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La formation du royaume du Yatenga

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II. Les Peuls dans le royaume du Yatenga

2. La formation du royaume du Yatenga

Carte 5 . Royaumes moose en 1895, source : Izard (1985a).

20 Alors que le Moose pratiquent un élevage intensif et refusent de traire le lait, ce qu'ils considèrent comme le travail des femmes peules, les Silmimoose ne répugnent pas cette tâche qu'ils confient aux enfants.

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On considère qu'à la fin du XIXè siècle, le Moogo regroupe une vingtaine de formations politiques dont les deux principales sont les royaumes de Ouagadougou (Wogodogo) et du Yatenga (cf. carte 5 ci-dessus). On raconte que tout commence dans l'actuel Ghana, où un certain Naaba Wedraogo serait sorti armé d'une forêt pour s'élancer vers le nord. Plusieurs mythes, que nous n'évoquerons pas ici parlent de ce personnage21. Ce qu'il faut retenir est que les Moose au sens strict se considèrent comme les descendants de ce Naaba Wedraogo. En fait, on s'accorde pour dire que l'histoire débute deux générations plus tard avec Naaba Wubri qui est reconnu comme le

fondateur du Wubritenga, littéralement "la terre de Wubri", qui deviendra le royaume de Wogodogo. L'époque de Naaba Wubri se situe dans la deuxième moitié du XVè

siècle selon les estimations de Michel Izard (1970). Plusieurs de ses fils seraient partis conquérir les terres en direction du nord, élargissant le territoire du Wubritenga. Ils atteignent de petites zones méridionales du Yatenga et fondent respectivement les petits royaumes de Giti et Gambo (cf. carte 6 p. 45). Jusque là, toutes ces expéditions se sont faites dans le but d'agrandir le Wubritenga, mais cette conquête de nouveaux territoires s'achèvera avec l'arrivée de Naaba Yadega, petits-fils de Naaba Wubri.

Avant l'arrivée des Moose, le Yatenga est peuplé de groupes d'origines multiples. En premier lieu, il y a les Fulse22, présentés comme une population guerrière venue de l'Est. Après avoir probablement démantelé quelques petits commandements songhay, les Fulse fondent le royaume du Loroum. Ce pouvoir qu'ils imposent à des populations autochtones d'agriculteurs sédentaires, s'étend sur l'actuel Jelgooji et dans la partie orientale du Yatenga pour se prolonger vers le sud jusque dans la région de Gourcy23. Parmi les groupes songhay, beaucoup sont assimilés aux Fulse et ceux qui s'en distinguent formeront le groupe des Marãse. Ceux-là sont généralement reconnus comme des commerçants caravaniers, musulmans et de surcroît teinturiers (Izard 1985a). Quant aux autres populations d'agriculteurs sédentaires que les Fulse dominent, elles gardent la maîtrise de la terre et le pouvoir religieux qui lui est associé. A l'extérieur du territoire contrôlé par les Fulse, vivent des populations organisées en communautés villageoises. Parmi elles, aux frontières occidentales du Loroum, se trouvent les Kibse24 dont beaucoup ont fui et que l'on désigne aujourd'hui comme les ancêtres des Dogons. Plus à l'Ouest vivent les Kalamse en nombre réduit et les Ninise dont une partie forme les ancêtres des Samo.

Carte 6 . Le Yatenga avant l'arrivée des Moose (XVè siècle).

22 Eux-mêmes s'appellent Kurumba. 23 Anciennement Gurcy.

24 "Une partie de la population du Yatenga est constituée de Kibsi, devenus culturellement Moose, ressortissant du même ensemble de peuplement que les Dogons orientaux et septentrionaux" (Martinelli 1995 : 383).

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A cette époque, l'économie est essentiellement fondée sur l'agriculture, l'élevage du petit bétail, le commerce du sel pratiqué par les Marãse et la métallurgie. Il faut dire que le Yatenga est un pays riche en minerai de fer comme l'Afrique de l'Ouest en compte peu. Les forgerons sont principalement des Kibse (Izard 1985 : 20). Ainsi, avant l'arrivée des Moose, le pays est-il habité par des populations d'origines multiples et les jalons d'un Etat sont-ils posés par les Fulse. Des Moose commencent à s'y implanter par vagues successives, leur dessein étant à l'époque d'étendre le royaume du Wubritenga.

Mais l'entrée en scène de Naaba Yadega en fera le deuxième royaume du Moogo par la taille et par l'importance géopolitique après le Wubritenga…

A la mort du fils de Naaba Wubri, la compétition s'ouvre entre Naaba Kumdumye et Naaba Yadega. Le premier est intronisé Moogo Naaba et s'installe à La (devenu La-Todé). Evincé du pouvoir, le futur Naaba Yadega complote avec sa sœur Pabré qui dérobe les emblèmes royaux transmis depuis Naaba Wubri. Les deux quittent secrètement La pour Minima, localité où Naaba Yadega a fait son éducation de prince. On dit que les deux fugitifs (probablement entourés de compagnons) sont poursuivis en vain25. Quoi qu'il en soit et après maintes ruses, Naaba Yadega s'installe à Gourcy et fédère sous son autorité des commandements déjà existants. Il place ses compagnons de la première heure dans de nombreuses localités. Il brise la résistance des Kibse et parvient à les expulser puis place les Fulse comme maîtres de terres désormais associés au pouvoir, naam. Il renforce l'organisation militaire des localités sous son autorité (Izard 1985a : 10-43). Au crépuscule du XVè siècle, le royaume du Yatenga est fondé, mais il faudra attendre le règne de Naaba Yemde (1850-1877) pour que les frontières du royaume soient définitivement stables. Nous ne reprendrons pas ici l'histoire du royaume dont la construction est jalonnée de conflits dynastiques, de résistances internes et externes26. Il convient néanmoins de revenir brièvement sur le XVIIIè qui est à la fois une époque charnière dans la centralisation du royaume et aussi celle de l'implantation des Peuls.

Vers le début du XVIIIè siècle, le pouvoir royal se consolide, les Moose n'ont presque plus d'espaces nouveaux à faire passer sous leur domination. Le pays est composé de commandements locaux dirigés par les fils de rois et leur densité est telle qu'il n'est presque plus possible d'installer de nouveaux chefs. Les conflits entre branches dynastiques sont inéluctables d'autant qu'ils sont arbitrés par des rois, qui, soucieux de nantir leur fils laissent "les nakombse se manger les uns les autres". Dans ce contexte de saturation des espaces politiques, il s'agit pour une dynastie désirant renforcer son pouvoir, de consolider l'appareil d'Etat (Izard 1985 : 63-65). L'Etat du Yatenga n'est abouti et stabilisé qu'à la fin du XVIIIè siècle sous le règne d'une figure

25 A Ouagadougou, capitale du Wubritenga, cet événement n'est pas relaté. 26 Voir à ce sujet Michel Izard (1985a).

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exceptionnelle, Naaba Kango. Ce personnage, que certains récits27 qualifient de cruel et autoritaire, organise l'économie du pays en assurant la sécurité des axes commerciaux sur lesquels transitent les denrées telles que le sel, la cola, les nattes et les étoffes. Il protège Youba, principal marché du royaume habité par des Yarse et des Marãse et crée non loin de là, Ouahigouya28, la capitale. Cette phase de l'histoire, caractérisée par l'intégration du commerce transsaharien à l'organisation du royaume, marque l'aboutissement d'un processus progressif de formation d'un Etat. Que les Etats soudanais soient tributaires des échanges commerciaux entre le monde noir et l'Afrique du Nord est, d'après les conclusions de Jean-Louis Triaud, la clé de voûte de leur existence et de leur prospérité. Ainsi, "le ralentissement du trafic, ou bien le déplacement de ses voies de passage, est fatal aux royaumes qui en bénéficiaient jusqu'alors" (Triaud 1973 : 218). Les pouvoirs moose avaient donc tout intérêt à entretenir les meilleures relations avec les commerçants musulmans yarse et marãse dont ils protégeaient les routes. Naaba Kango renforce également le contrôle des frontières et centralise le pouvoir. Bref, le Yatenga est désormais un territoire dont les dispositifs de contrôle économique, militaire, administratif et politique sont unifiés. Or, c'est à cette même période et un peu avant, quand le royaume se consolide, que les Peuls commencent à s'implanter massivement sur le royaume. Leur installation dans les zones frontalières inhabitées recèle pour le Yatenga, un danger potentiel évident.