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La chefferie comme système politique précolonial précolonial

politiques dans le Yatenga. politiques dans le Yatenga

Chapitre 3. La chefferie, du général La chefferie, du général au particulier

I. La chefferie comme système politique précolonial précolonial

1.

Les études d'anthropologie politique sur les sociétés

précoloniales.

Le terme "chefferie" apparaît dans les années 1960 dans les études américaines d'anthropologie politique sous le nom de chiefdom. La chefferie est d'abord envisagée comme un stade intermédiaire de l'évolution de l'humanité dont la forme la plus archaïque serait les "bandes" puis, les "tribus" cédant la place aux chefferies pour finir avec la forme la plus évoluée qu'est l'Etat (Muller 1991). Cette vision du monde a été rapidement remise en question pour reconnaître que les chefferies sont constituées selon une logique spécifique. Quelle que soit cette apparition tardive du terme "chefferie", les sociétés politiques à la tête desquelles se trouvent des chefs sont étudiées depuis que la discipline existe. En effet, dans le prolongement de la pensée évolutionniste, l'anthropologie politique s'est longtemps intéressée aux différentes formes d'organisation politique et l'on pourrait dire que jusque dans les années trente, la question des origines de l'Etat fascine. Les systèmes politiques que les ethnologues observent dans les sociétés dites exotiques sont considérés comme des formes inachevées, en cours d'évolution vers un stade définitif et moderne que serait l'Etat. Comme l'affirme Pierre Clastres dans La société contre l'Etat (1974)3, la pensée évolutionniste est stimulée par une vision ethnocentrique du politique et pendant longtemps les ethnologues ont cherché à recenser les sociétés selon leur degré de rapprochement avec nos sociétés. En effet, depuis la fin du XIXè siècle jusque dans les années 40, les monographies se multiplient et on découvre une multitude de formes politiques. Si les typologies des formes d'organisation politique ont été nombreuses, on s'accorde généralement pour distinguer les sociétés égalitaires des sociétés stratifiées (Lombard 1998). Parmi les sociétés égalitaires, on classe généralement les "tribus" et les

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"sociétés lignagères". Parmi les sociétés stratifiées, se situent les chefferies et les Etats. Nous retiendrons la définition de Claude Rivière (2000 : 57), qui considère que l'"on réserve généralement le nom de chefferie aux communautés territoriales, à base régionale, non purement clanique, soumises à l'autorité d'un représentant spécialisé dans la direction des affaires collectives et dans un rôle de régulation sociale. Le mot désigne à la fois l'institution (la chefferie comme on dit royauté), et le territoire (la chefferie comme on dit le royaume)". En outre, beaucoup d'anthropologues (Abélès et Jeudy 1997, Rivière 2000) s'accordent sur le fait que la définition de l'Etat proposée par Siegfried Nadel dans A Black Byzantium (1942)4 fait désormais autorité. Largement inspiré de Max Weber, Nadel considère l'Etat comme un système politique qui résulte de la conjonction de trois facteurs : l'existence d'une unité politique fondée sur la souveraineté territoriale, un appareil gouvernemental spécialisé qui détient le monopole de la violence légitime, un groupe dirigeant qui se distingue du reste de la population par sa formation, son recrutement et son statut et monopolise l'appareil de contrôle politique.

Pour beaucoup d'anthropologues se pose le problème des critères de différenciation entre chefferie et Etat. Comme le fait remarquer Georges Balandier (1984), dès lors que l'on compare ces deux catégories de pouvoir centralisé que sont la chefferie et l'Etat, "la frontière entre les systèmes politiques à chefferie et les systèmes monarchiques n'est pas encore rigoureuse". Il remet en question les critères de différenciation (taille de l'unité politique, complexité et coïncidence de l'espace politique avec l'espace culturel) et estime que les éléments de différenciation sont d'une autre nature. Pour l'auteur d'Anthropologie politique, le chef et le roi ne diffèrent pas seulement par l'extension et l'intensité du pouvoir qu'ils exercent mais aussi par la nature de ce pouvoir. Le premier ne détient pas l'usage de la force qui relève souvent d'un chef de guerre, il ne légifère pas, mais veille au maintien de la coutume et n'a pas le monopole du pouvoir exécutif. Il se caractérise par son don de persuasion, son talent pacificateur et sa générosité. Ces caractéristiques sont en effet valorisées dans les sociétés à chefferie, en Afrique certes, mais aussi chez les chefs des sociétés amérindiennes (Clastres 1974).

Si la chefferie s'inscrit généralement dans le cadre de sociétés hiérarchisées, les ambiguïtés demeurent dès lors que l'on se penche sur les représentations populaires de cette institution. Jean-Pierre Olivier de Sardan (1984) montre combien la chefferie renvoie à des réalités multiples. Tantôt il s'agit d'une prééminence reconnue aux descendants des premiers occupants, fondateurs d'un village ou d'un puits, c'est ce que l'auteur appelle la "chefferie paysanne" ; tantôt il s'agit d'un pur acte de force d'un chef imposant son pouvoir, c'est la "chefferie aristocratique". La chefferie semble parfois connoter un pouvoir politique contraignant associé à une classe dominante ou encore désigner une instance politique dans des groupes dits segmentaires ou peu hiérarchisés. Dans l'un comme dans l'autre cas, on évoque la présence d'un chef. Et on le voit, les pouvoirs d'un chef et son mode de désignation renforcent toute l'ambiguïté de cette forme politique. Le chef désigné peut être le plus ancien de la famille régnante, mais il peut aussi y avoir rotation entre les rameaux de la famille, dans d'autres cas, le chef est issu d'une seule et même maison. Parfois, on procède à une séance de divination, ou c'est un chef de guerre choisi pour son courage et sa capacité à défendre le groupe (Olivier de Sardan 1984). On pourrait multiplier les exemples de chefferie, qui les uns après les autres, rendent toujours plus difficile de concevoir un modèle idéal typique.

2.

Organisations politiques peules

En fait, il faut distinguer la chefferie du fait d'être chef. Chez les Peuls, plusieurs niveaux de pouvoir peuvent être distingués. "Amiru" et "lamiido" sont des statuts qui semblent renvoyer à des positions équivalentes : celle d'un chef supérieur. "Lamiido" est tiré du terme "laamu", le pouvoir. La distinction avec l'amiru se situe plutôt au niveau de la représentation du pouvoir et non de la hiérarchie. En effet, "amiru", que l'on traduit généralement par "émir", fait référence à la hiérarchie politique qui prévaut dans les systèmes politiques musulmans. Au Maasina comme au Liptako, c'est ce terme qui est employé pour désigner les chefs qui, à l'époque des jihad, ont levé l'étendard de la religion ; il en est de même à Todiam. Dans chacun des cas, le chef est aussi appelé "kananke". Deux autres personnages suivent dans la hiérarchie politique peule, le ardo et le jooro (Kintz 1985). Jooro est une contraction de jom wuro. Jom est un concept large qui recouvre l'idée de "chef" ainsi que celle de propriétaire. Wuro est souvent traduit en français par "village" et jooro par "chef de village", mais cette traduction est simplificatrice. Wuro désigne un espace habité, un établissement humain

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sans distinction de taille. Le wuro peut autant être un hameau qu'une ville et, dans des cas extrêmes, la seule famille nucléaire (Riesman 1974 : 39-42). "L'élément déterminant l'emploi de ce terme est la présence de femmes dans l'espace considéré qui conditionne le déroulement normal de la vie quotidienne" (Kintz 1985 : 94). En aucun cas, un petit groupe en transhumance ne peut donc être considéré comme un wuro. La fonction de

jooro est d'ordre foncier, juridictionnel, fiscal et représentatif. Le jooro est censé

déterminer l'accès à l'espace pour ce qui concerne l'habitat, l'agriculture et le creusement des puits. Il dispose d'un pouvoir juridictionnel sur son espace. Le jooro est consulté pour régler des conflits interpersonnels qui, s'ils ne sont pas résolus, peuvent être portés devant la justice, la police ou encore devant le laamido. Chez les Diallube, les

jooro sont à la tête de petits groupes dispersés dans des villages et vivent parmi les Moose. Comme le suggère Danièle Kintz, les jooro ont un rôle représentatif important.

Ils sont les intermédiaires entre le chef de canton et la population. A l'époque coloniale, ils percevaient les impôts dans leur espace et le remettaient au chef de canton ou à son représentant. Constituant la clientèle politique du chef lors de sa nomination, les jooro forment ensembles ce que le chef diallube de Thiou appelle le "conseil des sages". Leur décision est fortement influencée par la relation qu'ils ont entretenue avec le chef défunt qui d'ordinaire cherche plutôt à nantir ses propres fils. En règle générale, le principe de succession se fait d'abord en faveur du fils aîné, et en second lieu, du frère puîné.

"Alors que le jooro est incontestablement lié au territoire du groupe et à sa résidence, le ardo est, au contraire, associé au déplacement dont il est même le moteur, le leader" (Kintz 1985 : 98). Le verbe artaade, qui a la même racine, signifie "précéder, marcher en tête". Jooro et ardo ne doivent pas renvoyer à une dichotomie trop simpliste sédentaire/nomade qui ne rendrait pas compte de l'organisation spatiale des Peuls, faite de toutes les possibilités intermédiaires entre ces deux pôles. Un Ardo est un leader de migration. Il est à la tête d'un groupe dont toute l'histoire connue est faite d'une succession de migrations et d'installations. Le ardo a en effet, une forte connotation historique et païenne. Les arbe ont disparu avec l'islamisation parce que les régimes musulmans se sont efforcés de sédentariser les Peuls et surtout, ont combattu (à l'époque des jihad) toute forme de paganisme qu'incarnaient les ardobe. D'après Danièle Kintz, ardo et jooro ne sont généralement pas indépendants. Ils appartiennent à une entité politique propre conduite par un laamido, ou alors ils relèvent d'une structure

politique non-peule plus vaste, dirigée par d'autres groupes tels que les Moose ou les

Hausa. Etablissant une typologie des formes de pouvoir chez les Peuls, elle met en

évidence l'existence de quatre configurations principales de pouvoir chez les Peuls : - Un jooro seulement. Cette forme caractérise les entités politiques de petite taille.

- Un ardo seulement. Cette forme renvoie également à de petites unités, généralement mobiles.

- Des joorobe et un laamiido. C'est la forme qui prévaut chez les Peuls du Yatenga à la période coloniale et chez les Diallube quelques années avant l'occupation française.

- Des arbe et un laamiido qui renvoie à une époque pré-islamique.