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Chapitre 1. Du minéral à l’animal : unicité et diversité des écosystèmes hydrothermaux

1.4. Les oasis de vies des fonds marins

1.4.2. Des écosystèmes dynamiques et variés

En effet, tout comme la variabilité spatiale de la composition du fluide hydrothermal influence la distribution des espèces, sa variabilité temporelle entraine une dynamique des écosystèmes.

1.4.2.1. Dynamique à toutes les échelles de temps

A une faible échelle de temps, de l’ordre de la journée, il a été montré que certaines espèces hydrothermales répondaient aux fluctuations de l’environnement par des variations d’abondance ou de comportement qui semblent suivre le rythme tidal (Lelièvre et al., soumis; Sarrazin et al., 1999), signal qui avait déjà été repéré dans les fluctuations de température (Voir 1.2.3). De même, les analyses de sclérochronologie des coquilles de moules et de palourdes ont montré que ces animaux ont une croissance influencée par le rythme tidal (Nedoncelle et al., 2013, 2014; Schöne et Giere, 2005; Tada et al., 2009). L’hypothèse est que les courants de fond modulent l’influence du fluide hydrothermal sur la faune, et en particulier, l’oxygène et les apports nutritifs (Lelièvre et al., soumis).

A l’échelle de la saison, les variations spatiales des sorties de fluide modulent les conditions environnementales localement, et influencent la distribution de la communauté présente (Copley et al., 1999; Cuvelier et al., 2011b; Sarrazin et al., 1997; Tunnicliffe et Juniper, 1990). En fonction de la profondeur, les apports de matière produite dans la colonne d’eau peuvent induire une saisonnalité au niveau de l’édifice. Si l’effet de cet apport sur la distribution des espèces est encore mal connu, son impact sur les périodes de reproduction de la faune a été suggéré (Colaço et al., 2006; Dixon et al., 2006). Il a par ailleurs été montré que les tempêtes de surface pouvaient elles aussi avoir un impact sur les abondances de certaines espèces mobiles (Lelièvre et al., soumis).

Enfin, les conditions environnementales sur un édifice varient beaucoup, de sa naissance à son extinction. Ce dernier évolue généralement d’un environnement très variable, instable avec une faible diversité spécifique, à un environnement plus stable avec une plus forte

diversité (Bergquist et al., 2007; Cuvelier et al., 2011b; Mullineaux et al., 2003; Sarrazin et al., 2002, 1997; Shank et al., 1998). Les successions de communautés sur un édifice ont été observées en général après des éruptions (Gollner et al., 2015b; Marcus et al., 2009) ou lors des analyses vidéos prises lors des campagnes régulières sur l’édifice (Cuvelier et al., 2011b; Gebruk et al., 2000). De manière générale, les micro-organismes sont les premiers à coloniser un site après une éruption, alors que le milieu est chaud, riche en métaux et en composés réduits. La faune hydrothermale mobile (polychètes, amphipodes, crabes, copépodes, gastéropodes) et la faune non-hydrothermale sont les premiers métazoaires « pionniers » à profiter de la production locale, tout en tolérant de fortes températures et concentrations (Desbruyères, 1998; Marcus et al., 2009; Mullineaux et al., 2012; Sarrazin et al., 2002; Shank et al., 1998; Tunnicliffe et al., 1997, Figure 16). Les conditions environnementales évoluent par diminution de la porosité du substrat, de l’activité hydrothermale et donc de la variabilité du milieu (Sarrazin et al., 2002; Tsurumi et Tunnicliffe, 2001; Tunnicliffe et al., 1997). Un an environ après une éruption, on observe l’arrivée des premières espèces symbiotiques et la diminution de la couverture microbienne (Sarrazin et al., 2002). La diversification des sources de nourriture permet la complexification du réseau trophique (Sarrazin et al., 2002).

Figure 16. Modèle général de succession des communautés au niveau des fluides diffus de la dorsale Juan de Fuca. Tirée de Marcus et al., 2009.

Cette colonisation progressive est rendue possible par les capacités de dispersion de la faune hydrothermale.

1.4.2.2. Dispersion et connectivité des écosystèmes hydrothermaux

Sur des petites échelles spatiales, les processus de dispersion sont principalement étudiés par la mise en place de substrats de colonisation (Cuvelier et al., 2014; Gaudron et al., 2010; Kelly et Metaxas, 2008; Kelly et al., 2007; Mullineaux et al., 2003; Plum et al., 2016; Taylor et al., 1999; Van Dover et al., 1988; Zeppilli et al., 2015) ou de prélèvements dans le panache hydrothermal (Metaxas, 2011; Mullineaux et al., 2005) ou dans la colonne d’eau à proximité des sites. Des expériences de colonisation menées sur la MAR ont suggéré que le type de substrat, organique ou inorganique, n’aurait d’importance que pendant la première année de

abondants là où l’influence hydrothermale est plus faible, verticalement (Mullineaux et al., 2005) et horizontalement (Cuvelier et al., 2014). La comparaison avec un modèle simulant des déplacements de larves planctoniques dans le panache a montré que les larves d’au moins quelques espèces recherchent activement la proximité du plancher océanique (Mullineaux et al., 2013). Les stratégies de reproduction font partie des « traits d’histoire de vie » d’une espèce, et sont un compromis entre la capacité de dispersion et la survie des larves. Cependant, les faibles températures pourraient contribuer à réduire l’activité métabolique, et le développement pourrait s’interrompre jusqu’à ce que les larves arrivent dans des conditions environnementales favorables (Hernández-Ávila et al., 2015; Marsh et al., 2001; Pradillon et al., 2001).

A de plus grandes échelles, l’étude de la dispersion des espèces utilise principalement les outils de la génomique et permet d’émettre des hypothèses sur la connectivité des édifices hydrothermaux à différentes échelles spatiales. Ramirez-Llodra et al., (2007) utilisent les données de la littérature pour distinguer six provinces biogéographiques caractérisées par des assemblages faunistiques dominants différents.

Les sites les moins profonds de l’Atlantique sont dominés par les modioles Bathymodiolus azoricus et Bathymodiolus puteoserpentis.

Les sites profonds de l’Atlantique sont dominés par les essaims de crevettes, principalement Rimicaris exoculata.

Le Pacifique nord et les Galápagos sont dominés par des assemblages de vers siboglinidés Ridgeia piscesae.

Le Pacifique ouest est dominé par les gastéropodes.

Les communautés de la dorsale indienne sont dominées par des espèces caractéristiques à la fois du Pacifique Ouest et de l’Atlantique.

D’après Zekely et al. (2006), des différences existeraient aussi au niveau de la méiofaune : les nématodes seraient plus nombreux dans l’Atlantique, tandis que les édifices du Pacifique seraient principalement colonisés par les copépodes. Une analyse de réseau sur les données en accès libre sur internet fait ressortir l’existence de 5 provinces biogéographiques : la ride médio-Atlantique, l’océan Indien, le Pacifique occidental, l’EPR et le Pacifique nord (Moalic et al., 2012, Figure 17) La distribution des taxons serait liée à la disposition des anciennes limites des plaques tectoniques (Tunnicliffe et Fowler, 1996). Les barrières géologiques telles que les failles transformantes isolent les régions hydrothermales, et la spéciation se fait progressivement, par les adaptations locales des espèces aux conditions spécifiques du milieu (Tunnicliffe, 1991; Van Dover et al., 2002).

Figure 17. Carte mondiale représentant la connectivité entre les communautés hydrothermales en utilisant une analyse de réseau. Cinq provinces sont visibles : la MAR, l’océan Indien, le Pacifique

Occidental, l’EPR et le Pacifique nord. Tirée de Moalic et al., 2012.