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Crises climatiques et transformations économiques

politiques dans le Yatenga. politiques dans le Yatenga

III. L'occupation de l'espace : entre contraintes et intérêts mutuels. intérêts mutuels

2. Crises climatiques et transformations économiques

a. Le repli vers le sud

A l'époque coloniale, dans toute l'Afrique de l'Ouest, se produit une dérive migratoire des Peuls vers l'est correspondant à l'itinéraire des anciens pèlerins vers La Mecque. Cette "Hégire peule" mène ceux du Nord-Nigéria vers le Soudan et des poussées vers le nord se manifestent au Niger et en Mauritanie où les Peuls empiètent de plus en plus sur les parcours d'autres pasteurs touaregs et maures. Cette progression, qui a atteint dans certains secteurs 300 kilomètres par rapport aux localisations du début de la colonisation, est due à la recherche de nouveaux pâturages. Dans les zones sahéliennes, l'administration coloniale permet les flux migratoires qu'elle contrôle en instituant des espaces libres sur les pâturages et en aménageant des points d'eau. Il n'en est pas ainsi dans les zones méridionales où l'administration identifie les Peuls à l'islam et voit leur migration comme le support d'un prosélytisme religieux (Boutrais 1994).

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Aujourd'hui, les données en matière d'occupation de l'espace ont bien sûr beaucoup changé. Toutefois, d'une manière générale, "les administrations issues des Indépendances reprennent à leur compte des politiques de contrôle, notamment d'ordre fiscal, des populations" (Boutrais 1994 : 143), et ont même tendance à les durcir (Bourgeot 1989). Les graves sécheresses de 1973 et 1983 marquent une rupture sans précédent dans les mouvements migratoires des pasteurs qui désormais se replient vers les savanes du sud. On assiste alors à une nouvelle forme de pastoralisme peul qui s'insère dans les régions méridionales. Cette progression n'est pas sans poser de problèmes avec les populations d'agriculteurs sédentaires (Ouédraogo 1997, Hagberg 2000). "Assurer une coexistence entre des groupes humains aussi différents représente un véritable défi pour les autorités administratives" (Boutrais 1994). Le Yatenga n'échappe pas à ce constat : des groupes de pasteurs ont émigré en masse du Yatenga vers le Boobola ou le pays gurunsi. Après les sécheresses de 1972-1973, "la migration hors du Yatenga, et d'une façon générale, hors du Mogho est devenue […] un fait inéluctable pour qui veut simplement maintenir l'effectif de son troupeau" (Benoît 1982 : 118).

b. Complémentarité et échange

Pour les éleveurs qui restent (et ils sont nombreux), le climat pose des difficultés croissantes jour après jour. Les années 1970-1980 ont conduit à une paupérisation des pasteurs nomades qui ont dû se convertir un peu plus à l'agriculture pour survivre (de Bruijn 2000, Thébaud 2002). Ceux là admettent volontiers qu'ils n'auraient pas pu maintenir leur charge bovine si personne n'avait migré. Si l'on distingue parfois les Peuls nomades, qui dépendent entièrement de leur bétail pour leurs besoins, et les Peuls sédentaires, qui pratiquent à la fois la culture et l'élevage, Jean-Yves Marchal remarque que les Peuls du Burkina font majoritairement partie de la deuxième catégorie. A l'exception de quelques fractions gaobe et bella, "tous les autres pasteurs, ressortissants voltaïques, ont une économie mixte" (Marchal 1983 : 540) et, par conséquent, leur mobilité se réduit à des transhumances de saison pluvieuse, pratiquées par un membre de la famille ou confiée à un berger. Autrefois, leur économie de subsistance était fondée sur l'association de l'élevage à l'agriculture généralement pratiquée par les rimaïbe. En fait, il y a longtemps que les Peuls pratiquent l'agriculture et particulièrement ceux qui se sont établis dans le centre du Yatenga,

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parmi les Moose et où des Peuls "très mobiles ne pourraient pas vivre" (Marchal 1983 : 541). Les Peuls du centre du Yatenga se sont toujours satisfaits d'un pastoralisme cantonnés à des espaces autour de leur résidence ou dans des aires de "délestage" en suivant des itinéraires précis.

Photos 2 : Activités de la terre et d'élevage

En haut à gauche : la récolte du petit mil à Youba.

En haut à droite : travaux champêtres à Youba En bas : le troupeau d'un agriculteur moaga à Bosomnore.

Champ à Youba

En haut à gauche : traite du lait par une femme peule, Diouma.

En haut à droite : maison d'une grand-mère peule, Bosomnore.

En Bas : concession d'une famille peule, Bosomnore.

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De leur côté, les agriculteurs associent leur activité principale à l'élevage de petits ruminants et de bovins qu'ils confient généralement à des bergers peuls. En 2005, la région du Yatenga totalise cinq années de récoltes médiocres et prolonge les difficultés économiques qui se sont amorcées depuis le début des années 1970. Les vols de bétail sont de plus en plus nombreux et nous avons pu constater que ce type de problème se règle grâce à l'intervention des Peuls. Un animal volé est généralement revendu dans un marché éloigné de la localité où il a été dérobé. Seul un Peul est capable de conduire un animal sur une longue distance et seul un berger est susceptible de retrouver en brousse un animal "signalé". Les Moose victimes de tels vols s'en remettent à des bergers de confiance qu'ils paient pour retrouver l'animal. En outre, si les agriculteurs pratiquent l'élevage de petits ruminants, ils peuvent aussi posséder quelques bovins destinés à être revendus après la saison des pluies. Cette transaction leur permet de tirer une plus-value de l'embouche bovine, mais aussi d'exploiter certaines races assez robustes pour labourer un champ. En revanche, la conception de l'élevage bovin chez les Peuls est tout à fait différente. L'élevage reste extensif et la vente d'un animal est considérée comme une solution de dernier recours, alors que pour les agriculteurs, la vente de l'animal est envisagée comme une fin. L'élevage chez les Peuls accorde une grande importance à l'exploitation du lait qui reste le monopole des femmes, alors que jamais un homme, ni une femme moaga n'envisagerait de traire une vache.

Peuls et Moose tendent donc vers la pratique généralisée d'une économie mixte couplant l'agriculture à l'élevage, mais il faut bien reconnaître que les conceptions sont très différentes selon les groupes. Jean-Yves Marchal constate l'existence de "pasteurs résignés au travail des champs, paraissant plus soucieux de protéger les cultures contre les animaux que de soigner les sarclages" (Marchal 1983 : 551). Ceci étant, Peuls et

Moose bénéficient à certains égard de la complémentarité des deux activités.

Aujourd'hui, il est fréquent qu'en période de saison sèche, les Peuls partent en petits groupes s'installer sur les champs des agriculteurs avec leurs animaux. Mirjam de Bruijn (2000) montre les bénéfices réciproques de l'institution des jatigi dans laquelle le paysan hôte reçoit les pasteurs transhumants sur son lopin de terre. Dans un espace où cohabitent les compétences pastorales et agricoles, les conflits sont plus fréquents : dégâts champêtres, vol de bétail, pistes mises en culture sont autant de raisons qui mènent devant une autorité judiciaire les éleveurs Peuls et les agriculteurs moose. Il

n'existe pas un unique recours juridique. En cas de conflit, il est même fréquent que le règlement se fasse à l'amiable. Des complications ou des désaccords plus profonds mènent les protagonistes devant un chef traditionnel ou, comme c'est le plus souvent le cas, au niveau du tribunal départemental, présidé par le préfet et assisté d'assesseurs. Enfin, si le litige ne se règle pas à ce niveau, l'affaire peut se poursuivre au niveau provincial, voire même national. Ceci est cependant très rare, tant les délais sont longs et les frais élevés.

On voit donc ici comment au cours du temps, le mode de production pastoral a déterminé l'instalation des Peuls faisant ainsi naitre des interdépendances avec les

Chapitre 2.

Chapitre 2. Le processus Le processus