• Aucun résultat trouvé

politiques dans le Yatenga. politiques dans le Yatenga

Chapitre 2. Le processus Le processus d'islamisation

II. Présence discrète de l'islam dans le Yatenga précolonial précolonial

2. Les Peuls "animistes"

S'il est généralement admis que les Peuls tooroobe soient anciennement islamisés, il n'en est pas de même de leurs cousins diallube et foynabe. Néanmoins, il ne serait pas juste de parler d'une religion peule pré-islamique comme nous venons de le faire à propos des Moose. Paul Riesman, dans son ouvrage Société et liberté chez les Peuls djelgôbé de

Haute-Volta (1974), s'interroge sur l'existence d'une telle religion au Jelgooji avant les

grandes vagues d'islamisation du XIXè siècle. Selon l'auteur, l'observateur étranger est frappé par le manque apparent de religion proprement peule. En effet, même chez certaines fractions wodaabe faiblement islamisées étudiées par Marguerite Dupire, nous ne trouvons ni culte des ancêtres ou des esprits, ni rites collectifs d'un caractère nettement religieux. Dans l'avant-propos de son ouvrage Organisation sociale des Peul, Marguerite Dupire (1970) souligne que, lorsqu'elle entreprenait ses enquêtes chez les Bororo du Niger et de l'Adamawa, elle abandonnait "l'espoir de trouver les traces d'une religion préislamique originale que laissait supposer l'existence en langue fulfulde d'une classe nominale énigmatique de (nge) dans laquelle voisinent la vache, le feu et le soleil" (Dupire 1970 : 14). S'agissant des Djelgôbe de l'actuel Burkina Faso, Paul Riesman ajoute : "l'islam ne semble pas avoir remplacé une ancienne religion ou s'être greffé sur elle, mais il s'est créé une place dans leur conception du monde et un rôle dans la structure sociale qui n'existait peut-être pas auparavant" (1974 : 101). Même si aujourd'hui le fait d'être musulman est inséparable du fait d'être peul, la ferveur religieuse varie selon les individus.

Nous rejoignons Paul Riesman et Marguerite Dupire s'agissant des difficultés à définir l'existence d'une religion peule préislamique, néanmoins, on ne peut nier

74

qu'aujourd'hui les Peuls considèrent certaines pratiques comme contradictoires avec l'islam, et que si l'opposition islam/coutume n'est pas toujours claire, "c'est une distinction que font les Peuls eux-mêmes" (Riesman 1974). D'après nos données, les Peuls associent leur croyance pré-islamique à deux activités : la guerre et le pastoralisme. Concrètement, les coutumes sensées être contradictoires avec l'islam mettent en scène le personnage du silatigi à Banh, et le tambour de guerre à Thiou.

Au centre des pratiques religieuses des Peuls, se hisse le personnage du silatigi évoqué s'agissant de l'origine des foynabe de Banh. Ces silatigi, réputés pour leurs pouvoirs magiques, étaient capables de provoquer la pluie, de maudire ou de bénir :

"A Sari, il y a eu cinq Silatigi. Un Silatigi a un pouvoir dès son plus bas âge. Dès l’enfance, on apprend à être Silatigi. Le Silatigi qui était l'ancêtre des

Foynabe avait été initié très jeune dans le groupe. Ce qu’ils adoraient

s’appelait "tooru". Le Silatigi est une personne qui est devenue puissante. S’il la maudissait, la personne était emportée, s’il la bénissait, ça marchait aussi. Il y a au moins cinq Silatigi enterrés là-bas" (L.B. Barry, Banh, janvier 2003).

Comme le rappelle Marguerite Dupire (1998), le silatigi est un personnage qui ne subsiste plus qu'à l'état de souvenir chez les Sereer du Nord-Ouest du Sénégal. On pourrait en dire de même chez les Peuls de Banh. D'après l'auteur, le silatigi serait d'origine manding comme en témoigne son nom (sila tigi : maître de la route, chef de migration). Déclinant les multiples variations de ce leader religieux au Sénégal, elle montre qu'au Fouta, "les satigi8 font figure de grands chefs militaires et administrateurs qui rendaient aussi la justice". Le siltigi est un art qui s'apprend et se transmet entre parents agnatiques. L'apprentissage du savoir qu'il contient se fait de plusieurs manières : de père en fils ou lors d'un apprentissage prolongé auprès d'un maître mais aussi par les révélations d'un génie. De véritables écoles de siltigiyagal auraient existées au Boundou, où le maître inculquait à ses jeunes élèves bergers, les connaissances des arbres et des plantes, leur apprenant à observer et à prédire. Après avoir acquis ces connaissances fondamentales, devaient s'ajouter celles permettant l'interprétation des cris des animaux. Le déroulement de cet enseignement se faisait avec la collaboration des génies. Selon une conception commune à tous les pasteurs peuls (Saint-Croix

1972)9, le monde de l'homme avec son bétail trouve sa contrepartie dans celui des génies vivant avec les animaux sauvages qu'ils ont apprivoisés et qui, pour cette raison, peuvent porter secours à l'homme. Au Sénégal, certaines connaissances sont spécifiques à des lignées d'où sont issus les siltigi : ici se transmettait le secret du bétail, là le secret de la guerre ou de la chefferie…Généralement l'apprentissage offre "d'utiles techniques pour obtenir la participation aux guerres et aux razzia de bétail, un accroissement de pouvoir" (Dupire 1998 : 116). Un ardo, chef d'une fraction pastorale, cherche donc à posséder et à conserver dans sa seule lignée des techniques qui ont un rapport étroit avec la solidité du commandement. Dans les régions anciennement islamisées de l'actuel Sénégal où Marguerite Dupire a effectué ses enquêtes, elle révèle que les saltigi, grands connaisseurs des plantes et des cris d'animaux, doués de pouvoirs divinatoires, occupaient aussi la fonction de conseiller auprès des chefs politiques. Ils ont rapidement associé leurs pratiques magiques à l'islam.

En revanche, à Banh, ces conceptions religieuses semblent être considérées comme contradictoires avec l'islam. Le silatigi, perçu comme un représentant des croyances pré-islamique, doit, pour certains informateurs, être omis du discours historique. Lors d'un récit de plus d'une heure ininterrompue, un vieillard nous a raconté le mythe de fondation des Foynabe, et les péripéties de ses ancêtres silatigi. Nous ignorons s'il a été lui-même initié, mais sa réputation de visionnaire et de grand connaisseur des animaux le précède toujours. Quoi qu'il en soit, les récits généreux de ce vieillard ont probablement indisposé d'autres villageois musulmans, qui lui auraient suggéré de ne plus donner d'informations supplémentaires de ce type. C'est ainsi que lors de notre deuxième rencontre, il prétextait être fatigué ajoutant qu’il y a dans ce monde beaucoup de personnes qui connaissent autant de choses que lui10.

Les traces de l'animisme sont acceptées chez les Diallube et parfois revendiquées. A Thiou, l'islam est mis en opposition avec l'usage des tambours de guerre. Ces objets, qui sont un peu le patrimoine du groupe, la preuve de ses victoires passées, sont aujourd'hui présentés comme les "fétiches" que l'on sort à l'occasion des fêtes de la chefferie. Si le chef actuel de Thiou les fait frapper sans hésitation lors des grandes fêtes musulmanes, son père refusait en revanche de les utiliser comme symbole

9 Cité par Dupire (1998)

10 Nous avons interprété ce refus comme une censure car à l'occasion du premier entretien le vieillard nous avait assuré qu'il était à notre disposition tant qu'il était de ce monde.

76

de la chefferie car il les estimait incompatibles avec l'islam. D'après Paul Riesman, les vieillards interrogés dans le Jelgooji s'accordent sur le fait qu'avant l'ère coloniale, la force de l'islam était beaucoup moins importante qu'aujourd'hui. Ils citent comme preuve l'existence presque continue d'un état de guerre entre les différentes familles du Maasina, de Banh et du Jelgooji. "Les conflits politiques n'étaient pas projetés ou sentis sur le plan religieux" (Riesman 1974 : 101) contrairement à l'ère des jihad du XIXè siècle où la guerre prenait tout son sens religieux, fondée sur le dogme du devoir de convertir les âmes impures.

Malgré la prééminence de la religion moaga sur le royaume et l'existence de pratiques animistes chez les Peuls diallube et foynabe, ces groupes ont longtemps côtoyé les populations musulmanes. D'origine yarse, marãse ou tooroobe, ces adeptes de l'islam n'ont pas pratiqué de prosélytisme mais en revanche, ont entretenu des relations d'interdépendance avec les populations animistes et particulièrement avec les rois. Ces derniers ont toléré la présence des musulmans sur le royaume et l'histoire montre que certains rois ont établi des relations privilégiées avec eux.