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Trois rois proches des musulmans

politiques dans le Yatenga. politiques dans le Yatenga

Chapitre 2. Le processus Le processus d'islamisation

II. Présence discrète de l'islam dans le Yatenga précolonial précolonial

3. Trois rois proches des musulmans

D'une manière générale, il faut dire qu'avec son millénaire d’existence, l'islam s’est développé au Sud du Sahara, selon des processus différents11. Sur l’aire soudano-sahélienne, la religion musulmane s'est infiltrée dans la vie quotidienne par le commerce transsaharien. Par le biais du négoce et marginalement par la guerre, des Etats musulmans ont vu le jour à partir du XIè siècle tels que l'empire du Ghana au Sud de la Mauritanie actuelle puis le Mali, l'empire Songhay ou le Kanem-Bornou. Mais il convient de rappeler que l'islam médiéval a été une religion de nantis et donc de groupes minoritaires. Les masses n'ont été concernées qu'à partir du XIXè siècle, période où l'on assiste à de grands bouleversements dans l'espace musulman.

11 Ousman Kane et Jean-Louis Triaud distingue trois logiques d’espaces : d’abord il y toute la zone située entre le Sénégal et le Tchad que l’auteur qualifie comme "un vieux front d’islamisation toujours en mouvement". Sa particularité est liée à son adaptation aux cultures locales : il s’agit là d’une islamisation sans arabisation où les langues locales telles que le fulfulde, le wolof, le malinké ou le dioula, prennent le relais en devenant des langues d’islam. Ensuite, la vallée du Nil constitue une zone d’islamisation doublée d’une arabisation progressive. Enfin, le visage de l’islam au bord de l’océan indien est celui des commerçants perses ou arabes ayant affirmés leur distinction sociale et dont une grande partie s’est par la suite fondue à la population. Formant progressivement les groupes Swahilis, leur modèle se "caractérise à la fois par le refus du prosélytisme et de l’islamisation à l’intérieur du continent et par une voie linguistique originale" (Kane et Triaud 1998).

Dans le Yatenga des XVIIè et XVIIIè siècles, le commerce entre Tombouctou et le plateau moaga a permis le passage et l'installation des groupes musulmans yarse et

marãse qui pratiquaient le négoce de longue distance. Les Peuls tooroobe ont constitué les

sociétés de lettrés musulmans établis dans toute la partie du royaume la plus peuplée. Contrairement aux Etats musulmans du Moyen-Age, l'islam du Yatenga n'était pas l'apanage des nantis ou des élites politiques, mais de simples commerçants et de pasteurs lettrés. En effet, le pouvoir dans les formations politiques moose a été étroitement lié à la religion moaga, elle-même fortement imprégnée des pratiques religieuses des populations établies avant l'arrivée des Moose. Le pouvoir a été précisément légitimé par les compétences magiques des maîtres de terre et des buguba dont beaucoup sont d'origine Fulga. Cependant, au-delà de cette norme religieuse sur laquelle s'est fondé le pouvoir, l'histoire témoigne d'une relative interdépendance de certains rois avec les populations musulmanes.

Au cours de l'histoire du Yatenga, des rois et des chefs ont, semble-t-il, fait la preuve d'un certain attachement à l'islam ou du moins, aux populations musulmanes. C'est le cas de Naaba Lambwega qui, dans la deuxième moitié du XVIIè siècle, se lie d'amitié avec un Yarga venu de Furumani. Ce Yarga, qui avait pris le bâton de pèlerin pour se rendre à La Mecque, restera finalement aux côtés de Naaba Lambwega. S'interrogeant sur cet épisode, Michel Izard suppose qu' à cette époque, sont arrivés dans le Yatenga "des hommes pieux qui se proposaient d'aviver la spiritualité ou au moins la foi des commerçants, mais ont pu aussi souhaiter des relations officielles avec le pouvoir moaga" (Izard 1985a : 61). Sans surestimer la place que les pouvoirs moose ont accordé aux musulmans sur leur royaume, il faut garder à l'esprit l'existence de relations aussi fortes qu'informelles à certains moments de l'histoire du Yatenga. Qu'un Yarga ait renoncé au hajj pour honorer l'invitation de Naaba Lambwega est peut-être la preuve d'une attitude officielle de bienveillance à l'égard de pieux musulmans et aussi celle d'une prise de conscience de la nécessité d'entretenir le commerce. En effet, la minorité

yarga-marãga pouvait à sa guise modifier les itinéraires caravaniers et vider les marchés

de leurs produits importés. "Il n'est pas certain que cette tolérance au moins tacite se soit étendue au prosélytisme actif" (Izard 1985a : 61). En effet, la situation de l'islam qui a prévalu dans le Moogo central fut autrement plus complaisante : un imam yarga nommé à la cour du Moogo Naaba et la conversion de Naaba Dulugu (1796-1825) ont été autant de signes de tolérance envers l'islam. En revanche, il est d'autres cas, comme

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dans le royaume de Boulsa à l'Est, où l'islam est durement réprimé. Georges Chéron (1924 : 653) note "une tentative d'islamisation" survenue après les vagues de peuplement marãse entre 1778 et 1818, sur l'initiative d'un Peul du Fouta Jalon nommé Modibo Mamadu, plus connu sous le nom de Wali. Avant de convertir les masses, Wali a tenté de convaincre le Boulsa Naaba d'abandonner ses pratiques religieuses et de respecter les préceptes du Coran. Devant le refus du roi, Wali soulève les musulmans -

yarse, marãse et peuls - contre le souverain. Ce dernier est d'abord contraint

d'abandonner la résidence royale avant de reprendre la situation en main. Avec l'aide du Moogo Naaba Kutu, il réprime durement les partisans du mouvement insurrectionnel qui sont massacrés. Wali parvient à s'enfuir, mais son histoire montre en l'occurrence que les actions de prosélytisme peuvent être réprimées dans le sang. Si de tels évènements ne se sont jamais produits dans le Yatenga, force est de constater que les musulmans se sont bien gardés de convertir les masses. Comme le rappelle Issa Cissé (1994 : 42), contrairement aux rois de l'ancien royaume de Ouagadougou, les souverains du Yatenga n'ont pas sous-estimé la crainte de déstabilisation de leur pouvoir par une éventuelle expansion de l'islam. La position géographique du Yatenga en a fait une région autrement plus exposée que le Moogo central. Si l'islam a séduit les

Moose, c'est en partie à cause des pouvoirs magiques attribués aux marabouts.

D'ailleurs, c'est probablement par le sud que l'islam des lettrés pénètre le Moogo. Selon Hamidou Diallo (1990), "la tradition orale fait venir les premiers musulmans du nord, mais l'introduction de l'islam à partir du sud n'est pas à exclure". A partir des centres musulmans de la Boucle du Niger comme Tombouctou, l'islam se serait répandu vers le sud en contournant les régions païennes du Ninigi et du Moogo prenant pour relais, Bobo-Dioulasso. De là, dès le XVIè siècle, commerçants musulmans et agriculteurs animistes sont mis en contact (Diallo 1990). Nous l'avons largement dit, les commerçants musulmans sillonnent également le nord et précisément le Yatenga. Toutefois, leur influence dans l'implantation de l'islam est négligeable ; c'est aux "marabouts", c'est-à-dire aux lettrés musulmans, que l'on doit l'enracinement de l'islam dans un contexte où quelques princes ont créé les conditions politiques favorables. Ainsi, des centres musulmans marka comme Safane ont-ils vu le jour au XVIIè siècle et se développent-ils surtout au XVIIIè et XIXè siècles, progressant lentement vers le nord et notamment vers le Yatenga.

A l'époque de Naaba Lambwega, c'est-à-dire au milieu du XVIIè siècle, il s'agit d'entretenir des relations bienveillantes avec ces communautés musulmanes yarse et

marãse présentes sur le territoire depuis la chute de l'empire songhay. A la fin du XVIIè

siècle et au début du XVIIIè siècle, un autre souverain, Naaba Zangayella, était semble-t-il bien disposé à l'égard de l'islam. Ceci étant, les rois du Yatenga ont toujours veillé à protéger la religion de Naaba Wende, tant et si bien que le problème de leur conversion à l'islam ne se posera pas à l'exception du cas de Naaba Kango. Le règne de Naaba Kango (1757-1787) est celui d'un Etat qui, une fois consolidé, s'organise à l'échelle de tout le royaume. Là encore, les commerçants musulmans yarse et marãse trouvent leur place et participent vivement à la réussite du projet. Naaba Kango réglemente l'économie du pays et protège les voies de passage afin de développer le négoce de longue distance. Le marché de Youba, grosse localité marãse-yarse, a été fondé avec l'appui de son père Naaba Nabassere. Naaba Kango renforce ses liens avec Youba : Wade, sa sœur se marie avec un Yarga (Izard 1989). De Youba, Wade est un peu l'œil du roi, mais elle est aussi une figure féminine de la transgression : le mariage de la sœur d'un roi avec un musulman est une première dans le royaume. Les liens étroits qui se tissent entre les autorités moose et les communautés musulmanes ne sont pas que le reflet de la nécessité d'organiser l'économie du royaume.

Les questions que soulève le rapport de Naaba Kango à l'islam vont certainement plus loin. Avant de prendre le pouvoir, Naaba Kango avait effectué un voyage de trois ans à l'occasion duquel il a fréquenté probablement les milieux musulmans de Kong et de Ségou (Izard 1985a). On sait aussi que pour s'assurer de récupérer le trône qu'il avait perdu en 1754 par l'usurpateur Naaba Wobgo, Naaba Kango a consulté des marabouts et précisément les Tooroobe de Bosomnore. Faut-il spécifier que Naaba Kango n'avait pas effectué le ringu, rituel d'intronisation sans lequel on ne peut prétendre au titre de rima (roi)? Devant ce constat historique, Michel Izard s'est demandé si Naaba Kango ne s'était pas secrètement converti à l'islam. On sait seulement qu'il entretiendra des relations d'ordres multiples avec les communautés musulmanes. D'abord parce que les Yarse et les Marãse détiennent le monopole du commerce caravanier et ensuite parce que les marabouts tooroobe sont susceptibles de parer la menace que constituent les princes déchus. Les consultations maraboutiques de Naaba Kango à Bosomnore nous ont été relatées :

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"Idriss Jibaïro était un chef [de Bosomnore] très puissant. Il partait dans la grotte pour faire ses méditations. A chaque fois qu'il demandait quelque chose, ça se réalisait. […] Il était puissant et même Naaba Kango avait peur de lui. Il venait voir Idriss Jibaïro et tout ce qu'il lui disait de faire, il le faisait, et ça marchait. C'est grâce à Idriss que Naaba Kango est devenu puissant. Quand il partait à la guerre il gagnait parce que Idriss était son marabout" (Tall M., rimaïbe, Bosomnore, septembre 2001).

Les attitudes de Naaba Lambwega, de Naaba Zangayella et de Naaba Kango, bien disposés à l'égard de l'islam, montrent qu'en dépit du fait que la religion moaga était une religion d'Etat, certains rois se ménageaient de bonnes relations avec les populations musulmanes. Cette tolérance s'effacera rapidement quand, au crépuscule du XVIIIè siècle, le temps des réformismes musulmans ouvre une nouvelle page de l'histoire. Le Yatenga se trouve alors au centre d'une vaste zone d'influence peule et musulmane qui s'étend de Sokoto au Maasina.