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Les normes ISO 14000 : apports, limites et isomorphisme coercitif

D’après Boiral (2006 : p.67-68), l’adoption d’un SME offre plusieurs atouts aux

organismes certifiés : elle permet de structurer les pratiques de gestion environnementale à partir d’un cadre de référence éprouvé et de promouvoir les préoccupations écologiques au sein de l’organisation ; elle concourre, en outre, à améliorer l’image et la reconnaissance de l’organisation en démontrant sa sensibilité verte auprès de différentes parties prenantes/

stakeholders. Les normes de la famille ISO 14000, y compris le référentiel ISO 14001, sont perçues comme étant i) une base unificatrice pour les entreprises ayant des impacts sur

l’environnement ; ii) un soutien technique à la réglementation ; iii) un outil permettant d’être

plus présent dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, le commerce d’exportation et l’externalisation ; iv) un outil d’intégration régionale comme le prouve leur adoption par des membres nouveaux et potentiels de l’Union européenne (ISO, 2007 : p. 06).

Pour Réverdy (2005 : p.203), le management environnemental est une opportunité pour instrumenter la coordination et susciter des apprentissages croisés dans l’entreprise entre le service environnement et les autres services. Une meilleure coordination et un

apprentissage renforcé peuvent faciliter la recherche de solutions technologiques intégrées et l’amélioration des performances des équipements existants ; l’implantation d’un SME

ouvre de nouvelles possibilités organisationnelles et techniques.

Néanmoins, la décision d’être certifié vise tout aussi à mettre l’organisation en phase avec les attentes des agences gouvernementales et avec un contexte socio-économique hostile.

A ce sujet, Morin (2007 : p.05) se réfère à Lefrançois et Zéghal (2000) qui ont effectué un certain nombre d’entrevues auprès de gestionnaires environnementaux dans de grandes entreprises canadiennes ou installées au Canada : Donohue, Noranda, Shell. La conformité

aux règlements en vigueur au pays était un objectif poursuivi dans plus de 50% des cas. De son côté, Boiral (idem : p.68) déclare que la gestion environnementale des organisations

est soumise à des coercitions réglementaires et institutionnelles auxquelles ces organisations peuvent difficilement se soustraire sans remette en cause leur légitimité. Cette légitimité qui est au centre de la Théorie Néo-Institutionnelle (TNI). Dans leur article « The iron cage revisited : institutional isomorphism and collective rationality in organizational fields », inspiré des travaux pionniers de Max Weber,DiMaggio et Powell (1983) proposent le concept d’"isomorphisme" qui traduirait tout le processus lié aux pressions socio-institutionnelles (isomorphisme coercitif), à l’imitation du comportement des autres firmes (isomorphisme mimétique) ou encore au degré de professionnalisation (isomorphisme normatif).

Suivant le néo-institutionnalisme, indiquent Alphonse-Tilloy et al., (2010 : p.03), les organisations opérant à l’intérieur d’un même ensemble de normes, de valeurs et de

croyances, adoptent des comportements similaires de façon à être reconnues et légitimées socialement. Elles instaurent des SME pour se fondre dans leur environnement ou en raison du caractère obligatoire de la norme sectorielle qui contribue à homogénéiser les pratiques au sein d’une même industrie. Delmas (2002: p.96) cite Oliver Scott (1995) qui

démontre que le comportement des organisations et leur interaction sont gouvernés par les aspects régulatifs, normatifs et cognitifs. Pour sa part, Douglas North (1990) parle

d’"environnement institutionnel" rencontré par les entreprises qui inclut toutes les règles juridiques et sociopolitiques établissant la base de la production, de l’échange ainsi que de

la distribution. L’approche institutionnaliste invite à percevoir les initiatives environnementales

des entreprises comme des leviers de maintien, voire, de réhabilitation de leur légitimité

et leur crédibilité externes en postulant que la réaction des firmes aux pressions institutionnelles sera similaire dans un contexte précis. L’Etat applique une contrainte normative conséquente sur les entreprises : la recherche d’économies de coûts conduirait les firmes à optimiser leur

mode opératoire et, adopter au-delà des seules mesures de mise en conformité à la loi, une démarche de management environnemental (Alphonse-Tilloy et al., idem).

Soulignons que plusieurs chercheurs se sont focalisés sur l’influence de la mise en vigueur de la législation et des régulations sur les pratiques environnementales des firmes (Carraro et al., 1996 ; Rugman et Verbeke, 1998 ; Majumdar et Marcus, 2001; Delmas, 2002). La législation autorise les agences concernées à promulguer et à faire appliquer la réglementation comme une forme de pouvoir coercitif (Delmas et Toffel, 2004 : p.213).

S’appuyant sur plusieurs travaux (Lampe et al., 1991; Vredenburg et Westley,1993 ; Post, 1994 ; Lawrence et Morell, 1995), Bansal et Roth (2000 : p.718) affirment que les

recherches sur les organisations et l’environnement naturel ont identifié quatre déterminants de la réceptivité écologique des entreprises : législation/réglementation, pressions des parties prenantes, opportunités économiques et motivations éthiques. L’importance de la législation

dans la génération d’une réceptivité écologique des entreprises a été largement reconnue. Pour rappel, Jennings et Zandbergen (1995) ont été parmi les premiers à utiliser la nouvelle

théorie institutionnelle dans le but d’expliquer l’adoption des pratiques de management environnemental; ils arguent que les forces coercitives -essentiellement, l’imposition des régulations- ont eu la plus importante impulsion pour ces pratiques : les firmes, à travers toute

l’industrie, ont mis en place des pratiques identiques (Delmas et Toffel, idem : p. 211). Ils employaient, de ce fait, le terme de "Ecologically sustainable organizations".

Toujours utile de rappeler que les coercitions externes ne sont pas exclusivement de nature réglementaire puisqu’elles émanent également de plusieurs stakholders dont les firmes sont dépendantes pour acquérir des ressources ou pour garantir leur légitimité sociale : médias, fournisseurs, actionnaires, citoyens, ONG, personnel, etc. Afin d’assurer leur survie, ces firmes réagiront de façon, plus ou moins défensive ou offensive, dépendamment de

l’implication écologique des décideurs, de l’intensité des pressions exogènes ou encore de l’émergence d’un noyau de compétences vertes (Hart, 1995 ; Sharma, 2000 ; McKay, 200). En fonction de ce raisonnement, la multiplication d’organisations ayant été certifiées selon la norme ISO 14001 n’est en fin de compte que le fruit d’un isomorphisme coercitif auquel

ces organisations se conforment indépendamment de l’utilité intrinsèque de la norme. Le développement de ce type d’isomorphisme rejoint les observations de Pfeffer et Salancik

(1978) démontrant la façon avec laquelle les entreprises tentent de faire face aux attentes

souvent irréalistes d’institutions dont elles dépendent pour obtenir des ressources. Les bénéfices de cette logique de conformité institutionnelle peuvent également être de nature

sociétale et relationnelle puisque l’obtention de la certification contribuerait à améliorer

l’image de l’organisation, à défendre la légitimité de ses activités ou encore à favoriser des relations de confiance avec nombre de parties prenantes (Corbett et Cutler, 2000 ;

Delmas, 2001 ; Bansal et Bogner, 2002).

En outre, la considération des contraintes réglementaires et l’engagement envers le principe d’amélioration continue que propose le standard ISO 14001 favorisent une démarche volontaire et proactive qui encourage une forme d’autorégulation des organisations (Power, 1997, repris par Boiral, op.cit : p.70). En revanche, et bien que les normes ISO 14000 semblent attiré de plus en plus d’entreprises, tous pays confondus, des critiques acerbes

jaillissent de part et d’autres. En fait, selon Morin (op.cit : p.05), malgré leur universalité, la rigueur bureaucratique et les exigences associées à l’application de ces normes peuvent être

des points noirs importants pour les firmes comme l’instauration de structures additionnelles plus lourdes. De leur côté, Riedinger et Thévenot (2008 : p.05-06) notent que la littérature

empirique internationale n’aide pas à dégager de consensus sur l’efficacité des SME. Accompagnant le rythme croissant d’implantation de ce système, les travaux censés évaluer

son efficacité tendent eux aussi à se développer mais ne s’en dégage pas de consensus clair, ces travaux ayant des conclusions très contrastées. Ce dilemme serait dû à l’hétérogénéité des composantes de ces travaux : hétérogénéité de l’aspect spatio-temporel, de la méthodologie, de la taille de l’échantillon ou encore de la nature des rejets ciblée par la recherche.

Ainsi, si la majorité des études semblent témoigner des multiples bénéfices d’un SME, entre autres bénéfices, c’est que la certification selon la norme ISO 14001 améliore les performances environnementales (Standards Council of Canada, 2000 ; Hui et Pun, 2001 ; Melnyk et al., 2003 ; Potoski et Prakash 2005 ; Goh Eng et al., 2006), d’autres études, par contre, contestent ces acquis (Welch et al., 2003; Barla, 2005; King et al., 2005 ; Boiral, 2006). Ces contradictions dans les résultats sur l’efficacité de la norme ISO 14001

s’expliquent également par les ambivalences sur les objectifs et la raison d’être de ce système de gestion d’après ce que déclarent Boiral et Henri (2007 : p.03).

En effet, le standard ISO 14001 représente à la fois un outil de gestion interne et une façon de publiciser l’engagement environnemental des organisations (Boiral, 1998 ; Bansal et Jiang, 2003). Selon la perspective adoptée, ce standard pourra donc être considéré comme un moyen d’améliorer la performance environnementale ou comme un moyen d’améliorer les

relations avec différentes parties prenantes (Boiral et Henri, idem). La mise en place de la norme ISO 14001 doit contribuer à intégrer les préoccupations environnementales dans la gestion quotidienne et à engager l’organisation dans une logique d’amélioration continue (ISO : 2004, rapportée par Boiral et Henri, idem : p.04). Par contre, en supposant que les

objectifs organisationnels sont prioritairement de répondre à la demande des clients ou à des coercitions exogènes, l’amélioration des résultats environnementaux peut être reléguée

au second plan par le top management et, dans ce cas de figure, l’obtention de la certification sera une fin en soi plutôt qu’un outil favorisant le kaïzen ; les retombées positives seront

surtout appréhendées par rapport aux liens avec les stakeholders ou encore par rapport aux strictes répercussions économiques ou financières. Ce type de certification est qualifié parfois de "certification de vitrine" qui sert, in fine, comme un outil tape à l’oeuil, comme un

instrument qui va dans le sens du greenwashing pour le public.

La mobilisation d’un maximum de paramètres afin de mesurer l’efficacité du SME certifié selon le référentiel ISO 14001 et l’emploi de plusieurs perspectives théoriques pour cerner les impacts de la norme seraient utiles pour atténuer ces controverses. Boiral (2000), cité par Morin (2007 : p.05-06), a analysé l’attitude d’une filiale d’Alcan, la compagnie Sécal

possédant un solide SME. La direction, hésitait à l’époque, à appliquer officiellement la norme ISO 14001, et ce, malgré les effets socioéconomiques possibles qui y sont attachés. Cette étude ne permet pas de dégager une généralisation des opinions des chefs d’entreprises mais laisse tout de même soupçonner que cette initiative, malgré un appréciable consensus, est loin d’être parfaite et qu’il y a certainement place à des perfectionnements.

5- Principes et fonctionnement des normes ISO 14000 version 2004

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