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Du fluide hydrothermal à la production primaire de l’écosystème : la chimiosynthèse . 23

Chapitre 1. Du minéral à l’animal : unicité et diversité des écosystèmes hydrothermaux

1.2. Quand le fluide hydrothermal rencontre l’eau de mer

1.3.1. Du fluide hydrothermal à la production primaire de l’écosystème : la chimiosynthèse . 23

La production de matière organique primaire en milieu hydrothermal est l’une des découvertes les plus étonnantes faites sur ces sources. La richesse du fluide en composés réduits permet aux microorganismes autotrophes de tirer leur énergie de nombreuses réactions pour fixer le carbone inorganique. Cette production primaire est un jalon vital du maintien de l’écosystème, mais sa quantification est difficile.

1.3.1.1. Sources d’énergies de la chimiosynthèse

Pendant longtemps, une seule source d’énergie était connue pour la production de matière organique: la lumière. La formation de carbone organique à partir de la lumière (photosynthèse, ou photoautotrophie) est la voie majoritaire des plantes et des algues et des microorganismes phototrophes et est donc à la base de la chaine alimentaire de la majorité des écosystèmes terrestres et marins connus. L’énergie lumineuse est suffisante pour permettre aux pigments photosynthétiques d’arracher un électron à l’eau, qui, grâce au transport d’électrons et à une pompe protonique, permet la formation de molécules hautement énergétiques (NADPH et ATP), impliquées dans de nombreuse voies métaboliques du vivant. C’est en 1887 qu’un microbiologiste russe, Sergei Winogradsky, découvre qu’une bactérie filamenteuse, communément trouvée dans les sols riches en sulfures, est capable de créer du carbone organique à partir de l’énergie issue des réactions chimiques (chimiosynthèse, ou chimioautotrophie, Figure 11). Une grande variété de réactions d’oxydo-réduction, peuvent être utilisées par les microorganismes pour la chimiosynthèse (Tableau 2). Les composés réduits peuvent être des sulfures, du méthane (Cao et al., 2014; Frank, 2013; Nakagawa et Takai, 2008), de l’ammonium (Nakagawa et Takai, 2008), du dihydrogène ou du fer (Childress et Fisher, 1992; Jannasch, 1995; Nakagawa et al., 2005; Petersen et al., 2011; Schmidt et al., 2008; Takai et al., 2004, 2005, 2006a; Edwards et al., 2004). L’accepteur d’électron peut être l’oxygène (métabolisme aérobie), mais de nombreux composé peuvent jouer le rôle d’accepteur d’électrons (Tableau 2). Cette variété de sources d’énergie potentielles implique une variété de métabolismes mis en œuvre par les microorganismes pour fixer le carbone. Ainsi les procaryotes, bactéries et archaebacteries sont ainsi capable de mettre en œuvre des métabolismes variés. L’étude des métabolismes microbiens fait appel aussi bien aux approches culturales, aux mesures d’activité et aux méthodes moléculaires (gènes fonctionnels) (Craig Cary et al., 2004).

Figure 11. Deux types de production primaire basés sur deux sources d’énergie

différentes. Tirée de Sarrazin et Desbruyères, 2015.

Tableau 2. Différentes réactions de chimiosynthèse avec le métabolisme énergétique, le donneur d’électrons, le receveur d’électrons, la réaction d’oxydo-réduction, le statut d’identification des

bactéries responsables de ces métabolismes et leur cultivabilité. Tiré de Fisher et al., 2007.

1.3.1.2. Du carbone inorganique au carbone organique

Une fois l’ATP formé, la source de carbone peut être fixée, c’est-à-dire intégrée à une voie métabolique qui forme un composé organique, en général, un ose. La source de carbone est, la plupart du temps, le CO2. Sa fixation passe communément par l’une des quatre voies métaboliques majoritaires (Nakagawa et Takai, 2008). Le cycle de Calvin Benson-Bassham (CBB), et le cycle de Krebs inversé (reductive tricarboxylic acid : rTCA) sont les deux principales voies (Campbell et Cary, 2004). Toutes ces voies ne sont pas employées par les mêmes micro-organismes, et diffèrent par leur consommation en ATP, les enzymes employées et les produits (Nakagawa et Takai, 2008). Il a été avancé que les micro-organismes chimioautotrophes auraient adopté l’une ou l’autre des voies métaboliques en fonction des contraintes énergétiques sur la formation de carbone organique (McCollom et Amend, 2005).

1.3.1.3. Contraindre et quantifier la production primaire

Les interrogations actuelles portent sur la diversité des voies métaboliques empruntées, leurs taux, leur production de biomasse, et sur la variabilité des processus le long du gradient de mélange (Sievert et Vetriani, 2012). L’une des méthodes employées pour prédire la productivité d’un fluide donné est d’étudier l’énergie libre des réactions qui peuvent s’y dérouler (Amend et Shock, 2001; Jannasch, 1995; McCollom et Shock, 1997).

L’énergie libre d’une réaction est la mesure de l’énergie à fournir, ou libérée par cette réaction. Pour étudier le rendement des processus cataboliques et anaboliques de la chimiosynthèse (réaction d’oxydo-réduction et production de carbone organique, respectivement), les énergies libres de l’une et l’autre des réactions sont comparées. La chimiotrophie est peu rentable : seuls 10% de l’énergie consommée pendant la croissance par les microorganismes chimioautotrophes seraient intégrés dans la biomasse (McCollom et Amend, 2005). Des modèles thermodynamiques combinés à un modèle de mélange, estiment la production brute primaire totale d’un édifice entre 1010 à 1013 g de biomasse/an (McCollom et Shock, 1997). La géologie du champ hydrothermal représente une très forte contrainte à la production chimiosynthétique (Shock et Schulte, 1998). Par exemple, les fluides hydrothermaux des champs ultramafiques seraient deux fois plus productifs que ceux des champs basaltiques (McCollom, 2007). D’après l’extrapolation de données obtenues sur la dorsale Pacifique sud (SEPR : Southern East Pacific Rise), la production primaire des panaches hydrothermaux représenterait 0.1 à 1% de la production primaire marine globale (Maruyama et al., 1998).

Cependant, cette méthode peut mener à une mauvaise évaluation des rendements métaboliques si les phénomènes d’inhibition cinétique, de compétition, de coopération, de disponibilité de la ressource ne sont pas pris en compte, ce qui est le cas pour une variété d’organismes (Takai et al., 2006b). Une partie de réponse à ce problème consiste à modéliser ces réactions en incluant cette fois la cinétique de chaque réaction et les processus de transport. Cette méthode a été appliquée sur différents points du gradient de mélange (dans la cheminée :LaRowe et al., 2014; le panache :Reed et al., 2015, le long du gradient de mélange : Perhirin et al. en préparation). Elle permet d’estimer la dynamique des réactions et les principaux contrôles de la production microbienne et de spatialiser les réactions (à condition de connaitre la variabilité spatiale des concentrations). Dans le panache, par exemple, la production chimiosynthétique semble être contrôlée par la disponibilité des donneurs d’électrons et les énergies métaboliques (Reed et al., 2015).

Afin de mieux comprendre la production primaire, il faut étudier la diversité phénotypique et la distribution des microorganismes.

Encart 3 : Interactions entre les micro-organismes et le fluide

La présence de microorganismes modifie la composition du fluide hydrothermal (Juniper et Sarrazin, 1995; Karl, 1995). Ces derniers profitent des réactions lentes, comme celles de la chimiosynthèse (Gartman et al., 2010; Holden et al., 2012; Luther et al., 2011). Le carbone organique trouvé sous forme particulaire ou dissous dans le fluide, présente la même signature isotopique que le carbone inorganique dissous (Levesque et al., 2006), indiquant une origine chimiosynthétique. Les micro-organismes interviennent dans le cycle du soufre au sein du gradient de mélange (Cao et al., 2014; Sylvan et al., 2013), ainsi que dans la mobilisation des métaux, via la production de ligands organiques pour temporiser les fortes concentrations en cuivre et en fer (Bennett et al., 2008; Klevenz et al., 2012), permettant l’export de ces éléments chimiques dans l’océan profond (Voir Encart 2). Ils peuvent également modifier la porosité de leur habitat et donc le trajet du fluide (Hannington et al., 2005)

1.3.2. Diversité et distribution des microorganismes

L’étude de la structure communautés microbienne fait appel aussi bien aux techniques de cultures des microorganismes qu’aux techniques moléculaires. Ainsi, de nombreuses espèces de procaryotes ont été isolées de l’écosystème hydrothermal (150 espèces nouvelles), mais les conditions environnementales des sources hydrothermales sont difficiles à reproduire, et beaucoup de microorganismes présents n’ont jamais été cultivés (e.g. Takai et al., 2006b). L’analyse de la diversité phylogénétique par amplification (PCR : polymerase chain reaction) moléculaire (en général, l’ARN 16S ou 18S) permet de contourner cette difficulté (Reysenbach et Shock, 2002; Wilcock, 2004). De telles études ont révélé la présence de microorganismes tout le long du gradient de mélange, et en association avec des invertébrés (Karl, 1995).

1.3.2.1. Une diversité de communautés microbiennes le long du

gradient de mélange

Dans les conduits et les parois des cheminées hydrothermales, les communautés varient en fonction des niches environnementales créées par la minéralogie, le débit de fluide et l’érosion (Callac et al., 2015; Lin et al., 2016; Olins et al., 2013). Là, le fluide est acide et chaud (60-120°C), vivent les micro-organismes (archées et bactéries) thermophiles et hyperthermophiles (avec une croissance optimale au-delà de 50°C et 80°C respectivement, e.g. Godfroy et al., 2000, 2006, Postec et al., 2005a, 2005b) et/ou légèrement acidophiles (dont la croissance est optimale entre pH 5 et 7 ; Sievert et Vetriani 2012, Takai et al., 2011).

Dans le panache hydrothermal, les communautés sont similaires à celles des zones de minimum d’oxygène, des nappes de pétrole, des suintements froids, et des cadavres de baleines (Dick et al., 2013). Elles sont composées d’individus hétérotrophes se nourrissant de la production chimiosynthétique à la sortie du fluide et dans le panache (Bennett et al., 2013). Dans le panache et les autres émissions, les microorganismes sont libres ou liés aux particules transportées par le fluide, et certains pourraient provenir de communautés de sub-surface (e.g. Takai et al., 2004)

Les micro-organismes colonisent également les substrats (parois de cheminée, faune, sédiment) sous forme de tapis microbiens dominés soit par des bactéries sulfo-oxydantes appartenant aux Gammaproteobacteries- Beggiatoa, maribeggiatoa (Crépeau et al., 2011; Nelson et al., 1989) ou aux Epsilonproteobacteria (Taylor et al., 1999), soit par des bactéries feroxydantes (Emerson and Moyer, 2002).

1.3.2.2. Des symbioses au cœur de l’écosystème

Une caractéristique originale des sources hydrothermales est la prolifération d’associations symbiotiques entre microorganismes et invertébrés. Les symbiontes sont en général des bactéries qui colonisent l’extérieur (ectosymbiontes, en général du groupe des Epsilonproteobacteria) ou l’intérieur de leurs hôtes (endosymbiontes, en général des Gammaproteobacteria, Stewart et al., 2005). En échange de la matière organique produite par les chimioautotrophes et méthanotrophes, les hôtes fournissent un abri et un apport régulier, à la fois en éléments réduits et oxydés, grâce à leur positionnement à l’interface entre les deux fluides. L’importance de cet apport en carbone dans la nutrition de l’hôte se traduit par une plus ou moins grande adaptation morphologique et physiologique de l’hôte. Elle peut être inexistante, dans le cas d’ectosymbioses, où les bactéries forment des tapis sur leur hôte. Dans ce cas, le rôle nutritionnel des bactéries est souvent débattu, comme chez le ver de Pompéi, Alvinella pompejana, ou chez le gastéropode Chrysomallon squamiferum, dont les ectosymbiontes participeraient à la formation d’écailles de sulfures de fer sur le pied (Goffredi et al., 2004).

L’adaptation peut être au contraire complètement intégrée, comme c’est le cas chez les polychètes siboglinidés Riftia pachyptila. Abondants dans les champs hydrothermaux du Pacifique est, ces vers tubicoles sont les premiers invertébrés hydrothermaux dans lesquels une association avec des bactéries ait été observée. Aujourd’hui, cette symbiose est sans doute l’une des mieux comprise des écosystèmes hydrothermaux. Le système digestif de ces vers tubicoles est remplacé par un système totalement dédié à la symbiose. La captation se fait au niveau d’un panache branchial à la sortie du tube (Figure 12), et un système circulatoire complexe, muni de trois types d’hémoglobine, permet de transporter les soufres réduits et

l’oxygène séparément vers un organe spécialisé où se situent les bactéries sulfo-oxydantes, le trophosome (Cavanaugh et al., 1981; Felbeck, 1981; Fisher et al., 1989; Girguis et Childress, 2006; Girguis et al., 2002).

Entre ces deux extrêmes existent différentes stratégies d’adaptation à la symbiose. La crevette de la MAR, Rimicaris exoculata, présente par exemple une ectosymbiose un peu particulière, où les bactéries forment des colonies filamenteuses à l’intérieur de sa cavité branchiale. Le carbone, produit principalement par des Gammaproteobacteria et des Epsilonproteobacteria, serait transmis à travers le tégument vers l’hôte (Ponsard et al., 2013). Des Zetaproteobacteria, ferro-oxydantes, ont également été identifiées dans sa cavité branchiale. Aucune association entre un invertébré et des Zetaproteobacteria n’avait été observée auparavant, et leur rôle dans R. exoculata est très débattu (Jan et al., 2014). Les bivalves sont un exemple de symbiose plus intégrée. Ils possèdent des branchies hypertrophiées, et la symbiose est intracellulaire, située dans des vacuoles de cellules spécialisées appelée des bactériocytes (Fiala-Médioni et Métivier, 1986). Le système digestif est peu développé ou fonctionnel, impliquant un régime trophique dépendant de la symbiose ou plus opportuniste. Certaines espèces de modioles Bathymodiolus ont la particularité d’accueillir deux types de symbiontes, l'un sulfo-oxydant et l’autre méthanotrophe (e.g. Duperron et al., 2005, 2006).

Les symbiontes sont très peu variés phylogénétiquement (Stewart et Cavanaugh, 2006; Stewart et al., 2005; Takai et Nakamura, 2011). Distel et al. (1988) ont montré que les symbiontes sulfo-oxydants (SOX) étaient spécifiques de leurs hôtes: les différents taxons hôtes ont différentes bactéries SOX, et pour un même hôte, il n’y a qu’un type de bactérie. En revanche, les hôtes sont phylogénétiquement assez variés. La symbiose a été observée dans cinq phyla d’invertébrés de la macrofaune et un de la méiofaune : les éponges, les mollusques, les annélides, les arthropodes, les échinodermes et les nématodes (Polz et al., 1991; Stewart et Cavanaugh, 2006; Stewart et al., 2005). L’acquisition verticale (transmission par les parents) ou horizontale (transmission par l’environnement) de symbiontes permet à cette faune de

Figure 12. Transfert des substrats de la chimiosynthèse des branchies du siboglinidé aux bactéries symbiotiques contenues dans son trophosome. Tirée de Sarrazin et Desbruyères, 2015.

bénéficier d’un apport exclusif en production primaire, ce qui assure leur succès au sein des écosystèmes sur les édifices hydrothermaux.

Le mélange entre l’eau de mer et le fluide hydrothermal est donc à l’origine de la vie au niveau des sources hydrothermales. Les bactéries et archées présentes toute le long du gradient de mélange et au sein même de certains invertébrés profitent du déséquilibre chimique pour créer la matière organique qui va soutenir tout un écosystème, même loin de toute lumière.