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Dynamique des communautés sur Tour Eiffel

Chapitre 2. Au milieu de l’Atlantique, 23 ans de découvertes sur l’édifice Tour Eiffel

2.3. Fonctionnement de l’écosystème

2.3.2. Dynamique des communautés sur Tour Eiffel

La dynamique de l’écosystème a été étudiée à différentes échelles de temps. La dynamique à court terme se reflète dans le comportement des espèces, et celle à moyen terme dans une variabilité d’assemblages à l’échelle de quelques années en fonction des variations de leur environnement.

Le module d’observation TEMPO a récemment permis l’étude, sur une période de 48 jours, de la réponse des espèces aux changements du fluide, et a montré que celle-ci varie selon les espèces (Sarrazin et al., 2014). La modiole Bathymodiolus azoricus et le crabe Segonzacia mesatlantica présentent peu de variation d’abondance au contraire des assemblages de Mirocaris fortunata et des gastéropodes Pseudorimula midatlantica. Cependant, le lien entre les variations d’abondance et la température du fluide n’a été montré que pour la première, M. fortunata. Une analyse plus poussée des autres variables physico-chimiques et des interactions entre taxons permettraient de mieux comprendre les déterminants de la dynamique de ces espèces sur de petites échelles de temps.

Une étude a valorisé les images vidéo collectées pendant 8 campagnes océanographiques effectuées sur le site entre 1994 et 2008 (Cuvelier et al., 2011b). A l’échelle de l’édifice, cette étude a montré une relative stabilité du pourcentage de couverture de la faune (environ 50% de la surface de l’édifice, Figure 29) au cours des 8 années étudiées, ce qui laisse penser que les communautés de faune ont atteint la capacité limite de l’édifice. Cette couverture est essentiellement assurée par les assemblages de modioles, dont la surface reste stable au cours des ans, à l’exception de 1998, où la diminution de l’activité hydrothermale coïncide avec une augmentation de la couverture par les modioles. La couverture par les tapis bactériens est quant à elle plus variable, avec un pic de couverture en 2001 (Cuvelier et al., 2011b), qui pourrait être lié à une augmentation des fluides diffus suite à un fort tremblement de terre (Dziak et al., 2004). A l’échelle des assemblages, les analyses conduites ont révélé un fort dynamisme des communautés : le taux de changement à l’échelle de 1 à 3 ans était de 55-60%. Cependant une étude similaire a montré un taux de changement encore plus élevé (68-88%) sur l’édifice S&M de la dorsale Juan de Fuca (Sarrazin et al., 1997).

Sur Tour Eiffel, les assemblages évoluent selon deux circuits, correspondants aux deux pôles environnementaux majeurs (Figure 30).

Figure 29. Distribution des assemblages faunistiques et des substrats nus sur le flanc sud de l’édifice Tour Eiffel au cours des 8 années étudiées. Tirée de Cuvelier et al., 2011b.

Le premier circuit, dans le pôle chaud, accueille des assemblages de crevettes (Assemblage 3), de grandes modioles (Assemblage 1) et présente des zones non colonisées par la faune, caractérisées par un substrat couvert d’anhydrite et/ou de tapis bactériens (substrat 2). Les transferts entre ces assemblages montrent que la dynamique du pôle chaud semble suivre une succession: le substrat nu est colonisé par les crevettes, puis par les modioles. Les modioles meurent ou changent ensuite de zone, libérant à nouveau le substrat nu. Elles peuvent parfois coloniser directement un substrat nu, mais cela est plus rare (Cuvelier et al., 2011b).

Le deuxième circuit, dans le pôle froid, contient tous les autres assemblages : petites et moyennes modioles avec ou sans tapis bactériens, et une zone non colonisée, elle aussi avec ou sans tapis bactérien (substrats 1a et b). Cette dynamique temporelle n’est pas considérée comme un cycle de succession (Cuvelier et al., 2011b), puisque les transferts de l’un à l’autre des assemblages ne sont pas liés à un changement de communauté, qui reste dominée par les modioles. Les assemblages transitent ensuite d’un état avec ou sans tapis, l’apparition de tapis microbiens sur les assemblages semblant être plus fréquente que leur disparition. Bien que l’on puisse imaginer que les modioles moyennes grandissent pour devenir l’assemblage de grandes modioles, ce transfert est plus rare. La transition entre les deux circuits se ferait en réalité par le déplacement des modioles, lorsque les besoins nutritionnel les poussent à chercher un environnement où les ressources nutritives sont plus abondantes (Cuvelier et al., 2011b).

Fi g u re 30 . Mo d è le d e l a d yn a mi q u e t e mp o re lle d e s a ss e mb la g e s d e mo d io le s su r l’é d if ic e T o u r E iff e l. T iré e d e C u ve lie r e t a l 2 0 0 9 .

Pour confirmer cela il faut également comprendre les stratégies de dispersion de Bathymodiolus azoricus, et de la faune de Tour Eiffel en général.

2.3.2.1. Dispersion et reproduction

Les capacités de dispersion des espèces de Tour Eiffel sont étudiées de plusieurs façons : par la mise en place et la récupération de pièges à particules, de pompes à larves et de substrats de colonisation, ainsi que par l’analyse morphologique et anatomique d’individus des différentes espèces. Les analyses temporelles de ces données permettent d’émettre des hypothèses sur les stratégies de reproduction et de recrutement. A l’échelle de la dorsale, la comparaison des communautés de différents champs hydrothermaux donne une idée de la biogéographie (dispersion à grande échelle) des espèces hydrothermales.

Pièges à particules et pompes à larves

Les pièges à particules et les pompes à larves capturent les larves des espèces en reproduction à proximité de l’édifice et dont au moins un stade de développement est en pleine eau. Cependant le piège n’est efficace que s’il est sous l’influence du courant. En effet, Khripounoff et al. (2000) n’ont récupéré que peu de coquilles de bivalves de modioles de Lucky Strike dans leurs pièges, car les périodes où le piège était sous influence du panache ne correspondaient pas aux périodes supposées de reproduction de la modiole (Comtet et Desbruyères, 1998). Cependant, d’autres tentatives plus récentes ont permis l’observation, en plus de pré-juvéniles de modiole Bathymodiolus azoricus, des larves de polychètes, d’individus adultes et des juvéniles de gastéropodes, ainsi que d’amphipodes et de copépodes (Lesongeur et al., 2014).

Les substrats de colonisation

L’utilisation des substrats de colonisation permet de comprendre les mécanismes de sélection de l’habitat pendant la dispersion. La première étude publiée utilisant des substrats de colonisation sur la dorsale médio-Atlantique date de 2010. Gaudron et al. (2010) ont mouillé plusieurs dispositifs standardisés de colonisation, les CHEMECOLIs, remplis avec différents types de substrat (bois, alfalfa, et carbonates), pour une période de 2 semaines à 1 an, sur le champ hydrothermal Rainbow. Les résultats montrent que certains types de substrats, en l’occurrence, les substrats organiques tels que le bois et l’alfalfa, abritent de plus fortes diversités spécifiques que les substrats inorganiques. Le même résultat a été observé à Lucky Strike au bout de 9 mois hors de la zone d’influence du fluide de Tour Eiffel, pour les nématodes et les copépodes (Plum et al., 2016; Zeppilli et al., 2015). Les substrats organiques étaient alors composés de bois ou d’os. En revanche, à proximité du fluide, ce sont les substrats inorganiques qui présentaient les plus fortes abondances (Plum et al., 2016; Zeppilli

et al., 2015). L’étude de Zeppilli et al. (2015) a de plus révélé que les femelles de nématodes étaient plus abondantes sur les substrats que les mâles. Une étude antérieure (Cuvelier et al., 2014), a montré que, pour un temps de colonisation de 2 ans, la proximité du fluide hydrothermal et les interactions biologiques avaient plus d’influence sur la répartition de la macrofaune et de la méiofaune que le type de substrat.

Les dispersions et colonisations des espèces de Tour Eiffel ne s’arrêtent pas à l’échelle du champ Lucky Strike. L’étude des communautés de la ride médio-Atlantique permet de situer l’édifice Tour Eiffel dans son contexte biogéographique.

2.3.3. De l’édifice à la région : biogéographie des espèces