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Partie 2 : le contexte des paysans indigènes de l’ayllu Urinsaya : entre

2. Les politiques agraires mises en place par le MAS depuis 2005

2.2 La loi de la Révolution productive communautaire agricole (2011)

2.2.4 La reconnaissance des peuples indigènes

La reconnaissance des peuples indigène n’est pas déterminée par cette loi, elle est intervenue dès le vote de la nouvelle Constitution de 2009.

Dans la loi de 2011, plusieurs articles abordent les questions de l’identité, des territoires, des savoirs, de l’organisation (sociale, économique et politique) des communautés indigènes, mais essentiellement en relation avec les activités agricoles.

L’article 7 indique que le terme de communauté renvoie aux familles issues des communautés indigènes originaires paysannes (c’est-à-dire les premiers peuples indigènes installés en Bolivie), des communautés interculturelles et afro- boliviennes, qui partagent un territoire, une culture, une histoire, une langue, et qui s’organisent en fonction de leurs normes. La loi veille à énoncer ces différents types de communautés, en citant toujours en premier les communautés indigènes originaires paysannes, ce qui peut laisser sous-entendre une certaine forme de hiérarchie implicite, entre les différents peuples indigènes.

L’article 5 reconnait l’ensemble de ces différents types de communautés comme des Organisations Economiques Communautaires (OECOM). Elle intègre, dans

106 la liste des axes thématiques de la loi, des références aux droits des peuples indigènes :

• la planification stratégique alimentaire participative depuis les communautés pour définir les stratégies de production agricole durable, • la promotion du processus de gestion des territoires indigènes,

le renforcement des capacités productives, organiques, de transformation, de commercialisation et de financement des communautés indigènes avec une approche interculturelles qui récupère les savoirs, les pratiques et les connaissances ancestraux,

• le transfert de ressources vers les communautés.

Les articles 7 et 8 veillent à définir et à promouvoir la gestion du territoire indigène paysan. Les indigènes disposent d’un droit de propriété sur leur territoire, ils le gèrent de manière participative, avec un consensus entre les différentes communautés qui forment le territoire, afin d’améliorer la qualité de leur vie, de contribuer à la souveraineté alimentaire en accord avec leurs savoirs, leurs technologies et leurs cultures. En proposant aux communautés indigènes de contribuer à la souveraineté alimentaire du peuple bolivien, la loi leur assure une reconnaissance sociale, telle que définie par Honneth (2002) . Les articles 28 et 45 prévoient une aide technique et financière pour renforcer la gestion territoriale des paysans indigènes et faciliter l’implantation de la révolution productive communautaire. Cela se fera, par exemple, à travers la gestion de projets développés, dans le cadre du Fond de Développement pour les Peuples Originaires et Communautaires Paysans. Dans ce cas précis, nous pouvons nous interroger sur la pertinence du recours à l’outil de « gestion de projet » qui est propre au fonctionnement des institutions administratives ou aux ONG’S, mais qui reste éloigné du mode fonctionnement et d’organisation des communautés indigènes. Il n’est pas certain que nous puissions retrouver cette expression dans les lexiques des peuples indigènes. Les droits des peuples indigènes s’étendent au-delà de leur territoire, ainsi les articles 10 et 11 garantissent la participation de toutes les communautés indigènes dans la définition, l’application et le contrôle des politiques publiques agricoles (à l’échelle nationale, départementale et municipale). Les principes de la nouvelle politique agricole (article 6) s’appuient également sur des éléments issus des cultures indigènes, notamment le respect de la Terre Mère (qui symbolise la Nature), la promotion du modèle de vie du « Bien vivir » (vivre en harmonie et en équilibre avec le

107 Terre Mère) et la réciprocité et la solidarité (qui sont de liens sociaux fondamentaux pour les travaux agricoles et communs).

La nouvelle politique agricole garantit le respect des cosmovisions des peuples indigènes (la Terre Mère nourricière, le « Bien vivir », etc…). Elle valorise la récupération des savoirs des paysans indigènes, qui sont nommés de la manière suivante : « saberes ancestrales o locales », soit les savoirs ancestraux ou locaux (article 22). Cette valorisation vise à renforcer la base productive et construire la souveraineté alimentaire, elle est donc un processus fondamental pour que la révolution agricole réalise ses finalités. Les savoirs ancestraux concernent notamment sont les pratiques de la conservation des sols (les terrasses, rotation des sols, etc…), de la gestion de l’eau, de l’utilisation et de la conservation des semences natives. Mais l’article 21 et 22 indique que les savoirs ancestraux ne sont pas les seules ressources mobilisées pour produire les technologies, il insiste sur la mobilisation de savoirs scientifiques et sur le dialogue des savoirs. Cependant, il ne donne aucune indication précise sur les savoirs scientifiques.

Conclusion

Dans ses finalités, la loi tente d’instaurer une révolution agricole, un changement de modèle qui tendrait davantage vers une écologisation de l’agriculture que vers un verdissement. En effet, elle vise à créer un nouveau modèle agricole déterminé par des finalités et limites :

• sociales : la révolution doit garantir la sécurité, la souveraineté alimentaire, améliorer les conditions de vie et lutter contre la pauvreté des paysans de l’agriculture familiale,

écologiques : la révolution doit respecter la Terre Mère, c’est à dire la Nature

Même si la loi mentionne des intentions ambitieuses et d’importantes avancées sociales et écologiques, il est difficile de garantir qu’elle instaurera une véritable révolution agricole et qu’elle atteindra ses finalités, dans la mesure où elle révèle de nombreuses imprécisions (déjà mentionnées dans les pages précédentes) ou absences concernant son application. De nombreuses dispositions liées aux nouvelles pratiques de gestion des sols et de l’eau restent trop générales. L’origine et la nature des moyens humains, techniques et financiers ne sont pas précisées alors que la Bolivie reste un des pays les pauvres de l’Amérique latine.

108 Il reste difficile de répondre à cette question : Est-ce que le budget alloué, par l’Etat, à cette révolution agricole est à la hauteur des défis et enjeux des transformations environnementales et socioéconomiques, qui affectent les paysans boliviens?

Les absences les plus troublantes restent celles des risques, des changements climatiques et celle de l’adaptation, elles sont très traitées de manière très évasive dans l’article 24, à travers quelques lignes, ou alors traitées un peu plus longuement mais que sous l’angle de l’indemnisation, dans les articles relatifs à la création de l’assurance agraire, qui vise à « protéger » les productions agricoles contre les désastres naturels . Cette assurance fait l’objet d’une procédure administrative que les paysans indigènes ne parviennent pas toujours à comprendre, et cela peut le pousser à ne pas réaliser les démarches pour accéder à cette assurance. C’est le cas, par exemple dans les communautés de l’Ayllu Urinsaya. Lors de mon travail de terrain, dans la communauté de Chunu Chununi, j’ai assisté à une réunion entre un responsable de formation de la fondation AGRECOL et les paysans qui ont participé au projet « fertilisation des sols ». Ces paysans ont alors expliqué qu’ils n’avaient pas sollicité l’assurance agraire car ils ne savaient pas comment réaliser les démarches.

Il est difficile d’envisager une véritable révolution agricole sans prendre en compte les questions liées aux risques de manière plus précise et systémique. Même si les risques climatiques, agricoles et l’adaptation ont fait l’objet d’une loi spécifique, elles auraient pu être traitées dans la loi de 2011 de manière beaucoup plus précise, ne serait-ce que pour articuler ces questions avec les autres dispositions de la loi de 2011 (par exemple, celles liées à la gestion des sols ou de l’eau).

2.3 Les politiques publiques de gestion des risques climatiques