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En route pour les innovations pédagogiques grâce aux idées nouvelles

D e l’ombre aux lumières : l’édificati on de la

4. Une réflexion pédagogique évolutive mise en débat

4.4. En route pour les innovations pédagogiques grâce aux idées nouvelles

didactique plus vaste.

4.4. En route pour les innovations pédagogiques grâce aux idées

nouvelles

Alors que les premières décennies du XVIIIe siècle proposent une scolarité où les savoirs religieux occupent une place prépondérante sous forme de catéchisme et de lectures extraites des Écritures, que les établissements scolaires – écoles ou collèges – visent avant tout à apprendre aux enfants comment vivre chrétiennement, les années qui suivent le

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deuxième quart du siècle ouvrent les voies à une réflexion qui, rarement suivie d’effets pratiques, témoigne néanmoins d’une attention à des priorités nouvelles. Peu à peu, les

modèles et les objectifs évoluent. Bien que toujours finalisé à la formation du bon chrétien et

à son salut dans l’au-delà, le parcours éducatif envisagé tend à faire une place plus grande à

des aspirations plus terrestres, si l’on peut dire, comme celle du bonheur398 .

Se développe alors un nouveau courant de pensée dans lequel des pédagogues sont

animés du désir de mettre les ressorts de l'éducation au service d’un plus grand bien-être, si ce

n’est du bonheur, de l'enfant à éduquer. Ainsi le Père Claude Buffier – religieux de son état et ancien élève des jésuites – s'intéresse au renouvellement des pratiques éducatives en proposant de réviser les aspects abrupts et rigides, voire autoritaires, de certaines modalités

instructives, afin d’œuvrer à un meilleur épanouissement des jeunes générations.

Dans son Traité de la société civile et du moyen de se rendre heureux en contribuant

au bonheur des personnes avec qui l'on vit399 (1726) le professeur de Louis-le-Grand pose les

jalons de l'organisation de la société civile en mettant en avant l'importance de la qualité des relations humaines. Dans ce dessein, il souligne que « la morale […] a pour fin de régler par la raison les mœurs et la conduite des hommes. C'est elle […] la science de vivre avec les

autres hommes dans la société civile ; […] [qui peut] procurer, autant qu'il est en nous, notre

propre bonheur, de concert avec le bonheur d'autrui »400.

Cette première étape de sa réflexion permet au penseur d’appliquer l’idée des bienfaits du bonheur en l’adaptant au monde éducatif, ainsi que le remarque Marcel Grandière :

Il […] introdui[…]t dans la pensée éducative du siècle quelques notions clés appelées à prendre de l'importance : le rejet des autorités et la nécessité de penser par soi-même, de puiser dans son propre fonds, l'usage de la raison, mais aussi, et peut-être surtout, du sentiment, l'image de l'homme comme être social, la finalité tournée vers le bonheur sur terre, l'importance de la morale, la première place

398

Guy Poitry aborde cette question du bonheur terrestre dans son intervention aux actes du colloque du

g oupe d tudes du XVIIIe si le de l u i e sit de Ge e, lo s u il it – en se référant à Sade – « se

d ta he de toute esp a e da s la ha it , est ouloi se e d e i d pe da t de Dieu, est o p e le lie

qui unit la créature au Créateur et ce lien repose sur la vue du o heu […] ue l o est e d oit d es o pte

aussi bien dans ce monde- i ue da s l au-delà ». « Aumône et dédommagement chez Sade », in Berchtold Jacques et Porret, Michel. Être riche au temps de Voltaire. Genève : Droz, 1996, p. 397. Voltaire traite, lui aussi, du sujet du bonheur terrestre, dans son poème Le Mondain (1734). Arouet, François-Marie. Œuv es complètes,

tome 1. Paris : Gallimard, La Pléiade, 1979, pages 971 et 972. Madame du Châtelet. Discours sur le Bonheur

(1746). Paris : Rivages Poche, janvier 2010.

399 Buffier, Claude. Traité de la société civile et du moyen de se rendre heureux en contribuant au bonheur des

pe so es ave ui l o vit. Paris : édition Jean-Luc Nyon, 1726.

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donnée à l'histoire humaine qui s'impose face à l'Écriture et la Tradition, l'utilité d'apprendre des choses plutôt que des mots, la pédagogie du cœur401

.

« Pensant par soi-même » tout en s’inscrivant dans un parcours de bon chrétien,

l’élève de Buffier est appelé à devenir un homme « pris en compte, non plus d'abord comme

fils de Dieu, mais comme vivant en société selon le guide de sa raison naturelle »402.

La construction de cette félicité humaine s'édifie dès que l'enfant est en âge d'être

scolarisé et d’user de sa réflexion. Auteur polygraphe, un peu marginal dans la culture du XVIIIe siècle, Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre adhère aux idées de Buffier, car, tout comme lui, il pense que l'objectif de l'éducation est de mener les hommes au bonheur :

Augmenter le bonheur de l'écolier c’est augmenter le nombre, et la grandeur de ses biens, diminuer le nombre, et la grandeur de ces maux, non seulement par rapport à la vie présente, mais encore par rapport à la vie future, pour laquelle il s'agit d'acquérir en cette première vie le plus de sûreté qu'il est possible, d'éviter une seconde vie malheureuse ; et d'en obtenir une très heureuse ; voilà ce qui regarde le bonheur personnel de l'écolier403.

Bien que la représentation d'un bonheur promis dans une autre vie perdure, l'académicien est néanmoins soucieux que la quête heureuse s'effectue dans le moment présent et dans un avenir proche, afin que le bonheur rayonne sur la vie terrestre et dans la société civile. L'évocation de la présence divine et des préceptes religieux constitue le moyen pratique de mettre des freins aux débordements comportementaux répréhensibles et

susceptibles d’entraver la marche vers le bonheur de la société civile terrestre. Pour faire vivre

cette éducation propice au bonheur –car elle passe par la pédagogie du cœur, l’art de plaire et

le savoir-vivre – il est nécessaire de prendre appui sur le raisonnement humain.

Cette aspiration à une plus grande place accordée au bonheur est toutefois rangée sous

l’égide d’une raison, porteuse de progrès et quelquefois d’un futur idéal. Ainsi, l'abbé Claude

Buffier s’exclame avec enthousiasme : «À force de raisonner […] Aurions-nous trouvé le secret de nous rendre immortels ? Et ne serait-ce point là cette pierre philosophale ? »404. Cette approche nouvelle a des conséquences dans la réflexion éducative, plus accueillante

qu’elle ne l’était auparavant à l’égard des disciplines scientifiques. L’astronomie, la physique

401 Grandière, Marcel. LIdéal pédagogique en France au dix-huitième siècle. Oxford : Voltaire Foundation, 1998, p. 62.

402Ibid., p. 64.

403 Castel de Saint-Pierre, Charles-Irénée. P ojet pou pe fe tio e l du atio ave u dis ou s su la g a deu

et la sainteté des hommes. Paris : édition Briasson, 1728, p. 3 et 4.

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et les mathématiques sont mises au goût du jour. Dans l'avertissement de son Traité de la

sphère en 1721 le Père précise ainsi que :

Les personnes qui prennent intérêt à leur éducation [celle des écoliers], peuvent, en s'amusant, leur [les écoliers] enseigner imperceptiblement l'histoire et la géographie, en leur faisant des questions qui sont aussi imprimées à part, et dont les feuillets répondent page pour page, et question pour question, aux réponses qu'on trouvera ici ; ce qui disposera extrêmement à lire et à retenir les livres d'histoire et de géographie, où les choses sont exposées avec plus d’étendue405

.

Dans ce traité organisé selon un jeu de questions et de réponses se succédant de manière méthodique et progressive, la démarche rigoureuse révèle une volonté didactique avérée qui repose sur le questionnement et les solutions apportées aux problèmes ainsi soulevés.

Objet d’un engouement parfois peu scientifique, les mathématiques sont portées par un souffle nouveau :

Les mathématiques libèrent une pensée enchaînée. Grâce à elles, la puissance de la raison paraît bousculer tous les obstacles jusqu’alors insurmontables. Elle atteint et met à jour les grands mystères de l'univers, contre tous les préjugés qui jusqu'alors obscurcissaient l'esprit des hommes. La puissance du raisonnement s'acquiert en exerçant son esprit sur les mathématiques, surtout sur la géométrie qui ne fut jamais si en honneur : fortifier la raison par les mathématiques, voilà la panacée à toutes les fausses certitudes, à toutes les erreurs. Les mathématiques, comme alliées privilégiées de la raison et de la justesse d’esprit, entrent alors massivement dans le champ des sciences à la mode406.

La littérature pédagogique s'empare des mathématiques qui donnent lieu à de nombreuses publications, comme les Réflexions sur l'utilité des mathématiques et sur la

manière de les étudier407 rédigé en 1715 par Jean-Pierre de Crousaz qui détaille les avantages de cette discipline : d'une part, dit-il, elle contribue à éclairer les esprits obscurcis par les

préjugés, d'autre part, elle forme l’esprit au raisonnement juste et rigoureux.

Selon Crousaz, la connaissance des mathématiques représente un atout considérable pour les écoliers, parce que « rien ne serait donc plus utile aux jeunes gens qu'une science où depuis un bout jusqu'à l'autre régneraient la simplicité, l'ordre exact et la pure évidence »408.

Comme l’écrit Marcel Grandière, pour les hommes des Lumières, « les mathématiques ne sont sujettes à aucune des quatre sources d'erreurs habituelles aux hommes : les fausses

405 Buffier, Claude. Traité de la sphère. Paris : édition Giffart, 1760, p. 2.

406 Grandière, Marcel. Op. cit., p. 78.

407 Crousaz, Jean-Pierre. ‘ fle io s su l utilit des ath ati ues et su la a i e de les tudie. Paris :

L Ho o et Châtelai , .

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maximes et préjugés, les passions, l'obscurité des expressions et des termes, enfin la complexité habituelle des questions »409. Cette mise en avant des disciplines scientifiques au

détriment des Belles Lettres n’est pas seulement le signe d’un rééquilibrage disciplinaire, tout à fait justifié, mais témoigne plus largement d’une évolution du savoir plus attentif aux arts de faire qu’à l’art de dire.

Moins habité par le passé, l’enfant auquel songent les nouveaux pédagogues est davantage tourné vers le présent et le monde qui l’environne. De même, les nouvelles méthodes d’enseignement sont placées sous le signe, lockéen pourrait-on dire, de l’éveil de la

curiosité, et du « goût » du travail, comme dans ce passage fictionnel de l’abbé Pluche où une

comtesse évoque l'éducation de son fils en présence du précepteur de ce dernier :

Je vous laisse faire l'éloge de mon fils, parce que ces louanges sont aussi les vôtres. Je vous ai, Monsieur, des obligations infinies. Je ne sais pas quelle adresse vous employez : mais en voulant bien dérober de temps en temps quelques heures à vos occupations ordinaires, pour les passer à la promenade avec mon fils, vous l'avez mis dans le goût du travail et des sciences d'une manière qui le charmait. Votre méthode, à ce qu’il m'a paru, n'était pas tant de lui faire apprendre d'abord certaines choses tout de suite, que de lui faire naître le désir même de les apprendre. Votre but était de le rendre curieux, parce que la curiosité est une passion agissante, qui ne saurait demeurer oisive, et que ce point une fois gagné, tout le reste vient sans larmes et sans dégoût. J'ai remarqué cent fois que vos discours, vos complaisances, et vos jeux mêmes ne tendaient qu'à piquer la curiosité du jeune homme 410.

Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’éducation collégiale mais privée, cet exemple souligne

les nouveaux modèles pédagogiques qui valorisent les entretiens entre maître et élève pour

apporter une instruction solide, de manière plaisante et divertissante puisque l’élève est

plongé dans le spectacle de la nature par l'intermédiaire de « la promenade ». La dimension ludique du jeu des « ricochets » constitue l'accroche favorisant les études scientifiques, comme par exemple celles de l'attraction terrestre et de l'apesanteur. Le précepteur procède toujours de manière à créer l'étonnement et surtout « la curiosité » propice à l’allant d’apprendre encore davantage.

Ces différentes démarches respirent la joie légère de la connaissance, bien loin des

exercices de syntaxe latine, des raisonnements syllogistiques et d’une mémorisation parfois

préférée à la compréhension. Conscients à la fois des manques et des excès de l'instruction

telle qu'elle est transmise dans les collèges, des pédagogues nourris d’idées pionnières

409 Grandière, Marcel. Op. cit., p. 79.

410Pluche, Antoine-Noël. Le Spectacle de la nature, ou entretiens su les pa ti ula it s de l histoi e atu elle ui o t pa u les plus p op es à e d e les jeu es ge s u ieu , et à leu fo e l esp it. Paris : édition Neaulme, 1736, p. 95 et 96.

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appellent de leurs vœux un renouvellement des méthodes d’apprentissage mais celles-ci

n’empruntent pas toujours la voie de la découverte ludique et légère. C’est le cas par exemple,

de la démarche envisagée par un certain Sieur de Vallange dont les écrits pédagogiques publiés au début du XVIIIe siècle proposent différentes techniques facilitatrices pour des acquisitions nouvelles, en particulier celle de la langue française, tant à l'écrit qu'à l'oral :

Si l'on avait soin d'enseigner le français par règles et par principes aux enfants, les jeunes gens auraient le plaisir de parler hardiment et avec grâce. Un des grands avantages qu’on retirerait de cette étude est qu'ils apprendraient en peu de temps l'orthographe ; car de bonne foi comment peut-on apprendre à écrire correctement une langue, si l'on ne la sait parfaitement, et par les règles ? Nous voyons bien des gens qui parlent français, comme la plupart des dames de la Cour, qui orthographient pitoyablement, parce qu'elles ne savent pas la langue par principes. Une autre utilité qu'on pourrait retirer de cette connaissance, est que c'est un moyen très propre pour apprendre le latin et les autres langues : selon mon système d'études, je fais apprendre la langue française par règles, avant de toucher au latin, comme je l'ai dit dans mon Système général411.

Contrairement à l’enseignement de la rhétorique orienté vers la maîtrise de la parole

vivante, la démarche préconisée par le pédagogue fait la distinction entre les pratiques de

l’oral et celles de l’écrit auxquelles est accordée une primauté dans l’apprentissage.

La multiplication des interrogations sur les moyens à mettre en œuvre pour apprendre

à apprendre n’est pas sans incidence sur la représentation des liens unissant l'élève à son

maître car ce dernier n'est plus là pour déverser un savoir savant dont il est détenteur mais il prend davantage la mesure de ses missions instructives puis éducatives.