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Partie 2.- La qualité de la justice vue par les magistrats et les greffiers : bilan des

I.- Sur la notion de qualité de la justice

À la question : « Selon vous, qu’est-ce qu’une justice de qualité ? », les magistrats n’ont jamais la même réponse, ils répondent, par exemple :

- une justice rapide et adaptée à chaque situation (chefs de juridiction),

- une justice personnalisée : une bonne écoute et un jugement convenablement motivé dans un juste temps (présidente CA),

- certains en ont une bonne image (président Tribunal de commerce), - ou la considèrent comme cohérente et prévisible (président Dalle),

- ou la définissent comme comprenant une certaine symbolique (juge d’instruction). De ce fait, les usages du terme de qualité varient beaucoup. Une présidente de Cour d’appel note : « tous les magistrats et les greffiers me parlent de qualité du matin au soir ». Ce serait donc :

- une notion bouclier, contre « les stats, les stats, les stats » (juge de « base »), - une notion alibi, pour conserver l’artisanat de la justice (juge de « base »),

- une notion managériale, pour améliorer la productivité à coût constant (critique syndicale), - une valeur générale, non contestable pour de nouveaux indicateurs (DSJ, direction des services judiciaire),

- de bonnes pratiques locales (chef de juridiction, procureur).

1.- Les juges des tribunaux d’instance.

Les juges des tribunaux d’instance insistent sur l’accessibilité, la célérité et l’exécution de la décision. Pour un juge d’un tribunal d’instance du nord, une justice de qualité donne une réponse adaptée dans des délais raisonnables. Il est, en particulier, essentiel de motiver ses décisions de manière précise. Les motivations types ou très légères sont malheureusement

trop fréquentes. Elles font l’impasse sur l’histoire de la personne. Le justiciable risque d’avoir le sentiment qu’il n’a pas été entendu.

Le Vice-Président d’un Tribunal d’instance de l’ouest a défini la « justice de qualité » comme celle qui est rigoureuse, c’est-à-dire qui respecte la règle de droit, tout en s’inscrivant dans un environnement social, économique et humain (en particulier en ce qui concerne les décisions du Tribunal d’instance). Un bon magistrat est celui qui parvient à appliquer le droit avec suffisamment de souplesse pour s’adapter à la réalité. Le taux de recours en est un bon indicateur. Il insiste également sur l’importance des délais. Une décision trop tardive n’a plus de sens pour le justiciable. Selon lui, « une bonne décision est avant tout une décision rendue », c’est d’ailleurs un des objectifs fixés dans la LOLF25. En outre, une affaire en stock représente une charge pour la juridiction. Dans son ressort, la durée moyenne de traitement d’une affaire est de 2,8 mois. De plus, la justice doit être accessible tant matériellement qu’intellectuellement. Enfin, une justice de qualité est une justice dont les décisions sont exécutées. L’exécution spontanée est ainsi un indice de qualité.

2.- Président de TGI.

Dans un grand TGI d’Ile-de-France, le Président considère qu’une justice de qualité dégage des priorités dans un univers dégradé. Une démarche qualitative a consisté, Par exemple, à demander la création d’une chambre spécialisée dans le grand trafic de drogue avec un greffier spécialisé. Malheureusement, cette proposition n’a pas été retenue. Il s’agit surtout d’éviter les dysfonctionnements.

Une étude ministérielle menée par Jean-Paul Jean, relative aux attentes des justiciables a permis de montrer, en 2012, que les citoyens sont en attente d’humanité de la part de la justice. La remarque est intéressante en ce que le président de juridiction peut faire entrer dans sa notion de qualité, la notion de qualité retenue par d’autres catégories d’acteurs. C’est une attente d’humanité qui est relevée.

Pour le Président d’un grand TGI du sud de la France, la qualité de la justice ne se résume pas à sa célérité, mais elle intègre ce critère. Par exemple, en matière familiale, plus le temps passe, plus la situation se dégrade (remarque faite par les magistrats italiens, lors du colloque à Florence sur la qualité de la justice, la longueur des procédures en Italie, 5 ans en moyenne, entraine un contentieux supplémentaire, voir calendrier dans l’introduction). Il est donc important, d’un point de vue qualitatif, de traiter les affaires rapidement.

La qualité ne se mesure pas en réalité. Elle naît, notamment, des échanges entre les magistrats sur les bonnes pratiques. L’intervision qui se pratique beaucoup aux Pays-Bas en est un bon exemple. Ce système n’est toutefois guère appliqué ce que déplore certains chefs de juridictions puisqu’elle est un élément de formation des juges.

La formation des magistrats est également un aspect essentiel de la qualité de la justice. Il serait par ailleurs souhaitable de regrouper la compétence de certains contentieux spécifiques. Par exemple, le contentieux des pensions des anciens combattants devrait relever de quelques magistrats spécialistes et la remarque vaut également pour certains contentieux en droit des affaires. Ainsi, le magistrat local ne perdrait pas de temps à travailler la législation pour quelques dossiers par an.

Un Président d’un TGI du sud de la France se montre fervent partisan de la collégialité. Pour le contentieux de masse malheureusement, les moyens ne permettent pas de faire intervenir un collège de magistrats. La qualité de la justice dépend de l’attention du juge, de sa compétence. Il est donc important qu’il ne cesse pas de se former.

Du point de vue d’un Président d’un grand TGI du nord, une justice de qualité est celle qui respecte des délais raisonnables. L’accent est mis sur le travail en commun au service d’objectifs prédéfinis. Cette collaboration de tous existe aussi bien en interne qu’en externe (avec les avocats, administration pénitentiaire, Ministère de la Justice…).

Pour la Présidente d’un TGI de taille moyenne du centre de la France, la notion de qualité dépend de l’angle de vue. Elle considère que pour le justiciable, la qualité c’est l’accès au droit, le respect des délais annoncés. Pour l’avocat, c’est avoir l’attestation de fin de mission, la délivrance de copies. Pour le greffier et le juge, c’est éviter la pression, pouvoir souffler dans leur travail. Selon la Présidente, la qualité doit prendre en compte le temps du délibéré, la qualité de la motivation. Il est de nouveau intéressant de constater que le président de juridiction tente d’avoir une vision complète de la qualité selon les différents angles. Selon un président de TGI de taille moyenne d’Ile-de-France, les magistrats ont un besoin urgent et insistant que la qualité de leur travail soit prise en compte. Le New Management a conduit à la crise de la magistrature. Les Suisses avaient de l’avance sur les attentes des justiciables. D’ailleurs le Trial court performance standard US a porté sur les questions d’accès ou de discrimination en relation avec les minorités ethniques.

3.- Procureur de la République.

Pour le Procureur de la République d’un grand TGI du Sud de la France, une décision de justice de qualité est celle qui « mécontente le moins possible » les parties. Les justiciables doivent avoir le sentiment d’avoir été écoutés, d’avoir pu exposer leurs positions. Le procureur de la République, comme le président de juridiction, intègre alors dans sa définition de la qualité, ce qu’il pense être les attentes des justiciables, sous l’angle de l’écoute. Dans 90 % des cas, à la question « pourquoi avez-vous interjeté appel ? », l’appelant répond : « parce que je n’ai pas été entendu ». Le sentiment d’écoute demeure toutefois impossible à quantifier. Les magistrats peuvent le percevoir, mais sans parvenir à le traduire en chiffres. Il s’exprime dans un regard plein de respect, un merci, parfois un courrier. Le seul critère mesurable est celui du temps passé. Sans ce temps : aucune écoute possible ! C’est la raison pour laquelle la justice criminelle, aux assises, fonctionne bien. La rapidité de la réponse judiciaire est donc une donnée quantifiable mais aussi un indicateur de qualité. Pour cette dimension d’écoute, un bon magistrat est une personne à la fois compétente sur le plan technique, performante, courageuse et humaine. En effet, en matière pénale, certaines décisions sont extrêmement difficiles à prendre.

Pour certains contentieux, le système judiciaire est excellent. Citons, à titre d’exemple : — la Cour d’assises en matière pénale : l’audience s’étend sur la journée complète, voir plusieurs jours, la personnalité de l’auteur de l’infraction est examinée avec attention, l’instruction est minutieuse, la décision est collégiale… « Sans doute une des meilleures justices du monde », selon certains procureurs.

— La JIRS (Justice interrégionale spécialisée) : ce service existe dans 8 juridictions (Paris, Lyon, Marseille, Lille, Rennes, Bordeaux, Nancy et Fort-de-France). Il traite de la criminalité organisée, du terrorisme, du blanchiment à grande échelle, etc. Y sont nommés des magistrats

connus pour leur performance, ils disposent de moyens technologiques de pointe, et du soutien d’assistants de justice spécialisés. Les huit services coopèrent entre eux. À Marseille, Monsieur le Procureur de la République explique que le service de la JIRS produit une justice pénale de « qualité exceptionnelle ». Ce service est composé de magistrats qui disposent d’un savoir-faire particulier. Ils travaillent sur 10 dossiers quand leurs collègues des services pénaux classiques doivent en traiter 25. Ces magistrats sont régulièrement formés. Ce sont des personnes solides, capables de résister à la pression des menaces de mort notamment. Dans ce service, les résultats sont excellents. Les magistrats résolvent des énigmes très complexes, souvent internationales.

Le Procureur de la République d’un grand TGI du sud de la France a cité un exemple récent où tout a été mis en œuvre pour rendre une justice de qualité : le procès des prothèses mammaires PIP. Dans ce dossier, on comptait 8000 pages et 770 parties civiles. Pour l’audience, le Parc Chaneau a été loué et des ressources humaines hors normes ont été mobilisées. Tout le dossier a été numérisé et distribué sous forme de CD-Rom à chaque partie civile. Cela a bien sûr nécessité de s’affranchir de la règle de droit qui prévoit, en principe, que la décision doit être notifiée au format papier. La qualité a ici résidé dans la capacité d’organiser ce genre de procès, mais son coût est colossal : des centaines de milliers d’euros. On pourrait aussi trouver des exemples en matière civile. Il est possible de rendre une justice d’une grande qualité. Mais cela nécessite des moyens et du temps. Or, il en manque cruellement. C’est pourquoi, le contentieux de masse reçoit une réponse de moindre qualité. Il faut « déstocker », les magistrats sont contraints de réaliser « de l’abattage ». Subissent particulièrement cette situation la matière familiale par exemple, les délits réglés par la composition pénale…

C’est pourquoi la qualité dépend aussi des moyens de la justice. En France, on compte un procureur pour 100 000 habitants alors que la moyenne européenne est à 11,3. Il en va de même pour le nombre de greffiers. Le budget par habitant, en France, est de 51 €, ce qui est très faible. Dans cette grande ville du Sud, il existe une association très performante d’accueil des victimes (le SAVU). Son coût annuel est de 130 000 €. Malheureusement, les fonds manquent pour 2014. Il est donc question de la supprimer…

Sur la qualité, le Procureur de la République d’un TGI de moyenne taille en Ile-de- France explique qu’il faut trouver la représentation que l’opinion publique se fait de la justice, ce qu’elle attend de la justice, pour ensuite fixer les objectifs. Il y a la représentation de la justice selon Saint Louis et Salomon : un conflit à trancher. La justice est alors une fonction régalienne. L’opinion publique est plus sensible à la matière pénale alors que le grand enjeu c’est le civil. Le pénal est l’image extérieure de la justice.

Du point de vue d’un Procureur de la République d’un TGI de taille moyenne d’Ile-de- France, au pénal, la qualité c’est avant tout la rapidité de la réponse. Elle est une condition de l’efficacité de la justice. La qualité de la justice est également conditionnée par des paramètres extérieurs : les avocats, la gestion de la juridiction.

La compréhension de la décision par le condamné et la victime est un élément important pour la qualité de la justice. Le fait qu’il y ait des circuits très différents en matière pénale n’est pas très favorable à la compréhension pour les victimes : d’où les Bureaux d’aide aux victimes et les associations d’aide aux victimes. Il existe un décalage entre les outils de qualité de la

juridiction et les indicateurs sur lesquels ils sont évalués dans les dialogues de gestion à la Cour d’appel. Les rapports annuels rédigés par la juridiction sont trop peu exploités.

3.- Président de Cour d’appel

Selon le premier président honoraire d’une cour d’appel de taille moyenne du nord- ouest, il faut distinguer la qualité du service public, la qualité du procès et la qualité intrinsèque de la fonction du juge. Les instruments de mesure n’ont pas été mis en place en fonction des objectifs de la justice. On est parti des instruments de mesure disponible, c’était une démarche intellectuelle fausse et paresseuse. Les indicateurs de l’inspection générale des services judiciaires ont été mis en place dans les années 2000 par quelques personnes. Tout ce qui n’était pas mesurable était non valide, du type déclaration par le juge. La RGPP et la LOLF qui émergent dans le même temps ont accru l’écart. L’administration mesure le process mais pas le fond. Les indicateurs ne disent rien sur la justice, il faut faire un constat d’échec. On mesure quantitativement la qualité de la justice, c’est comme un Graal impossible.

Selon le Premier président d’une Cour d’appel de taille moyenne du centre, ce sont les Pays-Bas qui ont le plus travaillé sur les questions de qualité de la justice (avec le Canada et la Nouvelle Ecosse). Elle insiste d’emblée sur le grand intérêt qu’elle porte à la question de la qualité de la justice. Selon elle d’ailleurs, ces réflexions peuvent aussi intégrer le recueil de la déontologie des magistrats et les rapports annuels du CSM (recueil des décisions disciplinaires, poursuites et sanctions prononcées sur l’insuffisance professionnelle). La difficulté réside dans la nécessité de préserver l’indépendance des juges et il ne faudrait pas qu’au travers de l’insuffisance professionnelle, on y porte atteinte (cf. jurisprudence Bidalou qui marque un tournant).

On notera la dimension internationale des présidents de cour d’appel, un intérêt pour les grands principes et une prise en compte qui peut être critique de l’administration centrale. 4.- Hiérarchie intermédiaire et magistrat dit « de base ».

En matière pénale, le Vice-Procureur d’un TGI de taille moyenne d’Ile-de-France observe une baisse de la qualité des enquêtes, qui ne sont pas toujours faites par des officiers de police judiciaire mais parfois par un gardien de la paix.

Elle ajoute que, à la sortie de l’école de la magistrature, les jeunes magistrats fuyaient le parquet. Deux systèmes sont possibles : soit le siège et le parquet forment un même corps et la garantie d’indépendance du parquet existe car les nominations se font par le Conseil supérieur de la magistrature ; soit, ils forment deux corps séparés, comme en Allemagne. Elle se dit plutôt favorable au premier système. Le risque, s’il y a deux corps, serait que le préfet devienne le supérieur hiérarchique de fait du parquet et s’immisce dans la police judiciaire alors qu’il n’est actuellement en charge que de la police administrative.

Selon la coordinatrice de la chambre des enfants d’une Cour d’appel d’Ile de France et une référente en matière de justice des mineurs, les juges des enfants n’ont pas besoin de parler de qualité on sait implicitement que la qualité est en jeu. On doit faire du traitement de masse pas de la dentelle. Le coordonnateur ne vérifie pas leur décision mais s’ils gèrent bien leur cabinet dans les évaluations.

Dans ce contentieux il a pu être relevé que les décisions ne comportent pas toujours le texte mais tout le monde le connaît et est assez vague sur la dangerosité. Pendant un temps était

édulcoré aujourd’hui non, mais il faut faire adhérer les parents puisqu’ils ont encore l’autorité parentale.

Une conseillère Prud’homale en Ile-de-France explique que la qualité de la justice devant les CPH est insuffisante. Il y a toutefois un double regard possible sur le sujet, car le personnel de la juridiction a également des revendications. Il est possible d’envisager la qualité du point de vue du justiciable ou du point de vue du personnel de justice.

En ce qui concerne les Conseils de Prud’hommes, les moyens sont alloués à la demande des greffiers en chef après approbation du Président et du Vice-Président. Et les moyens du conseil sont alloués par le TGI et le Ministère. Par exemple, il arrive fréquemment que le papier manque. De même, il n’y a pas de borne wifi car cela « coûte trop cher ». Il faudrait plus de moyens humains en greffiers et en agents. Les conseillers prud’homaux n’ont pas de Code par exemple. L’employeur est remboursé pour les heures passées aux prud’hommes. Entre 17h30 et 20h, ce sont des heures supplémentaires, ils sont rémunérés 7 euros de l’heure. Pour les employeurs, ils sont payés et ils ont 14 euros de l’heure.

Du point de vue d’une présidente d’une formation de jugement du TCI (tribunal du contentieux de l’incapacité), la question de la qualité de la justice se pose sous un éclairage particulier celui de savoir si le TCI se donne à voir pour le justiciable comme une « juridiction » indépendante et impartiale et si elle est perçue comme telle par le justiciable. La question de l’apparence d’impartialité se pose parce que le TCI siège dans les locaux de la DRJSCS (Direction régionale de la jeunesse des sports et de la cohésion sociale) et avec des audiences foraines (parfois dans les sous-sols des maisons de retraite). Ces TCI ne dépendent pas du ministère de la justice mais du ministère de la santé : les assesseurs et le médecins-experts sont payés par les Caisses de sécurité sociales contre qui les décisions sont rendues. Les greffiers sont des personnels détachés des caisses. Ils s’appellent secrétaires greffiers ce sont des agents détachés des caisses qui ne font que cela et qui sont payés par la DJRSCS. Donc il y a de ce point de vue des failles tant en termes d’indépendance que d’impartialité. En résultent des interrogations fortes sur ces questions et sur son identité de juridiction qui doit se donner à voir.

Cela vient aussi de ce que les TCI ont été réformés en 2002 (dans leur composition et leur fonctionnement) car leur défaut d’impartialité et d’indépendance a pu être relevé par des arrêts d’AP du 22 déc. 2000. Néanmoins, à cette occasion les questions de financement n’ont pas été soulevées et donc ne sont pas réglées à ce jour. D’ailleurs, jusqu’en 2002, le contentieux qu’elle tranche relevait d’une commission administrative. En 2002, le statut de juridiction a été consacré. Il avait de fait été consacré par une loi en 1994 mais les textes et la procédure n’avaient pas entre-temps été modifiés.

En résultent des doutes, dans l’esprit même des justiciables, qui invectivent le TCI sous la forme : « Vous la caisse…. », sans y voir un juge en tant que tel ! S’y ajoute le fait que les juges non professionnels qui la composent n’ont pas de formation alors que c’est une matière