• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4. D'un ancêtr e à une D'un ancêtr e à une chefferie

III. La pénétration coloniale, un moment décisif

3. La bataille de Thiou

Naaba Baogo a des projets de campagne contre Thiou. Michel Izard et Jeanne

Marie Kambou-Ferrand expliquent le désaccord entre Mamadu et Naaba Baogo suite à une mauvaise volonté de la part du chef Peul "à livrer au Yatenga Naaba, les bœufs que celui-ci avait demandés". En réalité, nous l'avons vu plus haut s'agissant de la bataille de Boulkadre, l'appétence déloyale de la part de Mamadou Al Atchi gronde en lui depuis longtemps. Son père, Al Atchi, a été mis à mort par Naaba Yemde, le père de

Naaba Baogo. Ses sentiments envers Naaba Baogo sont probablement partagés entre la

peur et la rancœur, mais le conflit de succession qui oppose les fils de Saaga aux fils de Tuguri sont certainement pour lui l'occasion de contester fermement Naaba Baogo en rejoignant les rebelles. Le conflit n'est donc pas un simple désaccord autour d'un don

méprisé mais bel et bien une succession de crises ayant débuté dès les générations précédentes, sous le règne de Naaba Yemde.

Le 12 juin 1895, trois jours après le départ des Français de Thiou, Naaba Baogo se met en route avec ses plus fidèles partisans. Ce n'est pas une armée qui empreinte la route de Thiou, mais les plus déterminés des "fils de Saaga" qui vont à la mort. Le soir les hommes de Naaba Baogo campent à Sulu et le lendemain à Sim, deux villages loyalistes. Bagare est, de son côté, avec le chef peul, Mamadou Al Atchi qui a pris soin de consulter son marabout. Celui-ci est formel, la bonne stratégie est de combattre à Thiou et non pas à Bango. A Thiou les guerriers sont en place, les archers samo de Gomboro viennent leur prêter main forte, ainsi que les rimaïbe et certains captifs moose armés de fusils et d'arcs.

"Naaba Baogo avait rassemblé ses grands guerriers, ils avaient pris la route de Thiou. Quand ils ont dépassé Sodé, Soulou, Saya et Sim, ceux de Thiou étaient prêts. Le lieu de rencontre était sur la place du marché actuel. Parmi les guerriers de Naaba Baogo, il y avait un guerrier de Pogolo, il se nommait Konsekedo. Il n'a jamais reculé devant un guerrier. Quand il est venu à Thiou, il ne voulait combattre personne d'autre que le chef, parce qu'il considérait tous les autres guerriers de Thiou inférieur à lui. Il était venu à Thiou seulement dans le but de ramener la tête du chef peul. Parfois, si tu sous-estimes quelqu'un, cette personne-là peut te tuer. Quand ceux qui se disaient grands sont arrivés à Thiou, ils avançaient un à un, lentement. Quand le chef peul a su que Konsekedo était parmi les guerriers, il leur a dit qu'il ne cherchait personne d'autre que lui. "Il n'y a que moi qui puisse me mesurer à lui. Il est en train de venir et il est invulnérable aux balles et aux flèches et c'est moi qu'il cherche à tuer, je ne veux pas me sauver", leur dit Mamadu. Quand les tambours des Moose ont commencé à retentir, Konsekedo s'avançait en laissant derrière lui l'armée de Naaba Baogo. Mamadu en a fait de même en se détachant de son armée. Les Moose surnommait le chef peul "nindyuse", "yeux enfoncés" et ils ont dit : "nindyuse s'est détaché de son armée, le voici là-bas". A ce moment, il se trouvait que Konsekedo avait déjà tué trois personnes en avançant. Le chef peul dit alors : "soyez prêts car il ne cherche personne d'autre que moi." Il avait fait en sorte que ses guerriers soient camouflés autour de lui et il avait ordonné de tirer sur le cheval de Konsekedo. Konsekedo

166

avançait avec sa lance et quand il était assez proche du chef, les guerriers ont tiré sur son cheval. Le cheval s'est écroulé et Konsekedo est tombé. Alors, il a pris du tabac pour le mettre dans sa pipe. Il s'est assis et s'est mis à fumer son tabac. Konsekedo disait qu'il ne courrait jamais devant un homme. Il était seul et il avait presque mille personnes contre lui. Les Peuls l'ont attrapé et l'ont traîné vers la colline où ils l'ont lapidé jusqu'à ce que tous ses os soient brisés. Ils l'ont abandonné comme ça, alors qu'il continuait à respirer. Pendant ce temps, de l'autre côté, la bataille continuait et Naaba Baogo avait été atteint d'une flèche. Le tambour résonnait pour lui dire de se lever. Quand il s'est levé, les guerriers de

Naaba Baogo ont vu que ça n'allait pas pour lui. Ils ont essayé de le

ramener et le roi a perdu ses forces en arrivant à Sim. Vers Sodé, il y a un village qui s'appelle Rim. On continue de l'appeler Rim-gaaga ["Rim-lit" ou "le lieu où le roi s'est couché"]" (Ouedraogo A., chef des Moose de Thiou, Thiou, août 2002).

Après la bataille de Thiou, Mamadou Al Atchi et Bagare ressortent grandis de cette victoire. Le roi est mort et il faut désigner son successeur. Selon la règle édictée par Naaba Baogo, l'alternance doit revenir aux "fils de Tuguri", en l'occurrence à Bagare. Il devient Yatenga Naaba, sous le nom de Naaba Bulli, dès la fin du mois de juin 1895 (il ne fait le ringu qu'en 1898). Ce changement mécontente les "fils de Saaga" qui refusent de lui faire allégeance. Les luttes fratricides se poursuivent dans le pays et Sisamba11 devient la capitale de l'opposition à Naaba Bulli. Au mois d'octobre, Destenave, qui a quitté le Yatenga, y revient en se portant directement sur le village de Sisamba qui est incendié. Les "fils de Saaga" se dispersent. Dès les premiers jours de novembre, quand le calme semble revenu, Destenave quitte le Yatenga pour Bandiagara. D'après Michel Izard, il passe par Thiou où il signe "une sorte de traité séparé avec Mamadu, qui sera sans effet sur l'organisation administrative du Yatenga colonial" (Izard 1985b : 146)12. Après le départ de Destenave, les affrontements reprennent de plus bel, les "fils de Saaga" réunissent une armée permanente de 500 cavaliers et 300 piétons. Ils affrontent les hommes de Naaba Bulli, moins nombreux, aux portes du Yatenga et parviennent à prendre le domaine royal. Naaba Bulli s'enfuit à

11 Sisamba est à une dizaine de kilomètres de Ouahigouya.

12 A Thiou c'est ce traité séparé qui, dans les mémoires collectives, marque l'arrivée des Blancs et non le premier passage de la colonne militaire qui a précédé le traité de protectorat avec Naaba Baogo.

Bango chez son allié Mamadou Al Atchi. Les Français interviennent en mettant en place une colonne militaire menée par le Lieutenant Voulet. Celle-ci lève le camp de Bandiagara le 30 juillet 1896. Le 8 août, Voulet est à Thiou où il retrouve Naaba Bulli et Mamadu qui lui fournissent 200 cavaliers et 400 piétons s'ajoutant à leurs 180 auxiliaires. Le 10 août a lieu la bataille de Sim. Cet épisode est resté gravé dans les mémoires locales. Le village est incendié et la défaite des "fils de Saaga" est grave. Le 29 janvier 1897, Naaba Bulli réintègre son domaine royal où l'on construit un poste militaire et le 21 de ce même mois, le royaume de Ouagadougou passe sous protectorat français. Des épisodes d'effervescence provoqués par des "fils de Saaga" réapparaissent régulièrement et systématiquement, ils sont durement réprimés. Lorsque arrive la fin de l'année 1900 et le début de 1901 plusieurs rebelles reviennent d'exil. Ils finissent par se soumettent au nouveau roi. Entre 1902 et 1911 plusieurs incidents plus ou moins graves éclatent encore çà et là. Enfin, en 1912, les rapports politiques du cercle indiquent qu’il n’y a plus lieu de s’inquiéter des agissements du "parti des fils de Saaga". La paix est définitivement revenue.

A l'issue de la pénétration militaire, le chef de Thiou voit son prestige grandi. Avec le renversement des alliances à la cour du Yatenga Naaba, le vent a donné le trône à son allié le plus prestigieux et le poste militaire est là pour faire face en cas de débordement. Chacun tire profit de cette nouvelle situation. C'est une période charnière pour les Peuls du Yatenga. Ils adoptent, comme Mamadou Al Atchi, une attitude relativement docile envers les autorités coloniales et obtiennent leur canton (chapitre 3). A Thiou, dans les années vingt, le chef Jibril sera très célèbre. Il est question de lui dans L'étrange destin de Wangrin (Bâ : 1979). Ce roman documenté montre que cet illustre chef s'enrichit au point d'être la deuxième personnalité du Yatenga après Naaba Tigré. "Il était également un marabout très instruit et la première fortune du pays" (Bâ 1979). Des chants moose évoquent la grande richesse et le prestige du chef Jibril. A la mort de ce chef, Hampâté Bâ rapporte une scène où un de ses fils prétendant au trône écoute son fidèle captif lui énumérer les richesses du défunt : "nous sommes à la tête de la première fortune du pays. Nous pouvons compter, dans nos cinquante parcs à bovins, cinquante mille têtes adultes. Nous sommes deux mille huit cent douze captifs adultes, tous en âge de porter les armes. Nos femmes et nos enfants nous triplent. Vendus à l'encan, nous vaudrions une fortune qui pèserait le poids d'une montagne. Nous possédons au bas mot, trois millions de grammes d'or

168

malléable extraits des mines du Bouré. Nos greniers sont pleins de perles précieuses, nos vastes magasins rengorgent de cauris" (Bâ 1973 : 165). Jean-Pierre Olivier de Sardan a montré que la chefferie pouvait constituer le lieu fondamental d'une accumulation de pouvoir et de richesse. En, effet, à l'époque où le chef diallube Jibril a le turban à Thiou, sa richesse en or et en captifs sont la marque de son autorité et de sa popularité. Une chanson d'un moaga de Roba devenue aujourd'hui populaire vante ce chef :

Silmi Naaba Jibril Chef peul Jibril

Ye na la Naaba Tu es le chef

Ye na la zina Tu es un génies [extraordinaire, surnaturel]

Ye na su la Yadega tenga Tout le pays de Yadega [le Yatenga] t'appartient Cette histoire de la formation de la chefferie de Thiou revit dans des instants de la vie politique où chef et notables s'appuient sur la légitimité traditionnelle de leur chef.

Chapitre 5.

Chapitre 5. Hiérarchie sociale, Hiérarchie sociale,