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Partie 2 : le contexte des paysans indigènes de l’ayllu Urinsaya : entre

1. Les risques

Les risques climatiques furent la nouvelle piste de recherche la plus importante car ils représentent la principale inquiétude des paysans pour leurs activités agricoles, et donc pour leur sécurité alimentaire ainsi que leurs revenus économiques. Cette préoccupation fut présente dans les entretiens avec les paysans et les intervenants des différentes fondations rencontrées (AGRECOL, NUNA, CIPCA) ainsi que dans les observations des infrastructures agroécologiques, aménagées en grande partie pour lutter contre les risques climatiques.

Des recherches documentaires ont été réalisées pour mieux comprendre ce phénomène, en tentant d’associer des documents théoriques et des études de cas, avec une dimension internationale ( car les risques climatiques sont de plus en plus en relation avec les changement climatiques globaux), nationale et régionale ( échelle de l’Altiplano bolivien) mais aussi locale ( car l’Altiplano est une zone marquée par de nombreux microclimats qui dépendent de la topographie, de l’étage écologique ou de la présence des vents).

Les documents consultés furent les suivants :

• des ouvrages théoriques et des articles de recherche concernant les concepts clés (le risque, la menace, la vulnérabilité) et produits par des chercheurs (par exemple Lavell , 2003 ; Wilches-Chaux, 1989 et 1993) , ou des professionnels (par exemple CIPCA, 2010),

70 • les rapports du GIEC17 (GIEC, 2014) qui ont étudié la question du

changement climatique à l’échelle mondiale, avec des études pour chaque sous-continent,

des ouvrages qui présentent des travaux de recherche en lien avec les risques climatiques à l’échelle nationale (par exemple Zamorra, 2013) et régionale, c’est-à dire celle qui concerne les zones de l’Altiplano (par exemple Regalsky 2010)18,

• des articles de recherche qui analysent le concept d’adaptation et de résilience et/ou qui présentent des études de cas internationales (Europe, Afrique, etc…) sur ces questions (par exemple Lallau, 2011 ; Sall, 2011), • des documents institutionnels des fondations AGRECOL et CIPCA qui

présentent des études de cas locaux (dans les zones de l’Altiplano) en matière de gestion des risques climatiques, par les paysans indigènes : les rapports d’activités ou encore les cartes du territoire élaborées par les paysans et les agronomes, au cours des activités pédagogiques menées par AGRECOL,

• les travaux de recherche de T. Ricaldi et L.C. Aguilar sur la gestion des risques climatiques dans la province de Tapacari,

• les photographies (format numérique) qui proviennent des paysans de la communauté Chunuchununi, et qui représentent les parcelles agricoles affectées par les évènements climatiques, en 2016.

2. La vulgarisation agricole et l’adoption de l’innovation

C’est au cours d’une discussion informelle avec le directeur de CIPCA, que je me suis rendu compte de l’importance d’étudier les questions de vulgarisation agricole et de l’adoption de l’innovation. En effet, il avait attiré mon attention sur un texte de Paulo Freire (Freire, 1973) sur les conditions (pédagogiques) nécessaires pour favoriser les processus de vulgarisation agricole, telles que le dialogue des savoirs ou la prise en compte du contexte socio-culturel par les agronomes. Freire a élaboré une théorie de la vulgarisation agricole avec un niveau de participation élevé des paysans, dans la construction des nouveaux savoirs et dans l’adoption de nouvelles technologies. Cette théorie m’a alors

17 Les rapports du GIEC, publiés progressivement en 2013 et 2014, décrivent l’état des connaissances sur les

changements climatiques ainsi que leurs causes, leurs conséquences et les solutions (adaptation, atténuation).

18 A l’échelle régionale, les ouvrages consultés présentent l’avantage de décrire les stratégies des paysans

71 amené à étudier l’évolution historique des formes de vulgarisation agricole, à travers le monde, pour la contextualiser.

Dans l’ensemble des pays du monde, la participation active des paysans dans les processus de vulgarisation reste encore moins importante que les transferts verticaux de savoirs, depuis les agronomes et chercheurs vers les paysans- agriculteurs.

La seconde recherche documentaire vise à comprendre les différentes formes de vulgarisation agricole, qu’elles soient liées au modèle agricole productiviste ou à celui de l’agriculture familiale de l’Amérique latine, telles que les modèles « De campesino a campesino » (Holt-Gimenez, 2006) ou la Recherche-Action- Participation (Fals Borda,1992 ; Guzman, 2007). Ces deux dernières démarches s’inspirent très largement des principes de l’EP (dans la mesure où elles valorisent les savoirs des populations locales et les formes d’apprentissages socioconstructivistes) et furent présentent dans les entretiens et les observations.

La recherche documentaire vise aussi à ’étudier les déterminants généraux et les obstacles dans l’adoption des innovations, leurs principaux effets sur la production agricole, les revenus économiques et la sécurité alimentaire des paysans des pays en développement. Cette recherche a une dimension internationale pour comprendre les spécificités des espaces de l’Amériques latine et les points communs avec les autres contextes.

Les documents mobilisés pour répondre à ces objectifs sont les suivants :

• articles de recherche qui portent sur des études cas de vulgarisation agricole ou d’adoption d’une innovation dans des contextes nationaux différents (Darré,1997 ; DOVE, 2002 ; DELBOS, JORION,1984 ; Clavel 2008),

• documents institutionnels en lien avec les expériences de vulgarisation agricole dans les communautés indigènes de l’Altiplano : ce sont notamment les documents de présentation et les rapports d’activités des programmes des fondations AGRECOL, NUNA, CIPCA, TROCAIRE , etc…

• les photographies que j’ai réalisées pendant les journées d’observation dans les communautés indigènes,

• ouvrages théoriques (Hocde et Holt-Gimenez, 2000) et documents institutionnels de méthodologie de projet concernant les processus de vulgarisation agricole du modèle « De campesino a campesino »

72 • ouvrage théorique en lien avec la Recherche-Action-Participation ( Fals Borda,1992) et des travaux de recherche sur l’application de ce modèle dans le domaine de l’agroécologie (par exemple, les travaux de Guzman G.).

3. Le contexte des communautés de l’Ayllu Urinsaya

Les entretiens et les visites d’observation, que j’ai réalisés dans le cadre des activités d’AGRECOL, m’ont amené à identifier et délimiter mon terrain de recherche en fonction des espaces d’intervention de cette fondation, dans le cadre deux programmes de formation : « la fertilisation des sols » et le « GRAC ». Cet espace est circonscrit aux communautés indigènes de l’ayllu Urinsaya, situées dans la province de Tapacari, rattachée au département de Cochabamba. Une nouvelle recherche documentaire s’avérait nécessaire pour décrire les conditions de vie de ces communautés et leur contexte. Les statistiques nationales offrent peu d’informations sur ces communautés, ce sont donc les sources locales qui ont été privilégiées car plusieurs travaux de recherche (rattachés aux différentes universités de Cochabamba : AGRUCO, CESU-UMSS) et expériences agroécologiques (des fondations telles que AGRECOL) ont été réalisés dans la province de Tapacari.

Les documents consultés furent les suivants :

les travaux de recherche réalisés par Mariana Alem Zalabalag, dans le cadre d’un master, dans la communauté de Chunuchununi de l’ayllu Urinsaya,

• les travaux de recherche de Quispe portant sur plusieurs communautés de la province de Tapacari,

le travail de recherche collectif de T. Ricaldi (université CESU-UMSS de Cochabamba) et de L.C. Aguilar en lien avec l’implantation du programme GRAC et les stratégies traditionnels de gestion des risques climatiques, dans le canton de Challa, où vivent différentes tribus dont la Urinsaya,

• les documents institutionnels de la fondation AGRECOL : documents de présentation du programme GRAC, cartes du territoire et fiches thématiques réalisées par les paysans (par exemple celles qui décrivent les pratiques agricoles individuelles pour prévoir le temps), etc…

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4. Le modèle de l’agroécologie

L’approfondissement de la recherche documentaire concernant l’agroécologie s’explique par la nature et les objectifs des activités de formation de la fondation AGRECOL, qui délimite mon terrain de recherche. AGRECOL intervient dans les communautés indigènes pour promouvoir et développer le modèle de l’agroécologie. De nombreuses fondations boliviennes (CIPCA, CENDA, NUNA, etc…) diffusent ce modèle car il s’appuie sur la valorisation des savoirs locaux des paysans. Depuis les années 2000, les fondations boliviennes interviennent dans un contexte national marqué par le développement d’un mouvement indigéniste, qui lutte pour la reconnaissance de son identité, de sa culture et de ses droits, ainsi que pour la souveraineté alimentaire. Et l’agroécologie apparait comme un moyen de récupérer, valoriser, restaurer les savoirs paysans indigènes et de renforcer la souveraineté alimentaire car elle propose l’utilisation de ressources locales (par exemple en termes d’intrants et de source d’énergie).

Dans le cadre de la question de l’agroécologie, j’ai utilisé les travaux de recherche de Altieri M. et Nicholls pour comprendre leurs principes, leurs objectifs, les savoirs mobilisés et leurs résultats. Mais ces travaux visent également à défendre le modèle de l’agroécologie, ils ont une finalité partisane, cela explique pourquoi j’ai recherché des travaux (par exempe : Médiène, 2011) qui montrent les limites de ce modèle. J’ai également consulté les documents institutionnels qui m’ont été offerts par les fondations que j’ai rencontrées, elles portent essentiellement sur la description des principes et des bonnes pratiques agroécologiques ou encore des expériences mises en place dans des communautés indigènes boliviennes.

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Partie 2 : le contexte des paysans indigènes de l’ayllu Urinsaya : entre permanences et changements

A/ les enjeux et les défis de l’agriculture mondiale

I/ Les questions actuelles

1. La croissance démographique et la demande alimentaire mondiale

Nous vivons aujourd’hui une période charnière de l’histoire agroalimentaire du monde car les enjeux et les défis du futur sont considérables. Rappelons que l’agriculture, l’élevage, la pêche occupent la moitié de la population mondiale (Griffon, 2006)), ce sont les activités économiques les plus importantes dans le monde en termes d’emplois.

La planète compte actuellement environ 7 milliards d’habitants, et cette croissance démographique risque de se poursuivre pour atteindre, en 2050, une population mondiale qui serait comprise entre 9 et 11 milliards d’habitants suivant les sources (Ibid.). L’élévation du niveau de vie et l’émergence de classes moyennes, dans les pays émergents, entrainent des changements de comportement alimentaire caractérisés par une forte croissance de la consommation de protéines animales (Dufumier, 2011). Cette double évolution pourrait se traduire par un doublement de la demande en calories alimentaires . La questions qui se posent alors sont les suivantes : L’agriculture mondiale peut- elle satisfaire cette demande croissante ? Peut-elle encore augmenter ses rendements ? Les agriculteurs peuvent-ils encore augmenter les surfaces cultivables ? Au-delà de des capacités des sociétés à faire face à leurs besoins par l’exploitation des écosystèmes, la problématique agricole devient plus complexe. En effet, l’agriculture est de plus en plus sollicitée pour fournir des agro carburants, elle est confrontée aux problématiques environnementales majeures ( la dégradation des sols, de la biodiversité, le réchauffement climatique, la désertification et les difficultés d’accès à l’eau dans certaines régions du globe…) et au défi majeur d’assurer l’accès des populations les plus pauvres (dont les plus nombreuses sont les paysans eux-mêmes) à une alimentation suffisante. Les écosystèmes, même s’ils sont gérés de manière durable, avec des technologies très productives, et en obtenant une situation

75 alimentaire, économique, sociale acceptable pour tous les producteurs, pourront- ils produire assez de biens et de services pour la totalité de la population mondiales, soit 9 milliards d’habitants en 2050 ? Et si c’est possible quelles sont les voies d’agriculture écologiquement, économiquement et socialement durable ?

Il est difficile de répondre ces questions car de nombreuses incertitudes économiques, sociales et environnementales demeurent : Quelle sera l’évolution de la population mondiale ? De la demande d’agrocarburants ? De la consommation et des comportements alimentaires à l’échelle mondiale ? Quelle sera l’ampleur du changement climatique et leurs effets sur l’agriculture ? Quel sera le niveau de la dégradation des sols ? Des conflits liés à l’eau ? De la croissance des rendements agricoles ? Du gaspillage alimentaire ?...

La question de l’agriculture mondiale est confrontée à des défis et des enjeux majeurs, la « crise alimentaire » de 2008, qui s’est traduite par une flambée des prix à l’échelle mondiale, entrainant le retour des révoltes de la faim, a renforcé la prise de conscience de l’importance de cette question notamment par les pouvoirs politiques. Après une période de vingt ans de libéralisation du secteur agricole (baisse des soutiens nationaux et de l’aide étrangère, ouverture des échanges…), notamment dans les pays les moins avancés, les institutions internationales, des gouvernements du Nord et du Sud, les ONG de solidarité internationale appellent à des politiques agricoles fortes (Treyer, 2011).

Mais quelles en seraient les contenus ? Faut-il des politiques pour assurer des prix bas pour que les plus pauvres, notamment dans les villes, aient plus facilement accès à l’alimentation ? Ou bien des politiques de prix hauts, pour assurer un revenu suffisant aux agriculteurs du Sud et du Nord ? Faut-il privilégier l’augmentation des rendements agricoles au détriment des questions environnementales ou l’inverse ? Est-il viable de concilier ces deux propositions ?

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2. Les menaces des dégradations environnementales sur