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L'homme libre, l'artisan et le captif

Chapitre 5. Hiérarchie sociale, Hiérarchie sociale, honneur et don au ser vice du pouvoir

I. Formation d'une société hiérarchisée

1. L'homme libre, l'artisan et le captif

Chapitre 5.

Chapitre 5. Hiérarchie sociale, Hiérarchie sociale,

honneur et don au ser vice du pouvoir

honneur et don au ser vice du pouvoir

Dans l'espace public comme lors de la réunion décrite plus haut, les normes statutaires sont réactivées comme des marqueurs identitaires : le captif donne sa force de travail, le griot sa parole et le noble ses richesses. La réalité actuelle et les aléas de l'histoire montrent que la hiérarchie sociale évolue et que les marges de manœuvres dont chacun dispose vont bien au-delà de ce que les assignations statutaires attribuées lors de la réunion pouvaient laisser penser…

I. Formation d'une société hiérarchisée

L'organisation sociale des Diallube, bien que présentant des points communs avec celle des Tooroobe, est très différente par de nombreux aspects. La hiérarchie chez les Diallube va bien au-delà de la simple opposition maître-captif. Plusieurs catégories sociales se sont agrégées à cette société au cours du temps : griots, bijoutiers, anciens captifs des Peuls et des artisans, composent des ensembles interdépendants. Le chef des Diallube est à la tête d'un groupe dont l'homogénéité supposée de l'extérieur contraste avec son hétérogénéité interne.

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L'homme libre, l'artisan et le captif.

Le terme "rimaïbe" (sing. dimaïdjo), que l'on définit le plus souvent par "captifs" ou "serviteurs" a remplacé, après la "pacification", le terme "maccube" (sing. maccudo), que l'on traduit par "esclaves". La connotation méprisante du vocable "maccube" incite généralement les gens à ne pas l'employer, du moins en public. Cette prudence vis-à-vis du vocabulaire à utiliser est néanmoins soumise à des variations régionales : à Thiou, le terme maccube semble banni du vocabulaire, alors qu'à Banh le chef des captifs l'emploie lui-même sans ambages. Après la période dite de pacification, les captifs échangent le

nom de Tambura contre celui de leur maître. L'abandon de ce patronyme qui en dit trop sur le passé, s'effectue à l'occasion de la délivrance des pièces d'identité.

A Thiou comme à Banh, si les rimaïbe dépendent généralement des Peuls proprement dits, les laobe et les captifs des chefs ont, pour certains, possédé des esclaves. Les rimaïbe ont des statuts différents selon les catégories de "maîtres" auxquelles ils sont liés. Cette distinction interne à l'intérieur de la classe servile a été mise en évidence par Jean-Pierre Olivier de Sardan (1984) s'agissant des sociétés songhay-zarma et plus tard, par Christine Hardung (1997) décrivant le conflit identitaire au sein des descendants de captifs, appelés "gando" dans le Nord-Bénin. L'emploi unique du terme rimaïbe pour désigner la classe servile laisse supposer une homogénéité qui cache de nombreuses nuances. Les rimaïbe s'insèrent dans la hiérarchie en fonction de la position de leur maître. A Thiou, ceux du quartier de "debere" occupent, en tant que descendants de captifs de chef, la place la plus valorisée. Non seulement des terres leurs étaient allouées, mais ils bénéficiaient de certains privilèges et pouvaient déléguer des tâches à d'autres captifs :

"Il n'y a pas un seul rimaïbe qui peut dire qu'une parcelle de terre lui appartient, à part notre famille, parce que mon grand-père est venu ici avec les Peuls. Ils ordonnaient aux rimaïbe de débrousailler et quand ils avaient fini, les Peuls disaient : "dis-leur de débrousailler ici, cette place sera pour toi"" (K. Diallo, Debere Naaba, rimaïbe, Thiou, juillet 2002).

Si les captifs cultivaient les terres de leur maître, ils ne possédaient pas de champ et devaient se contenter d'une partie de la récolte pour subvenir à leurs besoins. Seuls les rimaïbe du chef échappaient à cette règle, parce que leur grand-père est venu ici en même temps que les Peuls. Cette précision apportée par le Debere Naaba rappelle que le statut d'un captif est fortement lié aux moyens par lequel son maître l'a acquis (razzia, vente). Une griotte de Banh nous explique cette distinction :

"A l'intérieur du groupe des captifs, certains sont plus bas dans la hiérarchie : ceux qui ont été achetés. Sinon, il y a ceux qui ont été capturés, ils n'ont pas été payés. Les captifs des chefs ne peuvent pas être ceux qui ont été payés" (K. Gadiaga, griotte, Banh, janvier 2003).

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Qu'il ait été acheté, capturé ou qu'il soit "né dans la maison" (Olivier de Sardan 1984), le captif ne disposait pas des mêmes considérations de la part de ses maîtres. Alors que les razzias étaient l'occasion d'emporter bêtes et humains destinés à fournir la main d'œuvre servile, les disettes contraignaient les plus pauvres à gager un de leurs enfants dans une riche maisonnée.

"L’or des famines, c'est lorsqu'une famille n’a pas à manger, elle peut confier certains membres de la famille à une personne qui pourrait satisfaire la famille en vivres. Il y a un délai de remboursement. Si la famille pauvre arrive à rembourser dans les délais ce qu’elle a pris, elle reprend les membres de la famille confiés à ce riche. Dans le cas contraire, le riche garde les membres de cette famille qui deviennent leurs serviteurs. Les Peuls et les laobe le faisaient. Même les Peuls donnaient leurs enfants pour ce service" (Gadiaga O., laobe, Thiou, août 2002).

Ceci étant, le négoce des esclaves pouvait être pratiqué à domicile ou sur les grandes places marchandes comme Dori et les enfants des captifs étaient considérés comme des biens pouvant être vendus par les maîtres en cas de pénurie. En plus d'être chargés des tâches domestiques et agricoles, les rimaïbe fournissaient la chair à canon. "Les Peuls ne font pas la guerre, ce sont les rimaïbe qui sont appelés si Thiou doit faire la guerre", nous explique le Debere Naaba. De même quand le Yatenga Naaba sollicitait l'alliance de certaines factions peules pour combattre à l'extérieur des frontières, ces derniers fournissaient leurs hommes, des rimaïbe.

Les Peuls proprement dits sont considérés comme des "hommes libres", rimbe, statut qui ne peut être attribué aux castes d'artisans-médiateurs comme les laobe même si ces derniers pouvaient également posséder des captifs :

"Le plus souvent les Peuls donnaient des esclaves aux laobe lorsqu’ils allaient à des razzias. Si un Peul ramenait dix personnes, il appelait son griot et lui disait : je te donne cinq esclaves" (Chef de Thiou, Thiou, juillet 2002).

Si les rimaïbe, les laobe et les Peuls peuvent posséder des captifs, il y a bien évidemment une différence statutaire entre les trois catégories sociales. Les représentations sont marquées par des stigmates rappelant que les uns sont chargés des viles tâches et les autres sont des hommes de caste. Que leurs maîtres soient Peuls ou laobe, les rimaïbe

cultivaient et leurs femmes effectuaient les travaux ménagers. Quant aux Peuls diallube, ils sont les "hommes libres", rimbe, ceux dont le statut implique le respect de règles de bienséance : "s'habiller grand", c'est à dire en couvrant la totalité de son corps, manger à l'abri des regards, ne pas parler trop car c'est une tâche qui revient aux griots1.