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Partie 5.- La qualité, quelques éléments sur les expériences étrangères

I- Etats-Unis

Roscoe Pound en 1906 a noté la nécessité d’une approche managériale de la justice. La très grande autonomie des tribunaux en terme d'organisation et de budget, l'élection des juges et des greffiers ont conduit de nombreux tribunaux après 1947 à recruter des courts managers (des managers de tribunaux), au départ, en fonction du besoin immédiat du tribunal (par exemples budgétaire, RH ou nouvelles technologies). Ils ne se sont professionnalisés que progressivement dans les années 70 (avec la création notamment du National Center for States Court). Dans les années 1970, le juge Burger de la cour suprême a fait référence à la notion de performance au sens de résultats, il ne distinguait pas la quantité et la qualité

A partir de 1987 une définition des standards de qualité se dégage : accès, rapidité, égalité, impartialité, indépendance et confiance du public. Les promoteurs de cette approche visent un idéal de justice et leur associe des indicateurs (66) : l’accès physique, l’audibilité des débats, la sécurité du tribunal, l’écoute, la courtoisie, le coût raisonnable, le ratio affaires terminées/affaires nouvelles, l’ancienneté du stock, la certitude des dates d’audience, le respect du droit, la représentativité des jurés, l’évaluation de l’égalité et de l’impartialité, la clarté des décisions, le suivi de l’exécution, la gestion du personnel, la communication, la perception des performances par justiciables et avocats et la perception de l’indépendance. Ce système d’évaluation a été utilisé par 40 % des tribunaux (chiffres 2002) mais partiellement (une partie des indicateurs seulement est utilisée). Il apparaît coûteux car il mobilise du personnel. 4 mesures paraissent particulièrement utiles : la mesure de la discrimination dans les conditions de travail, la gestion du personnel, la perception des performances par employés et par public, et le besoin d’un noyau dur d’indicateurs par type de contentieux. M. Aikman, auteur d’un ouvrage de référence sur l’administration judiciaire aux Etats-Unis ne prône pas particulièrement l’usage des indicateurs de performance. R. Kearney note également que la mesure de la performance est utile, mais comporte trois défauts importants : cela coûte cher, l’évaluation est parfois conduite de manière injuste (données imprécises, évaluateurs non légitimes ou compétents, défaut de qualité de juridiction du au manque de moyens et non aux juges, etc.), dans ce cas les juges pourront avoir du ressentiment, les citoyens peuvent également avoir parfois l’impression que l’évaluation est un écran de fumée dans la perspective de la réélection des juges concernés (en règle générale, l’évaluation de la performance est faite davantage lorsque le juge est élu pour préparer les élections suivantes que lorsqu’il est nommé).

Il a été relevé qu'une des erreurs commises dans la gestion des tribunaux, selon des auteurs américains (v. notamment Jefferson and Mundell, Herding lions, shared leadership of state

trial court, Harvard Executive Session for State Court Leaders in the 21st Century, 2013, http://www.hks.harvard.edu/content/download/67488/1242762/version/1/file/ES-StateCourts- HerdingLions.pdf) a été de calquer leur "gouvernance" sur celle des entreprises privées ou des administrations dites à couplage serré (hiérarchique). En particulier, une approche par l’évaluation et la performance s’applique plus facilement à une entreprise privée ou publique hiérarchique qu’à une organisation telle qu'un tribunal où chaque composante s’estime indépendante de l’autre et où il peut exister une tension entre les composantes qui n’ont pas les mêmes logiques (administrateurs de cours et juges par exemple v Jefferson and Mundell, précit., dans cet article les auteurs montrent que les juges et les administrateurs de tribunaux aux Etats-Unis peuvent être en conflit notamment en cas de restriction budgétaire, mais qu’une collaboration entre eux est généralement observée).

Une organisation dite à couplage souple telle qu’un tribunal (une université ou un hôpital) possède cinq caractéristiques (Campbell McQueen, Governance : the Last Frontier, 2013, Harvard Executive Session for State Court Leaders in the 21st Century, en ligne) : elle implique des connaissances complexes pour prendre des décisions, des personnes hautement éduquées et autonomes, une chaîne de commandement non claire, des alliances imprévisibles et des changements dans les attentes du public. Il est remarquable qu’une telle organisation se heurtant à des difficultés peut acquérir une mentalité de forteresse, c’est ce qui a été observé aux Etats-Unis après la crise financière de 2008, les tribunaux se sont battus pour conserver leur budget comme s’ils étaient assiégés.

Il est étonnant de constater que le National Center for States Court (qui est une organisation privé très approximativement comparable à l’école nationale des greffes et en concurrence avec d’autres organismes du même type) ne prône pas particulièrement la mesure de la qualité dans la performance judiciaire, alors même que la recherche sur ces indicateurs a été pionnière dans les années 1980. Il défend en revanche, des déclarations de vision qui évoquent pour nous la notion de projet de juridiction.

Le tribunal est une organisation souple qui supporte mal, selon les auteurs américains, des plans stratégiques venant du haut, mais au contraire, peut utilement profiter d’un processus de projets venant de la base. Le projet permet d’avoir une vision commune, d’équilibrer le rapport entre collaboration et indépendance, de comprendre ses propres objectifs et de rehausser les relations entre juges et administrateurs de tribunaux (R. Van Duizend et Kathy Mays Coleman : Why not now ? Strategic planning by court Harvard Executive Session for State Court Leaders in the 21st Century et Eric Washington, Sustainable court governance : the strategic role of court management, Harvard Executive Session for State Court Leaders in the 21st Century, 2013, en ligne sur site du National Center For States Court). Une telle organisation implique de reconnaître les spécificités de chacun et le leader doit être légitime. Elle implique selon M Campbell MacQueen (précitée) un mode collaboratif de décision, ainsi qu’une communication interne et externe (en interne les relations sont souples donc impliquent un échange d’information permanent ; en externe les relations sont aussi souples et il faut communiquer pour ne pas être incompris).

Ainsi, ont été mis en place dans les tribunaux au cours des années 70-80 des plans stratégiques à très long terme (20-30 ans) notamment pour répondre à des exigences des états fédérés en matière de budget. Cela n’a pas donné de résultats très utiles. C’est pourquoi depuis les années 1990, les tribunaux ont préféré des plans stratégiques de 3 ans.

Il faut distinguer les projets, les déclarations de mission (mission statements) et des déclarations de vision (vision statements) proches voire synonyme des plans stratégiques à 3 ans. M. Aikman (Art and practice for court administration, CRC Press, 2006) emploie tous ces termes. Ce qui semble le plus proche du projet de juridiction est le « vision statement » ou plan stratégique à 3 ans. La plupart des sites internet des tribunaux des états fédérés comportent ce type de déclaration ou plan.

Un projet paraît pouvoir répondre à plusieurs objectifs : le changement de bâtiments d’un tribunal, la création d’un nouveau tribunal, la réorganisation de la justice des mineurs afin que les parents soient plus présents, l’enregistrement d’entretien avec des juges à la retraite pour rendre compte de la culture d’un tribunal et de son histoire (dans l'état de Californie par exemple), etc. Il semble donc que le terme projet soit employé pour des objectifs très précis et limités. Il serait donc assez proche de la notion de projet de service.

La déclaration de mission qui est affichée sur les murs du tribunal et communiquée à tous les partenaires comporte les grandes missions du tribunal telles que : protéger le citoyen et la démocratie. Elle n’est pas tournée vers le futur, mais rappelle le rôle de la juridiction.

En revanche, la déclaration de vision (appelée dans certains cas plan stratégique) paraît très proche du projet de juridiction : elle est établie de manière collaborative avec tous les membres du tribunal et aussi les gens de justice. Il leur est demandé comment ils verraient leur tribunal, s’il pouvait s’améliorer. L’avantage consiste à fédérer les membres du tribunal, à planifier l’avenir à trois ans environ et aussi de se préparer à rendre des comptes aux citoyens. Elle est communiquée et affichée dans le tribunal. Il doit s’agir d’un outil précis permettant d’évaluer la performance du tribunal et de prendre des décisions budgétaires. Les exemples donnés par Aikman sont : une déclaration de vision qui prévoit que le tribunal aimerait offrir une résolution rapide des affaires, une meilleure écoute des parties et un accueil courtois.

II - Hollande : un modèle idéal qui s’est grippé

(Source principale : rapport Majice).

Fin 1998, un programme pour le renforcement de la qualité de la justice PVRO a été mis en place. La méthode était fondée sur les statistiques (nombre et types d’affaires) et des enquêtes de satisfaction clients tous les deux ans et aussi du personnel. Ce système qualité est appelé RechtspraaQ.

Il comporte 5 catégories d’indicateurs :

1.- Impartialité et intégrité des juges (publicité, distribution, plaintes) 2.- Rapidité de la procédure

3.- Application uniforme de la loi : jurisprudence concrète (dans le sens de la jurisprudence propre d’un tribunal donné sur des litiges donnés quelque soit le juge ou la section)

4.- Compétence des juges, taux de réformation, sélection juge unique, opinion des avocats 5.- Comportement des juges, observations et enquêtes, intervision (groupe ou aîné).

Un logiciel compile les coûts, les délais et la qualité puis opère une comparaison avec les tribunaux. Prisma, une agence indépendante, mène des enquêtes auprès des justiciables. Le conseil de justice, Rechtspraak, répartit le budget entre les juridictions. Chaque type de contentieux (53) comporte un temps moyen de traitement qui est mesuré en minutes de travail

par juge et greffier. Cette mesure devient la référence pour tous les tribunaux connaissant de ce type de contentieux.

Pour chaque juridiction la structure du contentieux est mesurée ce qui permet de multiplier le nombre d’affaires par le temps normé d’une affaire. Le budget de la juridiction est ainsi calculé.

Cette méthode accroît la productivité car si une juridiction dépasse la moyenne, elle fait des « bénéfices » mais à l’inverse, elle est sanctionnée si elle fait des pertes.

La crise de 2008 a cependant conduit à réduire le budget, si bien que le système est devenu tendu.

Par ailleurs, les juges sont invités à lire au moins un verdict d’un collègue tous les mois. La diligence et la ponctualité sont vérifiées. La mise en œuvre des critères d’évaluation au niveau local est contrôlée par le biais de visites des cours de district tous les quatre ans par une commission spéciale composée de quinze membres : neuf extérieurs à l’institution judiciaire (administrateurs d’universités, d’hôpitaux ou d’entreprises) et six membres de l’institution judiciaire. Puis une comparaison entre tribunaux est faite et un classement établi. Il existe une mesure du temps de travail par juge par visiteur extérieur et une évaluation du personnel judiciaire concernant le comportement, le travail, la ponctualité, etc. Le Système est parfois mal accepté par certains juges. 30 % des professionnels répondent aux enquêtes concernant l’évaluation de la justice. Les enquêtes des justiciables sont réalisées à la sortie du tribunal (questionnaire de 10 mn avant jugement). Pour un exemple de questionnaire utilisé pour interroger les justiciables sur la période 2001- 2004 (source PRISMA relayé par la rapport Majice) : Compréhension de la décision ; Précisions données par le juge sur la procédure et le fond ; Compréhension par le justiciable du déroulement de l'audience ; Impartialité ; Compétence du juge ; Le juge a-t-il écouté les parties ? Préparation du dossier par le juge ; Durée de la procédure ; Compréhension des courriers ; Information sur les cas avant l'audience dans les délais ; Traitement du dossier avant l'audience ; Employés amicaux ; Possibilité de joindre les tribunaux par téléphone ; « Les cours sont-elles orientées vers les « clients » ? Satisfaction quant aux locaux ; Organisation des audiences ; Ont-ils aimé l'audience ? Satisfaction générale.

Selon H Dalle, le système néerlandais consiste à chiffrer le prix de revient de la procédure puis à calculer le budget du tribunal. Les problèmes ont surgi quand les ressources ont baissé et le contentieux a augmenté.