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La RSE, vers un nouveau champ complexe de gestion de l’environnement

SECTION I : LA RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE (RSE)

2- La RSE, vers un nouveau champ complexe de gestion de l’environnement

La mise en vigueur des CSR, censés insuffler un nouvel état d’esprit aux organismes qui gèrent la question de l’environnement, oriente l’analyse vers le domaine de la théorie des jeux coopératifs et non-coopératifs, et plus exactement, vers la stratégie dominante des entreprises. En fonction de ces jeux d’acteurs, Salanié et Treich (op.cit : p.185-188)

proposent une série d’explications à l’apparition et au développement des CSR :

- théorie du « business-as-usual » : le progrès technique est, globalement, favorable à une meilleure éco-efficacité industrielle. Les firmes les plus modernes peuvent faire valider

comme efforts supplémentaires des réductions d’émissions qui correspondent, en fait, au rythme naturel de l’industrie. Le renchérissement actuel des ressources naturelles joue

dans le même sens.

- théorie de la préemption : en optant pour des réductions de rejets au strict minimum,

les entreprises réduisent les risques de subir une nouvelle législation environnementale ou anticipent une action qui pourrait provenir des ONG écologistes : formation d’un lobbying ou

organisation d’un boycott. Dans les années 90, la Commission européenne avait réfléchi à l’instauration d’une écotaxe sur les émissions de carbone (à peu près, une taxe Tobin), les industriels allemands se sont alors engagés à réduire leurs émissions.

- théorie des barrières à l’entrée : les entreprises les plus en pointe technologiquement

réduisent volontairement leurs émissions pour prouver à l’Etat que cet effort n’est pas un handicap pour leur pérennité. L’Etat en déduit qu’il peut imposer des normes plus sévères, que les entreprises domestiques n’auraient pas de mal à satisfaire, contrairement aux concurrents étrangers soumis ainsi à des barrières à l’entrée. Soulignons la différence avec la théorie de la préemption où les firmes cherchent, au contraire, à éviter une régulation.

- théorie de l’anticipation : elle est similaire à celle des barrières à l’entrée car les firmes anticipent une action régulatrice ; les moins polluantes cherchent alors à hâter cette action afin de pénaliser leurs concurrents. Citons l’exemple de DuPont De Nemours que l’on suspecte d’avoir demandé une accélération de l’élimination des CFC au début des années 80.

- théorie de la collusion : une action collective par secteur ou par branche, portant sur

la performance environnementale, permet aux entreprises de mieux répartir leurs efforts écologiques et économiques favorisant, par la même occasion, un comportement de cartel.

- théorie du « screening » des employés : les stratégies CSR permettent d’améliorer

l’image des entreprises et peuvent apparaître comme le signal d’une certaine culture d’entreprise ce qui favorise le recrutement d’employés motivés et possédant des valeurs propices au travail d’équipe.

- théorie de l’« entrenchment » : en adoptant un CSR, le manager de l’entreprise, cherche à maintenir sa position au détriment des intérêts des actionnaires. Il peut s’allier à une ONG laquelle menacera l’entreprise de mesures de rétorsion si le manager est remplacé.

- théorie du consommateur responsable : constatant que le consommateur est attiré par les éco-labellisations, l’entreprise réagira à cette demande nouvelle. Un raisonnement

similaire vaut pour les projets ou les choix d’investissement puisque des firmes tentent de récupérer l’épargne des investisseurs les plus sensibles écologiquement78.

Rappelons que la RSE rompt avec l’hypothèse régulatrice smithienne en inscrivant le bien commun au cœur de la mission de l’entreprise. Alors que cette hypothèse justifie les fins des entreprises en postulant que l’intérêt individuel mènera systématiquement vers

l’intérêt sociétal, la RSE suppose que chaque firme doit contribuer au bien commun tout en poursuivant ses propres objectifs (Gendron et al., 2004 : p. 79). Cependant, la TPP pose un certain nombre de problèmes identifiés par Philips et Reichart (2000 : p. 185) qui distinguent la question du statut de l’environnement naturel en posant la question suivante :

l’environnement naturel est-il une partie prenante ? Pour y répondre, Ballet et Bazin

(op.cit : p.40) préconisent deux (02) optiques : une, classe chaque stakeholder en fonction du poids des priorités fixées. Une seconde, associe les parties intéressées à une approche éthique

qui, inversement à la première optique, fournit à chaque partie la même importance ou les mêmes priorités au sein de l’entreprise à travers les procédures de discussion.

2.1. Modèle gestionnaire des parties prenantes et environnement naturel

L’intégration de l’environnement naturel dans la TPP obéit soit à une perspective biocentrique/écocentrique qui défend que la sphère naturelle dispose de la centralité des intérêts avec une équité étendue à toutes les espèces; soit à une perspective anthropocentrique selon laquelle les humains sont les principaux acteurs. Ceci dit, cette intégration dans la TPP est encadrée par deux caractéristiques essentielles et non des moindres : d’abord, par pur

pragmatisme, l’entreprise noue des liens forts ou faibles avec des stakeholders parce que des intérêts réciproques sont attendus de part et d’autre. Ensuite, ces parties prenantes sont

exclusivement des personnes humaines (physiques ou morales) : fournisseurs, clients, ONG, agences gouvernementales, médias, citoyens, etc79.

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Néanmoins, même si les préférences des consommateurs sont légitimes, leurs capacités à apprécier la valeur sociale des efforts des entreprises ne sont pas avérées. Celles-ci vont peut être réduire les émissions de quelques polluants parce que cela plaît aux consommateurs mais rien ne garantit que cela soit socialement efficace.

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Les tentatives présentées ici s’inscrivent dans une démarche d’élargissement de la TPP en relâchant la seconde caractéristique pour donner aux non-humains un statut de parties prenantes, au premier plan desquels, l’environnement naturel. En revanche, elles conservent la première spécificité, à savoir les intérêts réciproques.

2.1.1. L’approche biocentrique ou écocentrique

Stead et Stead (2000 : p.316) proposent l’"eco-entreprise strategy" similaire à celle de Freeman et Glibert (social harmony entreprise strategy). Toutefois, les fondements éthiques de la première vont au-delà de la communauté humaine car, pour l’eco-entreprise strategy, tous les Humains habitants la Terre, les générations humaines à venir, les autres espèces qui existent sur la planète ainsi que les systèmes biophysiques qui permettent la vie sur Terre (Biosphère, Hydrosphère, Atmosphère et Géosphère) méritent tous une considération éthique.

De cette façon, l’eco-entreprise stratgey représente l’idée selon laquelle la Terre est la partie prenante « atout » dans la réflexion stratégique de l’organisation. Starik (1995) a tenté d’étendre la TPP à des participants non-humains en empruntant les

concepts de Gaïa et de système planétaire vivant de James Lovelock. L’hypothèse Gaïa,

selon ce dernier (1991), décrit la Terre comme un système physiologique unique, une entité vivante au moins dans la mesure où, à l’instar des autres organismes vivants, sa chimie et sa température sont autorégulées en vue d’un état favorable à la vie (cité par Aubertin et Vivien, 1998 : p .09). Cette idée répond à la notion de « communauté

biotique » via le concept de Land Ethic, théorie morale proposée par Léopold (1949) et rapportée par Ballet et Bazin (2004 : p.41) : « Les êtres humains, les plantes, les animaux,

les sols et les eaux sont tous imbriqués dans une communauté présentant une grande activité faite de coopérations et de compétitions, un biote ».

Mais cette approche reste ambiguë et même un peu utopique dans la mesure où, afin qu’elle soit vérifiée et conforme à la TPP, elle doit démontrer que l’environnement

naturel puisse avoir des intérêts propres, identifiables, à défaut de pouvoir être exprimés

qui se réfèrent aux besoins ou aux désirs qui deviennent eux-mêmes des demandes. A titre d’illustration, un champ dont la terre a été tellement aspergée de pesticides et d’engrais

chimiques qu’elle ne donne plus rien, aucune culture ni même aucune flore ne peut y pousser.

Cette terre a un besoin pressant de décontamination avant de pouvoir à nouveau produire quelque chose. Mais les besoins ici sont du ressort des êtres humains puisque le

champ n’a besoin d’être décontaminé qu’en raison de son utilisation par l’homme. Nous comprenons alors que la nature en elle-même n’a aucun intérêt intrinsèque à être

conservée ou protégée. Dans ce cas là, la préservation et la considération des écosystèmes naturels relèvent d’un principe moral, voire philanthropique, incompatible avec l’aspect utilitariste de nombreuses catégories humaines.

2.1.2 L’approche anthropocentrique

Proposée par Phillips et Reichart (op.cit), elle suppose que la TPP produirait une raison morale de protéger l’environnement naturel parce que des parties prenantes humaines s’en soucient80. En revanche, cela revient à dire que l’environnement naturel est traité tel tout autre problème ou tel tout intérêt revendiqué par n’importe quelle partie et la préservation de la nature n’est pas prise au sérieux. Cette approche est ainsi inapte d’intégrer l’environnement naturel puisque les parties prenantes n’ont pas le même statut et celles défendant la nature n’auront pas nécessairement une place de choix dans la stratégie de la firme. Une approche alternative est suggérée dans laquelle toutes les parties ont le même statut.

2.2 Modèle de l’éthique de la discussion

Cette philosophie sert souvent implicitement de modèle aux approches produisant des normes de régulation à partir de discussions. La discussion s’impose dans des contextes où les désaccords sont nombreux et reflètent les conflits de nos convictions nous obligeant à revoir

la situation et à envisager une nouvelle manière de percevoir nos pratiques81. En ce sens, elle semble particulièrement adaptée à la TPP. L’éthique de la discussion suppose la liberté

de l’engagement, la sincérité des participants et enfin, la symétrie des participants selon laquelle, chacun doit être en mesure de se mettre à la place des autres. On ne peut pas établir de classement entre les trois, mais les trois doivent être respectées. Néanmoins,

ce cadre éthique est-il plus apte à prendre concrètement en charge l’environnement naturel ?

Cela suppose deux conditions : i) que les stakeholders soient d’accord sur la priorité à donner à la nature, ce qui est peu probable ; ii) qu’au-delà de cet accord, ils aient la même vision des actions nécessaires pour la préservation de la nature, ce qui là aussi, est très peu probable. Ballet et Bazin (op.cit : p.46) s’appuient sur une recherche de Gendron qui a bien

montré, par exemple dans le cas du Québec, que la représentation des problèmes éthiques, et particulièrement des questions environnementales, est différente entre les hauts dirigeants

et les scientifiques. L’éthique de la discussion conduit à une éthique de la responsabilité et à une responsabilité partagée ; les décisions sont prises en accord avec les parties prenantes qui

deviennent elles-mêmes co-responsables des décisions mais aussi des résultats de l’entreprise. Pour celle-ci, ce n’est peut être qu’un outil de management des responsabilités qui lui évite probablement d’être rendue responsable de tous les maux.

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La proposition de Phillips et Reichart (2000) consiste modestement à préciser que la TPP ne peut être rejetée si rapidement comme moyen de prise en compte de l’environnement naturel.

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Cette discussion ne se réalise pas sous la pression d’une recherche absolue de consensus. Elle est la recherche coopérative de l’universalité, d’un intérêt commun et s’oppose en cela à la négociation en tant que compromis entre des intérêts divergents. Elle procède par un échange discursif de paroles dans lequel toutes les opinions sont concurrentes et également critiquables.

Le top management n’est plus seul à détenir la décision d’accorder le privilège à la conservation de la nature sur les autres demandes mais c’est le bloc des parties concernées

qui, d’un commun accord, donne une place plus ou moins bien choisie à la nature. Cette place dépendra de la sensibilité verte des acteurs : tant que cette sensibilité est élevée, la nature sera alors un sujet prioritaire de discussion. Aussi, les stakeholders ayant une forte

sensibilité écologique n’auront pas l’exclusivité de la prise de décision ; cette dernière émergera de toutes les parties prenantes associées au projet. L’implication de ces parties à de tels enjeux pourrait les faire pencher, lors d’une discussion argumentée, pour une priorité forte à la nature qui n’est pas tellement acquise mais, au moins, elle paraît d’autant plus probable que l’engagement et l’éducation à son égard sont conséquents.

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