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Partie 5.- La qualité, quelques éléments sur les expériences étrangères

III- Royaume-Uni

(notamment source rapport Majice).

Il existe un « Service Consommateurs Excellence » devant les tribunaux. Ce système qualité est vérifié par des visiteurs (avec debriefing et recommandations). Il s’agit de s’assurer que le tribunal a une bonne connaissance des clients et mesure de façon efficace les effets des décisions sur eux. Le but est aussi d’analyser la culture de l’organisation (le tribunal visité), et notamment qu’il y règne un état d’esprit réellement centré sur le client. Cela permet aussi de vérifier que les clients reçoivent des informations correctes et complètes. Le système qualité s’intéresse également à la façon dont les objectifs sont atteints et vérifie s’il prend en compte les plaintes des consommateurs. Enfin, sont évaluées la bonne gestion du temps et la qualité du service, notamment la promptitude du contact initial et le respect de calendriers. L’évaluation n’a lieu, sous le forme d’une intervision, que pour les juges à mi-temps, le but étant de considérer la possibilité qu’ils deviennent des juges à temps plein.

Cette approche de la qualité part du principe que le tribunal est une entreprise. Une approche plus générale paraît conduire aujourd’hui en Angleterre à une privatisation progressive de la justice avec une diminution régulière de l’aide juridictionnelle (conférence John Sorebji, Dubrovnik, 11 juin 2015).

IV - Allemagne.

M Schield, magistrat présent lors d’une journée d’étude organisée dans le cadre de ce rapport note qu’en Allemagne, il a eu à faire à un cas ayant duré 29 ans, qui a donné lieu à un arrêt de 120 pages ; 5 ans se sont même déroulés sans échange de mémoire. Selon lui, la durée raisonnable est un signe de qualité ; la durée doit être fixée par la loi et il faut que les moyens soient fournis en fonction des besoins des tribunaux dépendants du nombre d’affaires traités. Il faut aussi calculer les coûts d’une affaire qui peut varier selon les experts auxquels on fait appel.

Les grands TGI d’Allemagne se réunissent, ils se comparent et mènent une réflexion collégiale. Leur approche consiste à ne pas fabriquer des indicateurs, mais à s’appuyer sur des statistiques : ce n’est donc pas du tout un dialogue de performance.

Pour M. Schield (ancien juge et président de juridiction allemand), la méthode Toyota (dite 5 O v. supra p.38) ne fonctionne pas pour la « production » du juge. Et l’attente des justiciables ne dit rien sur le travail du juge : celui qui perd par exemple ne sera pas content ! Selon cette méthode il ne faut aucune faute, mais qu’est-ce qu’une faute dans un jugement ? La Cour constitutionnelle elle-même a changé sa jurisprudence. Les modes de mesure de la performance employée par l’industrie ne prennent pas en compte les spécificités du travail du juge. La prévisibilité ne se mesure pas ou ne s’influence pas. Il est, seulement possible de l’améliorer par la formation, des lois claires et des banques de donnée. Ce qui est en jeu est l’indépendance du juge. La prime modulable accordée au juge est impensable en Allemagne. Tous les 5 ans, les juges sont notés. Il existe un catalogue de qualités : capacité relationnelle avec les justiciables, capacité à faire des recherches, à vérifier la jurisprudence de la Cour de cassation, à faire des motivations compréhensibles, à être prêt à former un jeune juge. C’est une grille variant selon les Länder. Le président du tribunal note, puis se met en place une procédure qui peut impliquer le président de chambre. L’évaluation est parfois attaquée devant le Tribunal Administratif.

En Allemagne, selon M Schield, il existe un plan de répartition des affaires dans chaque tribunal, un juge spécialisé et un avocat spécialisé. Il faut du monde, le principe du juge naturel (attribution des affaires de manières objective) est un facteur de prévisibilité. Il faut aussi une formation spécialisée du juge. Il y a moins de mobilité qu’en France, puisque les juges restent dans le même land.

Selon M. Schield, l’état du tribunal dépend de son président. Les juges méprisent les tâches managériales, or un tribunal est une petite entreprise, 400 personnes dans son propre tribunal. La méthode allemande peut être résumée de la manière suivante : un juge peut venir dans le bureau du président pour obtenir des moyens s’il lui en manque pour que la qualité puisse être maintenue et s’accroître.

Il existe des échanges entre juges au Canada, ce que l’on appelle l’intervision. En Allemagne, deux juges s’observent. Ce sont des outils de la qualité plus que des indicateurs qui reposent toujours sur le volontariat. Selon Mme Gaboriau, en Allemagne, le juge s'adresse directement à l'interviseur choisi par lui sur des listes diffusées dans les juridictions. Ils conviennent au préalable des aspects sur lesquels doit porter l'intervision, l'interviseur assiste à une audience qui est suivie d'un entretien au cours duquel il répond aux questions et donne ses impressions et ses conseils. L'intervision est basée sur le volontariat et garantie par l'anonymat, personne ne devant même savoir qu'une intervision a eu lieu. L’intervision est centrée sur l’audience dont le déroulement a une importance forte pour apprécier la qualité de la justice. L’intervision ne peut être un contrôle vertical ce ne peut qu’être une recherche partagée d’un rendu meilleur de la justice.

En Allemagne, il y a eu une tentative d’appliquer le modèle hollandais. Les allemands ont alors calculé que pour respecter une durée moyenne en fonction du nombre d’affaire, ils manquaient de juges. Cela aurait été un bon moyen pour avoir tous les juges dont on a besoin. Mais, les autres tribunaux ont triché pour ne pas laisser partir des juges. Il y a toujours des juges malades, des problèmes etc. La question est assez basique en somme : quelle justice veut-on ?

En France, il y a deux fois moins de juges qu’en Allemagne, pour 84 millions d’habitants il y a 25000 juges, en France 7000 juges pour 64 millions (comme en 1900). Il faudrait donc sur cette base plus de moyens mais aussi une réflexion sur la justice de qualité !

V - La fausse piste des indicateurs internationaux

(présentation de Harold Epineuse).

L’évaluation des systèmes de justice (CEPEJ ou Scoreboard Commission européenne systèmes de justice) permet une mesure du système de justice très générale : impartialité, accès, nouvelles technologies, médiation. Les indicateurs World Justice Project ont des effets sur les actions politiques, mais ils ne disent pas grand chose de la justice, ils ne sont pas très précis. Ainsi, Singapour est le meilleur élève dans les rankings. Par ailleurs, le Rwanda et le Maroc ont fait appel à des cabinets de consultant pour gagner 10 places ! Le respect des indicateurs est fait pour conserver ou gagner des places dans les classements et pour avoir des financements.

Les rapports de la CEPEJ font figure de concours de beauté entre les différents pays en général. Par leur nécessité comparative, ils opèrent une simplification qui ne permet pas de révéler la complexité d’un environnement.

EU justice scoreboard (a Tools to promote effective justice) a compilé les indicateurs du Cepej, doing business. Ont été retenus notamment comme indicateurs : le temps pour résoudre une affaire de faillite et l’utilisation des technologies. L’idée consiste à dire aux Etats membres : « emparez vous de l’instrument ». Ces indicateurs sont cependant éloignés de la justice concrète ou très simplifiés. Ils conduisent à un dialogue entre Bruxelles et chaque pays sur la conduite à tenir.

Pour Harold Epineuse, la Banque Mondiale (BM) est le meneur de jeu, la référence ou celui qui arrange tout le monde en matière d’indicateurs de justice. Le world governance

indicators, rule of law index, doing business comportent des éléments sur la justice. Ce qui

compte est de connaître l’environnement des indicateurs, d’où ils viennent, par qui ils sont utilisés, à quoi ils servent ? Vers 1990, Kaufmann dans Governance matters lance la mode de la gouvernance. La BM a dès lors une activité d’agence de notation. La BM est un groupe de

5 institutions (dont le FMI). Le ranking Doing business doit être vu comme un instrument de dialogue avec les pays. Le Rule of law index, ABA rule of law unit, World justice project soutenu par ABA (composé d’économistes sortis de la BM qui se sont dits qu’il existait un grand besoin de données, les paramètres utlisés sont larges, sans doute trop large) sont différents. Ces classements sont fondés sur une approche Law and Economics (analyse économique du droit). Les interlocuteurs sont les ministères des finances (world development report 2011). Le droit est conçu comme une technique, comme une matière première à exploiter. La vraie critique de Doing business porte sur ses finalités. Les indicateurs ont des effets sur les actions politiques, mais ils ne disent pas grand chose de la justice. L’indépendance de la justice n’est pas le sujet central pour la BM et surtout ne relève pas de son domaine. Par leur nécessité comparative ils opèrent une simplification et conduisent à retenir le plus petit dénominateur commun. La complexité d’un environnement n’est pas prise en compte. Le « EU justice scoreboard » est assez éloigné de la justice concrète et est très simplifié.

Ces indicateurs internationaux sont donc de fausses pistes. La qualité sert à faire passer la une réforme judiciaire auprès du public. Si un pays ne veut pas assumer tout seul une politique, il allèguera qu’il est obligé de le faire pour respecter des indicateurs européens.

S. Gaboriau évoque également la réforme de la justice en Serbie (v. S Gaboriau et HE Böttcher, Audit sur la situation de la justice en Serbie, KritV, 2013, 1, p.12 et s.) où ont été employé des indicateurs internationaux et notamment l’atteinte à l’indépendance. En tant qu’experte, elle a surtout noté que la réforme de la carte judiciaire n’avait pas été mûrement réfléchie, que ceux qui décident ignorent souvent les réalités concrètes. Elle a observé diverses anomalies, ainsi des juges ont été révoqués puis réintégrés. Surtout selon Mme Gaboriau, il faut des chiffres fiables avant de faire une réforme. Or, il n’existait pas de véritables statistiques. A l’inverse, les indicateurs empêchent parfois les acteurs de terrain de réfléchir aux bonnes questions, le juge se trouve alors enfermé dans les statistiques. Les experts viennent 2 jours sur le terrain en général. On peut d’ailleurs se demander ce qu’est un expert international, ce qu’est sa compétence et sa légitimité ? Les indicateurs peuvent être instrumentalisés. Malgré de bons indicateurs, les juges au Maroc manquent encore d’indépendance.

VI - Expériences diverses

David Tait informe qu’en Australie, il existe des indicateurs sur l’environnement du contentieux et donc sur les populations concernées (il s’agit d’un indicateur ethnologique en quelque sorte). En Australie, paradoxalement, les juges veulent des indicateurs pour renforcer leur indépendance.

En Italie :des observatoires de la justice ont été créés dans chaque région. Tout l'enjeu est aujourd'hui de construire des ponts entre ces îles, c'est-à-dire de faire dialoguer ces différents observatoires pour que les pratiques se diffusent. Il semble que la création d'un observatoire national soit à l'œuvre (présentation au colloque de Speyer, 11-13 septembre 2014. Remarques rapportées par L Champain).

En Suède, un système managérial d'évaluation très proche de nos préconisations a été mise en place (Colloque de Speyer, 11-13 septembre 2014. Remarques rapportées par L Champain). Il s'agit du "cercle du dialogue externe et interne". Ce cercle du dialogue a été élaboré par une ex-magistrate suédoise qui est ensuite devenue consultante en management.