. Il y a maintes procédures possibles pour produire ces signaux, entre autres : une taxe infligée aux pollueurs pour couvrir les coûts à l’ensemble de la société ou une négociation directe entre agents économiques en conflit16. Signalons que les externalités peuvent être classées selon plusieurs

catégories car comme nous l’avons déjà cité, elles peuvent être négatives ou positives. Suivant son origine, nous avons les externalités de consommation, provoquées par l’utilisation

de certains biens (tabagisme, bruit des voitures, déchets ménagers) et les externalités de

production, causées par l’activité des entreprises (émissions de gaz polluants : le souffre par

certaines industries ou pollution par les nitrates des sols et des cours d’eau par l’agriculture). Lorsque la source productrice de l’externalité n’est pas identifiable, ce qui est le cas de nombreuses situations de pollution globale, l’externalité est dite diffuse.

Dans certains cas, un agent qui subit une externalité peut la faire peser sur d’autres agents (par exemple, pour les déchets qui peuvent être transférés d’un pays à un autre) ;

l’externalité est alors transférable. Pearce (1976) a distingué une autre classification dans la sphère environnementale, entre externalités statiques et externalités dynamiques. Les premières, sont souvent spécifiques, localisées et réversibles et leur solution relève de

l’internalisation entre agents économiques. Les secondes ont des effets persistants sur l’économie et des répercussions écologiques prolongées (ex : altération de la couche d’ozone). Elles sont globales, irréversibles et complexes et, ne pouvant être réduites à une relation hors marché entre agents, relevant d’autres méthodes de solution que de la simple internalisation. Sur le plan international, diverses façons de classer les problèmes d’environnement existent pour traduire la relation pollueur-pollué ou la causalité pollution-dommage. Dans son article « International environmental problems », Karl Göran Mäler (1990), cité par Barde (1992 : p.343-345), distingue trois catégories d’externalités internationales, dites transfrontières :

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Ces procédures ou instruments amènent nécessairement à se pencher sur la question de l’appropriation de l’environnement et sur celle de l’évaluation économique des actifs naturels qui sont deux domaines de recherche de l’économie de l’environnement.

* les externalités unidirectionnelles17 : un fleuve transfrontier qui charrie la pollution

déversée par un pays amont vers un pays aval. On peut distinguer quatre cas : le premier est

bilatéral : un pays amont pollue un pays aval. Le second concerne un pays amont qui pollue

plusieurs pays aval. Dans le troisième, plusieurs pays amont polluent un seul pays aval. Enfin, le quatrième cas, multilatéral, est celui de plusieurs pays amont polluant plusieurs pays aval.

* les externalités réciproques régionales ou transnationales : elles concernent le cas où un ensemble de pays se trouvent à la fois sources et victimes de la pollution. Tel est l’exemple des pluies acides en Europe : tous les pays sont pollueurs, principalement à travers les émissions de SOX par les installations de combustions et de Nox par les transports routiers, et tous ces pays sont en même temps pollués. L’enjeu est complexe puisqu’il faut, à la fois, partager les coûts de la dépollution et les coûts des dommages.

* les externalités réciproques globales ou internationales (dynamiques chez Pearce) qui affectent la totalité ou la quasi-totalité des pays de la planète. Dans la plupart des cas, l’ensemble des Etats est à la fois source des dommages et victimes : cas du réchauffement de la planète causé par les gaz à effet de serre rejetés par tous les Etats sans exception, ce qui ne veut pas dire en revanche, que tous émettent en quantité égale. Un cas similaire est celui de la détérioration de la couche d’ozone par les ChloroFluoroCarbones (CFC) utilisés notamment dans les aérosols comme réfrigérants et dans l’électronique. Il se peut aussi que quelques pays seulement soit la cause d’une externalité globale : la chasse à la baleine, qui menace l’espèce d’extinction, est pratiquée par un nombre limité de pays (principalement, le Japon et certaines nations scandinaves, comme la Norvège). On peut citer également : la déforestation tropicale qui menace, à la fois, le patrimoine biologique mondial et contribue à l’effet de serre comme c’est le cas de la forêt amazonienne.

Notons à la fin qu’il y a diverses typologies, mais ce qui nous importe, c’est celles qui ont une relation avec l’environnement naturel. En fait, des typologies comme celles de Buchanan (1969) et Meade (1952, 1973) basées sur les externalités pécuniaires et les externalités non-pécuniaires sont à citer. Les premières, surviennent lorsque l’interaction entre agents entraîne, par exemple, un changement du prix de marché d’un bien. Pour ce qui des effets externes non-pécuniaires, ce qui veut dire absence de prix, nous pouvons reprendre le célèbre exemple de James Meade de l’apiculture et du propriétaire du verger : les abeilles de l’un font leur miel avec les fleurs des arbres de l’autre, lequel profite du butinage des abeilles car il facilité la formation des fruits (pollinisation).

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Un exemple connu, qui relève de ce type d’externalité unidirectionnelle est celui du Rhin qui, après avoir traversé la Suisse, l’Allemagne et la France, arrive avec le maximum de pollution aux Pays-Bas dont il constitue, avec la Meuse, la plus importante source d’eau douce. L’une des principales pollutions provient des rejets de sels par les mines de potasse d’Alsace.

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