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Dans la roche : la naissance du fluide hydrothermal

Chapitre 1. Du minéral à l’animal : unicité et diversité des écosystèmes hydrothermaux

1.1. Dans la roche : la naissance du fluide hydrothermal

L’hydrothermalisme a été observé dans tous les océans. Ce terme désigne la circulation de l’eau de mer dans le plancher océanique, d’où elle ressort, réchauffée et modifiée chimiquement, sous forme de fluide hydrothermal. Celui-ci se mélange à l’eau de mer, entrainant de nombreuses réactions, dont la formation de cheminées hydrothermales.

1.1.1. Un phénomène global

Figure 6. Carte des principaux champs hydrothermaux connus. Tirée de Tivey 2007.

De nombreux champs hydrothermaux actifs ont été découverts tout autour du globe (Figure 6). En 2009, ce nombre atteignait 521 (Beaulieu et al., 2013), alors que l’on n’en comptait que la moitié dix ans auparavant (Baker et German, 2004). Sur ces 521 champs, seule la moitié a été confirmée visuellement, l’autre moitié étant composée des champs hydrothermaux actifs « supposés », détectés par des anomalies physiques et chimiques (Nakamura et al., 2015). Le long des dorsales médio-océaniques (DMO), la fréquence des sites hydrothermaux est très fortement corrélée au bilan magmatique, c’est-à-dire à la vitesse d’expansion de la dorsale, ce qui a permis d’estimer à environ 1000 le nombre de champs hydrothermaux à travers le monde (Baker et German, 2004). Quel que soit le contexte tectonique, les sources sont les manifestations, à la surface du plancher océanique, d’une circulation hydrothermale en sub-surface.

1.1.2. L’hydrothermalisme : Une histoire de roche, de

chaleur, et d’eau

L’hydrothermalisme nait lors de l’interaction entre l’eau de mer froide, qui s’infiltre dans la croûte océanique perméable, et une source de chaleur (Tivey, 2007).

1.1.2.1. La roche : une variété de contextes géologiques

Les profondeurs des champs hydrothermaux identifiés à ce jour varient de 0 à 4960 m, mais 90% d’entre eux se situent en-dessous des 200 m (Beaulieu et al., 2013). La profondeur et la distance d’un champ hydrothermal aux marges continentales impactent la quantité de sédiments et de matière qui s’y déposent. En 2005, on estimait qu’environ 5% des zones d’accrétion du globe sont couvertes de sédiments provenant des marges (Hannington et al., 2005). Le long des dorsales profondes, en revanche, les champs se situent souvent sur des roches « mafiques », comme des basaltes ou des gabbros. Les dorsales lentes et ultra-lentes peuvent parfois présenter des roches dites « ultramafiques », pauvres en silice et riches en fer, telles que la péridotite, composée d’olivine, et la serpentinite, produit de la dégradation de la péridotite. Les champs hydrothermaux d’arcs volcaniques, ou situés au niveau de plaques en convergence, se forment au sein des roches riches en silice et en feldspaths, dites « dacitiques » à « andésitiques », selon la richesse en silice de la roche (Holden et al., 2012).

1.1.2.2. La source de chaleur

Cette source de chaleur est en général issue du magma enfoui à des profondeurs variables, dépendantes du contexte géologique. Les rides d’expansion rapides, telles que la dorsale Est-Pacifique (East Pacific Rise : EPR ; 80-160 mm/an), sont le lieu d’importants apports en magma, provenant probablement d’une chambre magmatique superficielle (1.4-1.6 km) le long de l’axe de la ride. En revanche, les rides plus lentes telles que la dorsale médio-Atlantique (Mid-Atlantic Ridge : MAR, 10-40 mm/an) ont des apports magmatiques plus ponctuels, et la formation d’édifices est plus sporadique (Kelley et al., 2002). La source de chaleur peut également provenir des réactions de serpentinisation, comme Lost City dans l’Atlantique.

1.1.2.3. L’eau de mer qui circule dans la roche

Les processus hydrothermaux de sub-surface se déroulent en général comme suit (Figure 7) : l’eau de mer saturant la croûte océanique altère la roche à basse température. Plus l’eau s’infiltre profondément, plus elle se réchauffe, au contact de la source de chaleur. Aux alentours de 150°C, le fluide perd le magnésium (Mg), qui précipite sous forme de chlorite et de smectite, et se charge en ions calcium (Ca2+), hydrogène (H+) et sodium (Na+). Le calcium réagit ensuite avec l’ion sulfate (SO4-) pour former de l’anhydrite (CaSO4). Dans les roches

riches en fer telles que l’olivine, l’eau devient très riche en dihydrogène (H2). Plus en profondeur, l’altération de l’anorthite en albite change les concentrations en calcium et sodium du fluide (gain de calcium et perte de sodium). Le fluide, chauffé à environ 400°C, désormais légèrement acide et anoxique, lessive la roche et se charge en soufre, cuivre, fer, et autres métaux. Si les conditions de pression et de températures le permettent, le fluide se sépare en deux phases dans la zone dite de « réaction » : une phase saumure et une phase vapeur pauvre en sodium, mais riche en éléments volatiles (Bemis et al., 2012; Butterfield et al., 1990). Les variations de température de la source de chaleur peuvent moduler la séparation ou non du fluide en deux phases (Von Damm et al., 1997). Le fluide chaud remonte ensuite rapidement vers la surface.

Figure 7. Hydrothermalisme d’une zone magmatique. Tirée de Sarrazin et Desbruyères, 2015.

1.1.3. Là où le fluide hydrothermal jaillit du plancher

océanique

1.1.3.1. Les fluides purs

Au niveau des dorsales médio-océaniques, les fluides purs jaillissant hors du plancher océanique en panache rapide et vertical (>100 cm/s, Hannington et al., 1995) sont appelés « fumeur noir », à cause de la forte précipitation des sulfures polymétalliques et d’anhydrite qui génère un panache de fines particules noires (Figure 8, gauche). Les fluides émis sont chauds (300-400°C), acides (pH 3-5), anoxiques, riches en silice (Si), dioxyde de carbone (CO2), sulfures d’hydrogène (H2S), méthane (CH4), dihydrogène (H2) et métaux de transition (Fe, Mn, Zn Cu principalement, Hannington et al., 2005). Ils sont appelés « fumeurs blancs » (Figure 8, droite) lorsque les fluides purs se mélangent en sub-surface avec l’eau de mer et précipitent du silicate et de la baryte (Hannington et al., 1995).

Figure 8. Deux types de fumeurs : à gauche : fumeur noir, champ hydrothermal Rainbow, MAR, campagne MoMARETO 2006 ©Ifremer. A droite, fumeur blanc ©Ifremer

Les fluides émis diffèrent selon le contexte géomorphologique dans lequel se trouve le champ hydrothermal (Tableau 1) : les champs mafiques ou basaltiques génèrent des fluides riches en sulfures de dihydrogène (H2S : 1.4-29 mmol/L), ainsi qu’en silice et en métaux ; les sites ultramafiques, des fluides acides (2.8-3.5), riches en hydrogène (H2 : 2.3-9.7 mmol/L) et en méthane (CH4 : 0.08-3.5 mmol/L, Douville et al., 2002; Schmidt et al., 2007; Wetzel et Shock, 2000); les sites dacitiques ou andésitiques, des fluides très acides (pH : 2.1-3.0), et riches en fer (Fe : 0.01-13.0 mmol/L) et métaux dissous (Holden et al., 2012).

Tableau 1. Composition chimique des fluides purs de divers système hydrothermaux à travers le monde. Tiré de Holden et al., 2012.

1.1.3.2. Les fluides diffus

Les fluides hydrothermaux peuvent également rejaillir à des températures beaucoup plus basses (<100°C, Bemis et al., 2012), sous forme de fluides diffus. Cela se produit s’ils se mélangent à l’eau de mer dans le réseau de failles et de fissures en sub-surface, ou lorsqu’ils ne pénètrent que dans la partie superficielle de la croûte océanique, où l’influence thermique est moindre (Bemis et al., 2012). Les fluides diffus se situent un peu partout sur et autour des édifices. Leur distribution est le reflet des réseaux de fissures dans la croûte océanique. Récemment, il a été montré qu’une part significative de la chaleur transportée par les fluides hydrothermaux est propagée par les fluides diffus (Barreyre et al., 2012; Farough et al., 2011). Plusieurs études ont mesuré des vitesses d’émission de l’ordre du dixième de millimètre par seconde sur les dorsales lentes, et de l’ordre du centimètre par seconde sur les dorsales rapides (Di Iorio et al., 2005; Mittelstaedt et al., 2010; Ramondenc et al., 2006; Sarrazin et al., 2009; Schultz et al., 1992).

1.2. Quand le fluide hydrothermal rencontre l’eau de