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L’environnement, entre réservoir inépuisable de ressources et "capital" naturel

SECTION I : RAPPORTS ENTRE ENVIRONNEMENT NATUREL ET ECONOMIE…

4- L’environnement, entre réservoir inépuisable de ressources et "capital" naturel

en parallèle avec la croissance démographique trop importante à ses yeux. Pour Ouharon (2006 : p.169), Malthus considère les ressources naturelles comme un facteur limitant de la croissance démographique et économique en estimant que l’accroissement du produit total dû au progrès technique se trouve complètement absorbé au bout d’un certain délai par l’accroissement démographique9. Malthus postule que la population croît plus rapidement

que les subsistances : il affirme qu’un frein positif s’impose et limite la croissance de la population ; cette croissance réduit la production par tête, ce qui conduit à augmenter le taux de mortalité ; il y a donc une crise récurrente qui se produit.

Pour sa part, David Ricardo fondait nombre de ses démonstrations sur la fertilité décroissante des terres qu’on était obligé de mettre en culture au fur et à mesure que la population et les besoins augmentaient. Stanley Jevons, attira l’attention sur le charbon qui ne

pourrait éternellement assurer la suprématie de la Grande-Bretagne. Adam Smith, et surtout, John Stuart Mill comprirent que la dynamique du développement économique ne pouvait être

infinie et qu’il conviendrait de s’acheminer vers l’état stationnaire (steady state), alors que Ricardo redoutait cette échéance. Malgré sa foi dans le progrès, Karl Marx n’excluait pas la prise en compte des dangers que celui-ci faisait courir à la nature. Lorsque qu’il parle de la nature, il est conscient des risques que fait peser sur elle l’accumulation du capital. Mais Marx a d’autres préoccupations avec la misère du prolétariat et la montée des révolutions ouvrières

en Europe, et ce même quand il voit l’immense pollution à Londres (Harribey, 2000). Dans une situation de défaillance du marché, donc de mauvaise définition des droits de

propriété sur les ressources naturelles, la croissance rapide de la population est un facteur accélérateur de la dégradation environnementale consécutive à l’utilisation des ressources naturelles en libre accès. Dans ce contexte, le niveau d’utilisation de la ressource naturelle augmente, toutes choses égales par ailleurs, corrélativement à l’accroissement de la taille de la population y ayant accès. Une maîtrise de la croissance démographique rapide est souhaitable (Ouharon, idem : p.170). Mais ces préoccupations furent court-circuitées et finalement balayées au sein de la théorie économique par deux contre-vérités ou objections majeures rapportées par Harribey (idem) :

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Ce modèle se base sur une fonction de production à rendements décroissants. En supposant un facteur de production fixe (la ressource naturelle), on s’attend à ce qu’une population plus nombreuse implique une production plus importante, mais selon une progression moindre que celle de la population, d’où une baisse du produit par tête.

1) par une affirmation de l’économiste français Jean-Baptiste Say : les ressources naturelles comme l’eau, l’air, sont inépuisables, donc elles sont gratuites. L’inépuisabilité de ces ressources l’avait conduit à appliquer la notion de gratuité aux actifs environnementaux telle une simple extension des règles de la sphère des marchandises : celles-ci étant toujours en quantité limitée, elles avaient un prix ; par analogie inversée, les ressources naturelles étant en quantité illimitée, elles seront donc gratuites.

2) la deuxième raison pour laquelle les craintes sur l’épuisement des ressources furent balayées au sein de la théorie économique tient au fait que la rareté des ressources naturelles n’est pas ressentie comme une rareté physique mais comme le résultat de la rareté éventuelle des facteurs de production nécessaires à leur mise à disposition de l’industrie : le travail et le capital matériel. C’est cette deuxième raison qui va avoir de lourdes conséquences sur la manière dont va être appréhendée la question de la nature par la théorie néo-classique qui devint la théorie dominante à partir de la fin du 19ème siècle.

Au fur et à mesure que se produisit l’essor du capitalisme et que les progrès techniques laissèrent entrevoir des possibilités de remplacement de certaines matières premières par des produits synthétiques (le caoutchouc naturel par le caoutchouc synthétique, et aujourd’hui le

fer par les fibres de carbone), les économistes néo-classiques imposèrent peu à peu l’idée que les ressources naturelles étaient assimilables à du capital matériel, donc susceptibles

d’être produit et reproduit indéfiniment. Pourquoi dès lors se préoccuper de la baisse

de la fertilité de la terre, puisque la fertilité pouvait être reconstituée et même augmentée grâce à des fertilisants chimiques de plus en plus performants ? Cependant, note Vivien

(2003 : p.04), à partir des années 1860, l’industrie prenant le pas sur l’agriculture, des analyses s’inspirant de la thermodynamique et de la théorie malthusienne amènent

nombre d’auteurs libéraux comme Jevons et Cournot à reprendre cette image d’une économie

destructrice, caractérisée par la fuite en avant et une vision à court terme, et à s’inquiéter des

rythmes d’exploitation de certaines ressources et de la destruction des milieux naturels. Déjà en son temps, Joseph Schumpeter (1912) avait réfléchi sur la distinction à opérer entre

les changements quantitatifs et qualitatifs que connaissent les économies modernes résumée par sa phrase célèbre : « Additionnez autant de diligences que vous voulez, vous n’obtiendrez

jamais une locomotive ». La croissance est définie comme un changement quantitatif tandis

que le développement l’est par un changement qualitatif. La croissance est généralement appréhendée par une augmentation du produit économique global (Produit National Brut, PNB par habitant, par exemple).

Le développement, selon François Perroux (1974) est « la combinaison des

changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement, son produit réel global ». Ainsi donc, il peut y avoir une

croissance économique sans qu’elle engendre de réel développement de la société. Le développement n’est donc pas automatique pour Vivien (op.cit : p.07). Comme le note si

bien Yachir (1992 : p.418), il peut paraître extraordinaire que les économistes aient pu faire

aussi longtemps l’impasse sur les effets de l’activité économique sur le milieu naturel. La quasi-totalité des économistes, soucieuse des critères sociotechniques de la croissance ou

de la recherche de l’optimum dans l’allocation des facteurs de production donnait une importance sporadique et mal entretenue au sujet de la gestion économique de la biodiversité. La réflexion du corpus des économistes portée sur le patrimoine naturel réduisait ce dernier en des intrants (inputs) transformés en biens marchands en stipulant que les écosystèmes

biologiques sont un espace intarissable, gratuit et libre d’accès et que, de ce fait, la consommation humaine accrue ne pouvait l’altérer.

Si elle a négligé la capacité de nuisance de l’activité économique et le caractère épuisable des produits du sous-sol, c’est parce que la science économique a implicitement

postulé l’existence à tout moment d’une offre illimitée de ressources naturelles. Parmi celles-ci, les économistes ont toujours distingué entre les biens dont l’offre ne doit rien

au travail de l’homme et dont la propriété est commune, tels l’air et l’eau, et les biens dont la disponibilité effective dépend du travail et dont l'appropriation peut être privative, comme

les produits du sol et du sous-sol (Yachir, idem). D’après Barthélemy et al. (2004 : p.335), la prise en compte de la problématique environnementale par les économistes du marché s’est réalisée notamment par le truchement de la notion de ressources naturelles10. Qualifier quelque chose de ressource, c’est implicitement le faire entrer dans la sphère de la production et l’adjectif « naturel » fait de cette « ressource » quelque chose d’extérieur et de préexistant à la société qui entend l’utiliser. Cela revient alors à traiter la nature comme

un capital. En général, le capital est considéré comme étant un stock de matières ou d'information qui existe à un moment donné, avancent Costanza et al. (1997 : p. 254).

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C.W. Howe (1979) en retient l’essentiel lorsqu’il écrit : « Les principales classes de ressources naturelles

sont les terres agricoles et forestières et leurs multiples produits et services ; les zones naturelles préservées dans un but esthétique, scientifique ou de loisirs, les pêcheries en eau douce ou salée, les ressources minérales énergétiques et non énergétiques, les sources d’énergie solaire, éolienne et géothermique, les ressources de

l’eau et la capacité d’assimilation des déchets par l’ensemble des parties de l’environnement ».

Les actifs naturels sont non productibles par l’homme et répondent à une demande humaine. En parlant de ressources naturelles, il faut distinguer entre celles dites épuisables ou non-renouvelables et celles dites inépuisables ou renouvelables dont l’inscription dans des cycles biophysiques assure, en dehors de toute production humaine, la régénération ou la croissance à un horizon économiquement significatif dès lors que certaines conditions naturelles sont respectées (cité par Faucheux et Noël, 1995 : p.87).

Ce sens est devenu plus explicite encore avec l’introduction dans la théorie économique de la notion de "capital naturel", que cela soit dans les raisonnements macroéconomiques des théories de la croissance (Solow, 1974) ou dans les travaux portant

sur des actifs environnementaux plus spécifiques, comme les ressources halieutiques par exemple (Clark, Munro, 1975), repris par Barthélemy et al. (op.cit). Le mouvement

d’extension de la sphère du capital permettant un élargissement des thématiques économiques aux considérations non commerciales a une portée beaucoup plus générale. A côté du capital produit (actifs de production fabriqués par l’homme, actifs incorporels et actifs financiers), sont venus prendre place le capital humain (des citoyens en bonne santé, instruits et productifs), le capital social (les réseaux de normes, valeurs et convictions communes qui facilitent la coopération au sein des groupes et entre eux) et le capital naturel (ressources naturelles renouvelables ou non qui entrent dans les processus de production ainsi que les actifs environnementaux essentiels à la survie de l’espèce). Barthélemy et al. (op.cit : p.336)

se réfèrent à Solow (1992), selon lequel, cette extension de la catégorie de capital chez les néoclassiques a un objectif précis : elle vise à traiter la crise environnementale en

établissant des équivalences entre capital naturel et d’autres types de capital, et en cherchant à mettre en œuvre des opérations de substitution efficaces.

A travers ce quatrième et dernier point de la première section, nous avons essayé de présenter brièvement la façon avec laquelle la théorie économique standard, classique et néo-classique, a abordé les rapports entre la sphère marchande et le cadre naturel global. Cette théorie, d’essence libérale, continuait à considérer, à tort et pendant des décennies,

que les biens marchands sont les seuls générateurs de valeur ajoutée et, qu’inversement, les biens non-marchands n’avaient d’utilité que s’ils entraient dans la fabrication d’un bien purement commercialisable ou commercial. Si non, les actifs non marchands (ex : actifs

naturels) étaient alors relégués au stade d’actifs improductifs.

Un autre verrou est constitué par la croyance en la possibilité d’une fuite en avant technologique et de politiques compensatoires destinées à corriger ex post les effets négatifs d’un système de production en continuant de subordonner les politiques écologiques à la pure logique commerciale. Or, l’écosystème ne peut plus être considéré comme l’extérieur du système socio-économique (Azam et al., 2007). Néanmoins, la théorie ou la science économique allait connaître une toute autre approche de la nature dés la fin des années 60 par le biais de deux branches de l’économie environnementaliste, à savoir l’économie de l’environnement et l’économie écologique.

SECTION II : LES BRANCHES DE L’ECONOMIE ENVIRONNEMENTALISTE

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