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Partie 2 : le contexte des paysans indigènes de l’ayllu Urinsaya : entre

1. les politiques agraires de 1953 à 2005

1.1 Etat des lieux de la situation agraire avant la réforme de 1953

L’arrivée des colons espagnols a bouleversé les structures agraires des paysans boliviens et a transformé la majorité des paysans en main d’œuvre servile pour les nouveaux propriétaires des grands domaines de la Couronne espagnole, les encomiendas, seul un nombre réduit de communautés rurales survivait avec des petites parcelles. Plusieurs lois impulsées par Simon Bolivar, en 1824 et 1825, avaient aboli la propriété indivise des terres indigènes et chaque indigène était devenu propriétaire de sa terre (Rudel, 2006) et pouvait vendre ses parcelles. Les grands propriétaires qui souhaitent étendre leurs domaines ont profité de cette occasion pour acheter ou s’accaparer des terres communautaires par la ruse, la force ou la tromperie (Rudel, 2006). L’accaparement des terres permettait aux latifundistes de disposer d’une main d’œuvre à bon marché et servile : les indigènes travaillaient 5 ou 6 jours par semaine pour le grand propriétaire qui en échange leur octroyait l’usufruit d’une petite parcelle insuffisante (pour satisfaire les besoins de la famille), qu’ils cultivaient pendant leur temps libre. Les paysans étaient réduits à la condition de quasi esclave.

Le vol des terres indigènes a commencé avec la colonisation espagnole mail il s’est poursuivi après l’indépendance de la Bolivie, et notamment à partir du décret du mai 1866 et la loi du 28 septembre 1868 (Rudel, 2006), sous la présidence du général Melgarejo, qui accéda au pouvoir grâce à un coup d’état. Ces lois imposaient aux indiens propriétaires le paiement d’un impôt, pour conserver le droit de travailler la terre, dans un délai de soixante jours, dans le cas contraire ces terres seraient vendues aux enchères publiques. Les indiens ne purent prendre connaissance de ces lois car ils étaient analphabètes pour la plupart, et isolés géographiquement. Ainsi entre 1869 et 1970, les terres de 300

93 communautés furent vendues aux enchères (Rudel, 2006) au profit de grands propriétaires proches du dictateur. La révolte paysanne qui suivit fut violemment réprimée. Après la chute du dictateur, en 1871, de nouvelles lois ont aboli celles du général Megarejo, elles reconnaissaient la propriété communautaire des terres indigènes mais elles ne furent pas appliquées.

En 1952, une insurrection révolutionnaire se déclencha à l’initiative des mineurs et des paysans, encadrés par le parti politique MNR, et entraina la chute du pouvoir militaire et oligarchique. A la fin de l’année 1952, les petits paysans indigènes multiplient les occupations de terre, les expulsions et les assassinats contre les grands propriétaires, ils voulaient mettre un terme au système latifundiaire qui les exploite. En effet, au début des années 1950, les grands propriétaires terriens possédant plus de mille hectares ne représentaient que 6% du total des propriétaires mais possédaient 92 % des terres cultivables, dont seulement 1,5% était exploitées, le reste étant en jachère (Rudel, 2006). Les 8% restant étaient exploitées par les petits paysans et les communautés indiennes. Les paysans qui travaillaient pour les grands propriétaires étaient encore réduit à la condition d’esclave en 1950.

1.2 La réforme agraire de 1953

Le nouveau gouvernement révolutionnaire dirigé par le MNR, mit en place la réforme agraire en 1953. Celle-ci mit fin à l’utilisation servile de la main d’œuvre et initia une nouvelle redistribution des terres. Mais la redistribution des terres a été appliqué de manière distincte sur le territoire national (Rudel 2006, Chaplin et Crabtree, 2006). Elle n’a pas eu lieu dans les zones des plaines tropicales de l’Oriente, où les grandes propriétés, orientées vers l’exportation, ne furent pas affectées et même certaines formes de servage ont continué

Dans les zones indigènes de l’altiplano et des vallées, la majorité grandes propriétés furent démantelées et redistribuées au profit des populations qui les exploitaient pour le compte du latifundiste. Ainsi, entre 1953 et 1978, près de 26000 grandes propriétés furent démantelées, 4 millions d’hectares de terres furent distribuées à environ 400 000 familles (Rudel, 2006). La réforme aboutit à un système de « minifundios», c’est-à-dire des exploitations agricoles avec une superficie moyenne inférieure à 3 hectares, qui s’organisent autour de communautés paysannes, proches du système traditionnel de l’ayllu indigène,

94 mais organisées en syndicats agraires qui suivent les politiques gouvernementales du MNR, dont ils deviennent une base électorale importante ( Chaplin et Crabtree, 2006). Les discours officiels des gouvernements successifs du MNR se référaient au terme de paysan et non de peuples indigènes même si la majorité des paysans étaient indigènes. Le problème de la division des terres qui devenaient de plus en plus petites, au fur et à mesure que la croissance démographique s’intensifiait, a donné lieu à une politique de colonisation des terres, à la fin des années 1950. 70 000 familles paysannes de l’altiplano ont migré vers les zones tropicales des plaines. Mais ces politiques de colonisation n’ont pas permis d’améliore la situation des paysans restés cultivés dans les microfundios de l’altiplano ou des vallées. La réforme agraire fut insuffisante pour eux dans la mesure où l’assistance technique et l’accès au crédit étaient quasiment inexistants, et dans la mesure où les réseaux de commercialisation n’ont pas été modifiés, les paysans restaient encore soumis à la domination des commerçant et collecteurs de produits agricoles. Et même après la réforme agraire, les gouvernements successifs ont mis en place des politiques agraires qui favorisaient l’agro-industrie, et les paysans de l’altiplano ont continué d’être les populations les plus pauvres de la Bolivie (Ibid.).

Au final, la réforme agraire a pu redistribuer la terre de manière équitable dans les zones andines et mettre fin au régime de quasi-servage mais elle a échoué à assurer la promotion économique de la paysannerie andine et à réduire les latifundios de l’Oriente. Elle n’a pu résoudre la dichotomie entre les minifundios et les latifundios, et à partir des années 1960, la croissance massive des terres de propriété privée était importante, surtout dans les plaine tropicales de l’Oriente (Ibid.).

1.3 Les politiques néolibérales de 1985 à 2005

La période néolibérale commence en Bolivie, en 1985, elle se traduit par des politiques publiques qui orientent la production (agricole, minière, etc..) vers l’exportation, qui privatisent des entreprises publiques, qui libéralisent et ouvrent les marchés (Ormachea, 2009). La priorité est donnée à l’insertion de l’économie bolivienne dans l’économie mondiale et ainsi à l’agriculture d’exportation au détriment de la production agricole pour le marché interne, assurée par la petite paysannerie. Les politiques agraires des gouvernements

95 néolibéraux successifs ont suivi les directives des organismes financiers internationaux, qui consistaient à saisir les opportunités commerciales afin d’insérer la production agricole bolivienne dans le marché mondial. Pour cela, les politiques agraires se sont orientées vers les objectifs de productivité et de compétitivité qui concernaient essentiellement les agriculteurs entrepreneurs, propriétaires de moyennes et grandes exploitations. Pour réaliser ces politiques , les gouvernements ont facilité l’accès aux ressources pour l’expansion de l’agro-industrie oléagineuse d’exportation ( à partir surtout de la production de soja) et une politique de terres ( dont la loi INRA), qui consolidait la concentration des meilleures terres agricoles, dans les mains des moyens et grands producteurs, entrepreneuriaux et capitalistes ( Ormachea 2013). Dans ce système néolibéral, les petits producteurs paysans occupaient le rôle de maillon primaire dans la chaine de production d’exportation, leur principal fonction consistait à fournir les matières premières, aux agroindustriels, à des prix réduits et imposés par ces derniers ( Ormachea, 2009). Cette situation contribua à réduire les revenus petits producteurs, issus de la vente partielle ou totale de leurs produits agricoles.

1.4 La réforme agraire de la loi INRA (1996)

Le gouvernement libéral de Sanchez de Lozada souhaitait réguler la propriété de la terre, pour cela il introduisit la loi INRA de 1996. Celle-ci visait à définir les territoires demandés par des groupes de paysans indigènes, à introduire un processus de cadastration et de cetification des titres de propriété ( Chaplin et Crabtree, 2006). Le concept de TCO, Territorios Comunitarios Originarios (Territoires Communautaires Originaires29), fut créé pour répondre aux

demandes des peuples indigènes et ainsi offrir la protection juridique des paysans indigènes, qui vivaient dans les extensions de terre de propriété commune. Le processus de cadastration et certification des titres de propriété était prévu sur une durée de dix ans. Mais durant cette période, le processus de régularisation des titres de propriété n’a affecté que 10% des territoires demandés par les indigènes (Ibid.). De plus, de nombreux latifundistes de l’Oriente ont rejeté les tentatives de régularisation juridique visant à définir les limites des extensions de leur propriété. Les principaux bénéficiaires de cette loi

96 fut les peuples indigènes des basses terres, ils ont réussi à légaliser leurs terres à travers le nouveau statut de TCO. Mais pour les paysans de l’altiplano, cette loi a eu peu d’impact, pour eux le principal problème ne fut pas la question juridique, mais la difficulté de répondre à leurs besoins, avec des parcelles de plus en plus réduites, de moins en moins productives, et avec des revenus qui qui diminuent.

2. Les politiques agraires mises en place par le MAS depuis