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politiques dans le Yatenga. politiques dans le Yatenga

Chapitre 3. La chefferie, du général La chefferie, du général au particulier

II. Le tournant colonial

3. Les années 1944-1960

Les années 1944-1960 marquent un tournant dans l'histoire coloniale puisque c'est dans cette période qu'émergent puis aboutissent, les luttes pour l'Indépendance. D'une manière générale, en Afrique, les chefs de canton (traditionnels ou néo-traditionnels) aux côtés des administrateurs coloniaux, forment avec eux, les forces opposées aux mouvements indépendantistes des nouvelles élites africaines dont le R.D.A. se fait dès 1946 un des représentants. Toutefois ces considérations généralistes ne doivent pas faire oublier que dans les territoires voltaïques entre 1944 et 1960, les forces en présence dans l'espace politique sont nombreuses et les combats qui se forment vont bien au-delà d'une simple dichotomie : colonialistes, chefs coutumiers/ indépendantistes, nouvelles élites socialistes.

En 1944, au lendemain de la "Conférence africaine" de Brazzaville, un tournant s'effectue en Afrique : les administrateurs passent d'une pratique autoritaire du commandement à l'exercice en souplesse d'une autorité partagée avec les élites africaines désormais acquises à l'idée d'Indépendance (Maillard 2003). Jusqu'en 1958, l'idée fait son chemin chez les élites scolarisées qui commencent à s'organiser en une force d'opposition à la politique coloniale. C'est dans cet esprit qu'en octobre 1946, lors du congrès de Bamako, le R.D.A.9 voit le jour. Associé au Parti Communiste Français, le R.D.A, qui affiche ses positions anticolonialistes, a de quoi inquiéter les cercles coloniaux (Savonnet-Guyot 1986).

Cette période est aussi celle de la création de l'Union française qui, de 1946 à 1958, constitue l'ensemble formé par la République française et ses colonies. Cette époque est parfois présentée comme une ère de promesses et d'espoir qui s'ouvre pour les populations colonisées d'Afrique occidentale puisque qu'elle consacre l'abolition des travaux forcés, reconnaît la liberté syndicale et définit un code de travail pour les "indigènes" qu'elle élève désormais au rang de citoyens français (Ouédraogo 1995a). L'élan d'espérance, qui suit ces promesses, devait traverser l'Afrique, mais les voltaïques ne le vivent qu'en demi-teinte. En effet, à cette époque et ce depuis 1932, la Haute-Volta était démantelée sous l'influence des entreprises privées françaises qui souhaitaient constituer un réservoir de main d'œuvre pour les autres colonies françaises voisines. Pour beaucoup de voltaïques ce changement a été vécu comme une humiliation (Magnini 1995) ou encore comme une mesure prise au "mépris de leur dignité" (Ouédraogo 1995a). "Les conditions misérables et humiliantes qui sont faites aux manœuvres voltaïques recrutés de grés ou de force et acheminés sur les chantiers et plantations de la Basse Côte d'Ivoire" (Magnini 1995) marquent une grand nombre d'entre eux. Si les travaux forcés s'opèrent de cette manière partout en A.O.F., il est certain que les régions du Moogo ont été le plus touchées par ce transfert de main d'œuvre. Ainsi, le problème le plus urgent à régler dans les cercles voltaïques était-il celui de la réunification de la Haute-Volta qui devait mettre un terme aux recrutements abusifs et vécus comme une humiliation. Or, ce combat sera en partie celui des chefs

Moose.

Le parti de l'Union pour la Défense des Intérêts de la Haute-Volta (U.D.I.H.V.), créé par le Moogo Naaba Saaga, cède rapidement la place à l'Union-Voltaïque. Naaba Saaga rassemble d'autres chefs moose et Gourmantché. Le Yatenga

Naaba fait alors parti du combat. Au mois de juillet 1946, les chefs moose se réunissent à

Ouahigouya autour de leur doyen d'âge, "sa majesté" le Yatenga Naaba Tigré pour rédiger une pétition demandant à la France de reconstituer la Haute-Volta. Ces projets politiques s'opposent clairement à ceux du R.D.A. et sont ralliés par des intellectuels comme Nazi Boni qui se fait un fervent défenseur de la cause voltaïque. Le combat pour la réunification de la Haute-Volta provoque donc le rassemblement sous une même bannière, d'intellectuels, gagnés à l'idée d'indépendance et de chefs "coutumiers", par ailleurs présentés comme les forces rétrogrades. Les désaccords entre les deux partis se précisent quand Houphouët-Boigny, sous prétexte de refuser la

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balkanisation de l'Afrique par la métropole, manifeste clairement son hostilité à la réunification de la Haute-Volta. Les autorités coloniales, résolues à lutter contre le R.D.A et à soustraire les territoires voltaïques à l'influence du Parti Communiste, décident de donner leur appui au parti des chefs moose. En 1947, la Haute-Volta retrouve son territoire d'antan.

Parallèlement à ces coalitions politiques, se façonne dans le Yatenga une autre force politique autour du Colonel Michel Dorange. Celui-ci est engagé pleinement pour la cause des anciens combattants délaissés par l'Etat français. Les soldats de retours des champs de bataille européens, moins dociles, moins esclaves et moins malléables qu'au premier jour de leur incorporation, avaient certainement de quoi irriter les chefs. Les administrateurs de Cercles qui donnent gain de cause aux plaintes des chefs les considèrent désormais comme des résistants à l'ordre colonial, de mauvais exemples refusant d'obéir, des faiseurs de désordre montant la population contre le chef (Balima 1995). Les chefs coutumiers seront alors une des cibles principales du Colonel Dorange qui entend libérer les paysans "des abus d'autorité de l'administration et des exactions de la chefferie coutumière" (Balima 1995). Conseiller général de la Haute-Volta de 1947 à 1957 et conseiller de l'Union française pour la Haute-Haute-Volta de 1948 à 1958, Dorange n'en était pas moins considéré par ses adversaires, et notamment les tenants du parti des chefs coutumiers comme un "fils du pays qui servait d'instrument d'appoint à la politique colonialiste" (Ouédraogo 1995b : 481). En 1962, sous le régime de Yaméogo (R.D.A.), il est expulsé de Haute-Volta.

On voit donc qu'à l'aube des Indépendances, les forces politiques en présence et les luttes en marche ont donné lieu à des jeux d'oppositions et d'alliances complexes dans lesquelles les chefs traditionnels occupaient une place. Concernant les chefferies peules du Yatenga, des études restent à mener sur leurs positions à cette époque. Certains auraient participé au premier congrès de Bamako donnant naissance au RDA, d'autres se seraient ralliés au parti de l'Union Voltaïque auquel appartenait le Yatenga Naaba Tigré. On devine que dans le sillage des chefs peuls, les logiques politiques étaient loin d'être unanimes. Ceci n'ayant pu faire l'objet d'approfondissement dans ce cadre gagnerait à l'être au cours de recherches ultérieures.