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Le flux migratoire : ancêtre, origines et itinéraire itinéraire

Chapitre 4. D'un ancêtr e à une D'un ancêtr e à une chefferie

I. Le flux migratoire : ancêtre, origines et itinéraire itinéraire

Notre propos n'est pas de reconstituer une histoire du peuplement mais plutôt les discours dont elle fait l'objet. En effet, qu'il s'agisse des récits recueillis sur le terrain ou des monographies des administrateurs coloniaux, l'histoire du peuplement des

Diallube (mais aussi des autres groupes peuls) est toujours présentée comme s'il

s'agissait d'un groupe homogène où chacun peut se revendiquer d'un même ancêtre. Or seules des investigations à visée d'anthropologie historique dans chacune des localités où résident des Diallube permettraient de comprendre comment ce groupe s'est formé.

1 Sur la base des informations recueillies et présentées dans le corps du texte, nous avons donné des datations approximatives.

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L'histoire des Diallube n'est certainement pas aussi linéaire et consensuelle que semblent montrer les quelques récits recueillis à Thiou et croisés avec les versions des administrateurs. Les groupes se forment par agglomération progressive de petites familles d'origines diverses. En outre, les récits dont nous disposons permettent de donner quelques éléments apportant un aperçu des recherches à entreprendre sur l'histoire des Diallube. L'origine du flux migratoire, les moyens d'existence, les raisons d'implantation dans le Yatenga, le processus d'ancrage territorial, sont autant de points de réflexion pour une histoire des Diallube, qui n'est ici qu'esquissée.

Louis Tauxier (1917) fait des Dialllube du Yatenga, un groupe originaire du village de Yoronga dans le Fouta Jalon. De là, ils seraient venus directement à Gomboro, au Sud du Yatenga, suite à des conflits entre le chef du Fouta et leur ancêtre, Hamani. Nous préférons nous en tenir à l'hypothèse des origines géographiques plus proches, même s'il n'est pas exclu que dans des temps plus anciens, les Diallube soient partis du Fouta Jalon. Les traditions, bien que variables selon les interlocuteurs, s'accordent sur le fait que les Diallube sont venus de l'Hayre2 dans une région malienne de la Boucle du Niger située à moins de 250 km au Nord de Thiou. Pour certains, l'ancêtre Hamani est originaire de Dalla, pour d'autres de Hombori. C'est suite à un conflit de succession que l'ancêtre aurait fui.

L'étude de Mirjam de Bruijn et de Han Van Dijk (1995) montre que les Peuls de l'Hayre se divisent selon une hiérarchie composée de l'élite politique, à savoir les chefs et les guerriers (Weheebe), de l'élite musulmane (Modibaabe), des commerçants (Jawambe), des artisans (Nyeeybe), des pasteurs (Jallube) et des groupes d'esclaves (Rimaïbe). On peut imaginer que les Diallube de Thiou sont issus du groupe des pasteurs

Jallube de l'Hayre. Le chef de Thiou considère que ses ancêtres sont venus de Hombori

au début du XVIIIè siècle:

"Si on reprend nos ancêtres, on les fait remonter jusqu’aux falaises de Hombori. Ils sont descendus par le lac Soum. Ils sont venus par Soule [Solla ?] Dana Koumbri, Tanvusé, ils sont remontés jusqu’à Gomboro dans le Sourou et de là, ils ont mis du temps. Ils se sont installés à Bosomnore puis sont revenus à Bouro, Bango, puis Thiou. […] Ils sont

2 Ne pas confondre cette région du Mali central avec l'autre, plus vaste, dénommée également Hayre, située à l'extrême Nord-Est du Niger.

partis du Maasina parce qu’ils commençaient a être nombreux là-bas, vers Hombori. Ils étaient à la recherche d’autres terres, mais leur départ sur les falaises, c’est un problème de chefferie entre un grand frère et un petit frère. Le petit frère, qui était plus aimé par les gens, n’a pas pu accéder au pouvoir. Il s’est fâché avec lui et il est parti. C’est lui qui est venu installer tous les Diallube au Burkina Faso. Il s’appelait Hamani" (Chef de Thiou, Thiou, juillet 2002).

Les Diallube ont essaimé au-delà du Yatenga comme le sous-entendent les paroles du chef de Thiou. Selon Michel Izard (1985a) et Louis Tauxier (1917), le peuplement s’est divisé en trois rameaux entre la seconde moitié du XVIIè siècle et la première moitié du XVIIIè siècle. Les auteurs précisent que le premier rameau se serait constitué en pénétrant le Yatenga, le second avec d'autres se dirigeant au sud du royaume vers la localité de Lankoy et le dernier rameau s'établissant dans le Tatenga. Ces groupes correspondent à des foyers de peuplement dont les chefs ont obtenu le statut de chef de canton à l'époque coloniale. Ceci étant, la seconde moitié du XVIIè

siècle nous paraît précoce pour dater ces vagues de peuplement diallube. Le passage à Bosomnore est une étape importante pour dater les faits. En effet, les récits que nous avons recueillis à Bosomnore confirment ce passage des Diallube. Les Tooroobe prétendent les avoir chassés, et nos investigations à Bosomnore nous permettent de supposer que leur implantation dans cette zone est contemporaine au règne de Naaba Kango (1757-1787). De nombreux récits évoquent les relations des Tooroobe avec ce roi. C'est donc dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle que les Diallube sont chassés de Bosomnore pour se diriger vers Bouro, qui deviendra une des trois résidences du chef. Voici ce que l'on relate à Bosomnore :

"De Goutela, il y a un des nôtres qui est venu à Bosomnore. En arrivant ici, il a trouvé un autre Peul nommé Saïdou Hamani Diallo, le nôtre portait le nom Tall. Il s'appelait Idriss Jibaïro et c'était un grand marabout. Celui qui était sur place était un pasteur, il avait beaucoup de bœufs et Idriss avait ses élèves coraniques. Il a dit à celui qui était là de s'en aller, parce que deux grandes personnes ne peuvent pas rester au même endroit. L'autre a répondu : "non, toi tu viens, tu me trouves sur place, et tu me dis de m'en aller ?" Idriss lui a dit, "si tu veux la paix et la santé, il faut suivre mes conseils". En restant, le premier a subi des évènements bizarres dont on ne

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connaît pas la cause. L'autre est revenu : "tu m'as dit de m'en aller, tu me conseilles d'aller où ?" Idriss lui a conseillé d'aller à Tangaye. "De Tangaye, tu continues à Tangré et après Gomboro". Effectivement, c'est ce qu'il a fait. Il est parti à Tangaye. Là, on lui a donné une fille moaga en mariage. Jusqu'à présent, il y a des silmiimoose à Tangaye et un lien de parenté à plaisanterie. Après, ils ont continué à Gomboro, il a pris le pouvoir, il a été très populaire, puis il est allé à Bango. De Bango, il est allé à Thiou, c'est pour ça qu'il y a beaucoup de Diallo à Thiou (Tall I., Peul, Bosomnore, octobre 2001).

C’est dans la deuxième moitié du XVIIIè siècle que Saïdou Hamani et Idriss Jibaïro se rencontrent à Bosomnore. Le nom de l’éleveur diallube laisse supposer qu’une génération s’est déjà écoulée depuis leur départ de Hombori3. On peut donc imaginer que les Diallube ont quitté leur région d'origine dans la première moitié du XVIIIè

siècle, à la recherche de pâturage ou pour chercher mains fortes et armes. Ce récit, qui présente le dénommé Saïdou Hamani comme un éleveur, confirme l'hypothèse selon laquelle les Diallube sont les descendants d'un membre du groupe des pasteurs jallube de L'Hayre. Ensuite, les Diallube ont progressivement peuplé le Yatenga à partir d'une multitude de parcours initiés par des unités familiales se détachant du groupe pour aller à la recherche d'espaces pastoraux.

Aussi, le scénario de l'ancêtre unique est-il une reconstruction a posteriori, d'un peuplement qui apparaît trop linéaire pour être réaliste. En effet, rien ne dit que d'autres Peuls ne soient venus s'établir après pour se réclamer plus tard de la descendance de Hamani par souci de repères identitaires. On sait que les identités sont mouvantes comme en témoignent les changements d'identité collectives observés dans le Yatenga (Izard 1976). Ce phénomène a été étudié chez les Moose, mais des investigations pourraient certainement montrer un phénomène analogue chez les Peuls du Yatenga. Par exemple, à Thiou, un lignage appelé Dankano, assimilé aux Diallube est d'origine foynabe. En outre, l'origine des Diallube telle qu'ils la présentent, est intéressante en ce qu'elle nous permet de reconstruire avec eux un passé qui trouve un écho dans de nombreuses actions politiques présentes ainsi que dans des

revendications identitaires. A en croire les récits, l'ancêtre commun serait le père de douze enfants, desquels les Diallube se considèrent être les descendants :

"Ils ont quitté les falaises ensemble. Le frère aîné a continué jusqu’au plateau central et notamment dans la région de Ziniaré et le second est resté dans la zone du Passoré. Le père s’était installé à Gomboro. Il s’appelait Hamani. Ce sont les descendants du père qui forment le canton

diallube de Thiou. Hamani a eu douze fils. Ses descendants forment douze

familles dans le Diallube qui possèdent chacune un ou plusieurs villages de référence. Par exemple la famille Djamo du chef de canton, est à Thiou, Noumou, Bani, Bango et Komsiliga. Si tu vas à Arbété, tu vas rencontrer des Aïsha. Parmi les Diallube, il y a douze sous-familles" (Chef de Thiou, Thiou, juillet 2002).

Ces paroles montrent que tous les Diallube du Yatenga sont censés être issus d'une de ces douze lignées. Un tel discours standardisé permet à chacun de s'appuyer sur une argumentation présentée comme historique pour affirmer son appartenance au groupe. A y regarder de plus près, la formation de ces lignées ne fait pas l'objet de versions consensuelles. Le récit qui suit témoigne des contradictions qui accompagnent la version des douze fils :

"Dans la famille de Djamo, une femme était mariée et la petite sœur de la femme est venue séjourner chez elle. La femme est partie chez ses parents en laissant la petite sœur dans la maison conjugale. Après le départ de la femme, son mari a eu des rapports avec la petite sœur. A son retour, la femme a compris que sa sœur avait une grossesse de son mari. La petite sœur a dit qu'elle allait rentrer chez ses parents et la grande sœur s'y est opposée en disant que c'est elle qui devait partir et laisser sa jeune sœur avec son mari. Aïsha est la grande sœur et la première femme des Djamo. Quand la petite sœur est tombée enceinte, on a dit que "dum yo djam" : "ce n'est pas grave". Djamo est issu de ce mot "djam". Tous ceux qui sont issus de la grande sœur, c'est wuro Aïsha, alors que la petite sœur, c'est Djamo" (O. Diallo, Peul, Thiou, février 2004).

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Ici par exemple, le discours expliquant l'apparition des lignées Djamo et Aïsha contredit la version des douze fils de Hamani. En outre, ces deux interlocuteurs affirment que les Diallube forment douze lignées, mais il ne leur est pas possible de les citer dans leur totalité. :

Version de O. Diallo Version du chef Principaux villages d'implantation. Djamo Saïdou Djamo Thiou, Bango, Bouro, Nomou

Ardo Hamadi Hamadi Djumpaye, Bassagouro,

Wuro Aïsha Aïsha Arbèté

Ardo Seïni Séïni Kalo

Uthman Utmana Oukoulindu, Kalo, Benh

Wuro Djeidi Guiédi Sambo

Wuro Daabo Daabo Nénébouro

Wuro Milima Milma Faougdo

Ardo Ali Boukari Kessombodé

Wuro Sora Arsiké Séemé

Wuro Wakambe

L'énumération des douze lignées dans la version de O. Diallo, met en évidence le fait que certains ont reçu le titre d'ardo. Ceci permet de supposer que le pouvoir a circulé au moins entre quatre lignées avant de se stabiliser au sein des Djamo. Nous ignorons le processus qui a permis un tel changement, mais il ne fait aucun doute qu'aujourd'hui, c'est au sein de la lignée Djamo que le chef des Diallube est choisi.

II. Les Diallube et l’Etat moaga : de l’allégeance à