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La faune hydrothermale et sa distribution sur Tour Eiffel

Chapitre 2. Au milieu de l’Atlantique, 23 ans de découvertes sur l’édifice Tour Eiffel

2.2. La faune hydrothermale et sa distribution sur Tour Eiffel

L’écosystème de Tour Eiffel repose sur la production primaire microbienne. Il se caractérise par des assemblages de modioles et de crevettes qui s’organisent le long du gradient de dilution du fluide hydrothermal.

2.2.1. Microbiologie de Tour Eiffel

Les communautés microbiennes hydrothermales vivent soit sous forme libre, soit en association avec des invertébrés. Sur l’édifice Tour Eiffel, la principale espèce ayant développé une symbiose avec des bactéries est la modiole Bathymodiolus azoricus.

Les microorganismes libres sont présents sous forme de tapis microbiens et colonisent la plupart des surfaces disponibles, des parois de la cheminée aux coquilles de modioles (Cuvelier et al., 2011a). Ces communautés microbiennes sont principalement constituées, pour les bactéries, Gammaproteobacteria et des Epsilonproteobacteria, les espèces dominantes et les plus actives sont affilées Beggiatoa (Gammaproteobacteria) qui sont des bactéries sulfo-oxydantes (Crépeau et al., 2011). Les archées sont toutes affiliées au groupe des Thaumarcheota. La distribution des tapis microbiens ne semble pas être liée à des conditions environnementales particulières, et leur présence ne semble pas avoir d’effet sur la condition des modioles, quand ils y sont associés (Cuvelier et al., 2011a; Martins et al., 2009). La présence de bactéries capables d’oxyder l’ammonium en anaérobiose ( ANNAMOX) a été détectée dans les cheminées du champ Lucky Strike, (Byrne et al., 2008). Les fluides relativement peu réduits de Lucky Strike favoriseraient le développement, dans les dépôts hydrothermaux, de bactéries hyperthermophiles microaérophile au détriment des méthanogènes thermophiles (Flores et al., 2011). Cependant d’autres analyses faites sur la cheminée Aisics (située à la base de Tour Eiffel) ont permis de caractériser la communauté microbienne de la cheminée (Henri, 2015, Le Roy , 2009 ,). Les résultats montrent que la communauté de cette cheminée est composée de bactéries sulfo-oxydantes de type Gammaproteobacteria, des bactéries oxydant le soufre et l’hydrogène appartenant aux Epsilonproteobacteria, ainsi que d’archées sulfato-réductrices et sulfo-reductrices et même des méthanogènes. Cependant, les métabolismes dominants semblent varier d’une année à l’autre, en réponse aux variations de l’environnement et probablement en fonction de la minéralogie (âge) de la cheminée (Henri, 2015; LeRoy, 2009).

2.2.2. Assemblages faunistiques

La faune de Tour Eiffel est visuellement dominée par les modioles Bathymodiolus azoricus (Desbruyères et al., 2001), groupées en assemblages distincts. Les analyses vidéo ont permis à Cuvelier et al. (2009) de distinguer 4 types d’assemblages (Figure 24), dont deux séparés en sous-classes.

L’assemblage 1 est défini par la présence de modioles de grandes tailles (environ 6 cm), groupées densément. La faune associée comprend la crevette Mirocaris fortunata, et dans une moindre mesure, les polychètes Branchipolynoe seepensis et Amathys lutzi (Figure 24A)

L’assemblage 2 est composé de modioles de tailles moyennes (2 à 6 cm) et est caractérisé par des petits groupements de moules séparés par du substrat. Il se divise en deux sous assemblages : l’un se reconnait par le fait que le substrat est nu (assemblage 2a, Figure 24B) et l’autre correspond au même assemblage avec la présence de tapis microbiens (assemblage 2b, Figure 24C).

Le troisième assemblage est constitué d’essaims de crevettes, principalement M. fortunata et Chorocaris chacei, et dans une moindre mesure, d’amphipodes et de polychètes (Figure 24D).

Le quatrième assemblage est composé de petites modioles (<2 cm) éparpillées et recouvertes (4b, Figure 24F) ou non (4a, Figure 24E) de tapis microbiens. Les espèces associées aux assemblages 2a et 4a sont principalement les gastéropodes Protolira valvatoides et Lepetodrilus atlanticus, et le polychète B.

Figure 24. Les six assemblages de Tour Eiffel : (A) Assemblage 1 : agrégat dense de modioles de grandes tailles (~6 cm) (B) : Assemblage 2a : petits groupes de modioles de tailles moyennes (2-5 cm)

entourées par du substrat nu. (C): Assemblage 2b : similaire à l’assemblage 2a, avec des tapis microbiens. (D) Assemblage 3 : crevettes Alvinocarididés (principalement Mirocaris fortunata) colonisant les substrats nus. (E) : Assemblage 4a : modioles dispersées de petites tailles (~1 cm)

entourées par du substrat nu. C : Assemblage 4b : similaire à l’assemblage 4a, avec des tapis microbiens. Tirée de Cuvelier et al., 2009.

seepensis, tandis que les assemblages 2b et 4b sont marqués par la présence de M. fortunata, d’amphipodes et de polychètes.

Des échantillonnages nombreux sur l’édifice, notamment lors de la campagne MoMARETO en 2006, ont permis de compléter ces connaissances en ajoutant à la liste des espèces observées par vidéo celle de toutes les espèces prélevées in situ (Sarrazin et al., 2015). Lors de cette campagne, 12 unités d’échantillonnages ont été échantillonnées. Un inventaire de 70 taxa de macrofaune et méiofaune a été dressé. Huit phyla ont été identifiés : la macrofaune était représentée par les Porifera (i.e. des éponges), Cnidaria (i.e. des anémones), Echinodermata (plus précisément, des ophiures), Annelida (principalement des vers polychètes), Mollusca (plus précisément, des modioles et des gastéropodes), Nermertea et Arthropoda (amphipodes, isopodes, tanaidacea, pycnogonidés, ostracodes, halacaridés et décapodes : crabes et crevettes), tandis que la méiofaune était représentée par les phyla Arthropoda (i.e. des copépodes), Halacarida et Nematoda. Ces taxons se distribuent le long du gradient de mélange.

2.2.3. La faune le long du gradient de mélange

La partie du gradient de mélange habitée par la faune se divise en deux (Cuvelier et al., 2011a; Sarrazin et al., 2015) : un pôle chaud et variable, colonisé par les crevettes (dans sa partie la plus chaude) et les modioles de l’assemblage 1, et un pôle froid, plus stable, colonisé par les autres assemblages (Figure 25). Il existe en effet une relation entre la taille des modioles et la température du fluide (Comtet et Desbruyeres, 1998; Cuvelier et al., 2011a; Sarradin et al., 1998). Des analyses multifactorielles (Sarrazin et al., 2015) distinguent un troisième habitat, aux conditions intermédiaires, qui n’a été observé que dans un échantillon. Le reste de la faune de Tour Eiffel est majoritairement observé dans le pôle froid, où la richesse et l’équitabilité spécifique sont plus fortes (Sarrazin et al., 2015). La crevette Chorocaris chacei est indicatrice de l’habitat plus chaud, au sens que son abondance est statistiquement liée à cet

Figure 25. Organisation des assemblages de Tour Eiffel le long du gradient de mélange. Histogramme de fréquence de températures mesurées au-dessus de chaque assemblage. Deux niches thermales sont révélées, occupées respectivement pas les

assemblages de modioles et de crevettes. Tirée de Cuvelier et al 2011.

habitat. La faune indicatrice du pôle froid sont les espèces, Branchipolynoe seepensis, Amathys lutzi, Protolira valvatoides, Lepetodrilus atlanticus (pour la macrofaune) et de Paracanthonchus, Microlaimus et Cephalochaetosoma (pour la méiofaune).

L’habitat autour des modioles est constitué de 0 à 12% de fluide hydrothermal (Sarradin et al., 1999), pour un pH de 6 à, des concentrations en sulfures totaux dissous (H2S et HS-) variant de 0 à 62 µmol/L (Sarradin et al., 1999; Sarrazin et al., 2015), et de fortes concentrations en carbone organique dissous (DOC, entre 121 et 422 µmol/L, Sarradin et al., 1999). L’habitat hydrothermal de cet édifice est également riche en cuivre et en plomb (Sarradin et al., 1999), avec des concentrations en cuivre dissous de 0.03 à 5.15 µmol/L (Sarradin et al., 2008). Comme sur beaucoup d’autres édifices, la température (un proxy du fluide hydrothermal) est corrélée aux concentrations en sulfures (Cuvelier et al., 2011a; Sarradin et al., 1999). L’ammonium diminue avec la diminution de l’influence du fluide hydrothermal, tandis que les nitrates et nitrites montrent une tendance inverse (Sarradin et al., 1999). Le cuivre, en revanche, ne montre pas de tendance linéaire. Les particules de cuivre formées dans les premiers moments du mélange repasseraient à l’état dissous quand le pH passe en dessous de 6.5 environ, et augmenteraient ainsi les concentrations en cuivre dissous dans cette partie du gradient (Sarradin et al., 2008). Les gradients sont fortement influencés par la présence de la faune, par la production de DOC et d’ammonium, et la consommation de sulfures et de nitrates (Sarradin et al., 1999, Figure 26).

Pour avoir une compréhension plus spécifique des facteurs influençant la distribution des espèces sur cet édifice, il est nécessaire d’étudier le fonctionnement de son écosystème.

Figure 26. Représentation schématique de l’environnement chimique des modioles des champs Lucky Strike et Menez Gwen. Le schéma montre les apports de l’eau de mer et du fluide hydrothermal, les consommations et rejets par les moules, et la ségrégation spatiale des moules par la taille. Tirée de Sarradin et al., 1999.