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Partie 1 : Du projet de thèse à l’émergence de la question de départ

E. La recherche exploratoire

2. Description des objets et du contexte d’observation

2.1 La visite d’observation des communautés de l’ayllu Urinsaya

La visite de des communautés de l’ayllu Urinsaya a eu lieu pendant le mois d’avril 2014, une période qui coïncide avec la fin de la saison des pluies. Cette communauté vit sur un territoire situé au dessus de 4000 mètres d’altitude, où le climat ne cesse de changer pendant la journée (avec de fortes amplitudes thermiques et des épisodes de grêle ou de pluie), l’ingénieur agronome ne m’avait pas transmis cette information, par conséquent je n’avais les vêtements nécessaires pour travailler dans de bonnes conditions. La visite a été organisée par l’ingénieur agronome, dans le cadre du programme « Fertilisation des sols », auxquels participaient sept paysans de l’ayllu Urinsaya. L’objectif de la visite consistait à assurer le suivi de ce programme. L’activité programmée pour la visite fut le prélèvement des plantes dans les parcelles expérimentales de ces sept paysans. Dans le cadre de ce programme, ces sept paysans avaient accepté de réaliser des expériences agroécologiques, sur une petite partie de leurs parcelles. L’expérimentation vise à tester des associations de légumineuses avec des graminées, dans la quatrième année de la rotation des cultures, traditionnellement consacrée à la jachère. Les plantes fourragères sont utilisées pour fertiliser les sols grâce à leur présence d’oligo-éléments.

L’expérimentation est la principale activité pédagogique de ce programme, elle se rattache à la démarche de la Recherche-Action-Participation ( Fals Borda 1992), qui s’inspire des principes de l’EP.

L’ingénieur agronome était accompagné de la biologiste, et nous sommes allés sur les parcelles des paysans qui étaient présents (voir photos dans l’annexe 3.6), deux ne sont pas venus. Les paysans se réunissent dans chaque parcelle expérimentale pour couper les plantes, mètre carré par mètre carré. Chaque mètre carré de biomasse prélevé est pesé, stocké dans un sac, sur lequel ils inscrivent le type d’association utilisé et le nom du propriétaire de la parcelle (voir photos dans l’annexe 3.6). Pendant cette activité, les paysans peuvent partager, entre eux et avec les agronomes, les résultats de leur expérimentation, en analysant les effets des associations de plantes sélectionnées sur les

65 rendements agricoles. Les plantes prélevés sont envoyés à un laboratoire pour analyser leur constitution, et notamment la teneur en éléments nutritifs.

L’activité de prélèvement s’est déroulée pendant la matinée, ensuite la fondation AGRECOL avait organisé un déjeuner, pour les paysans participant au programme, qui a eu lieu dans la salle communale de Chunuchnuni, un des sept communautés de l’ayllu Urinsaya.

Durant l’après-midi, dans la salle communale, s’est déroulée une réunion d’information de la communauté Chunuchununi, indépendante des programmes d’AGRECOL. La réunion fut conduite par deux dirigeants de la communauté, et animée également par des fonctionnaires locaux, qui dépendaient du ministère de la santé et qui transmettaient de nouvelles informations sur les conditions d’accès aux soins publiques.

Cette journée de visite m’a permis d’observer les éléments suivants :

la situation géographique enclavée et le cadre naturel extrême ( climat, végétation, etc…) du territoire de l’ayllu,

l’organisation géographique du territoire d’une communauté rurale indigène,

l’organisation sociale et politique de la communauté • les infrastructures de transport,

• les parcelles : la localisation, le relief, l’organisation, la taille, le fonctionnement, les types de culture, le matériel agricole, la texture et la couleur des sols, les microclimats

• l’activité pédagogique de l’expérimentation : le fonctionnement, les outils, le matériel, le recueil et la classification des plantes, les résultats de l’association de plantes utilisée par chacun, les attitudes et les comportements des différents acteurs présents, la posture des intervenants d’AGRECOL, la participation (niveaux et formes) des paysans, l’expression de leurs regards des paysans face à leurs résultats, les interactions entre les différents acteurs présents

• l’assiduité de ceux qui participent au programme de fertilisation des sols, • l’accès aux soins publics de santé,

les activités d’élevage

• le niveau scolaire des paysans et les infrastructures scolaires de la communauté de Chunuchununi,

66 • l’habitat,

• l’accès à l’électricité et à l’eau courante, • les vêtements indigènes et ses symboles

• les biens matériels (tels que les voitures ou téléphones portables)

les activités d’artisanat, d’une partie de la communauté, dans une maison construite et financée par l’Union européenne.,

• l’absence de commerces.

2.2 La visite de la « feria » de Pongo

J’ai visité la municipalité de Pongo, au mois d’aout 2014, pendant la journée consacrée aux entretiens exploratoire, avec les paysans qui ont participé au programme de fertilisation des sols d’AGRECOL. La visite a eu lieu le jeudi, qui est une journée festive, la « feria », pour les membres de l’ayllu Urinsaya. La municipalité de Pongo est située, au bord de la route nationale qui relie Cochabamba à La Paz, à environ une heure de transport depuis le territoire de Chunuchununi. Elle comporte notamment un collège, un poste de santé et de nombreux commerces dont un marché spécifique pour la « féria ». Les membres de l’ayllu se rendent à la « féria » pour se rencontrer, discuter, s’informer, s’amuser, acheter et vendre des produits, boire la « chicha » ( une boisson alcoolisée à base de maïs) et manger.

J’ai visité pendant quelques heures la « féria » car les paysans étaient arrivés en retard pour réaliser les entretiens. J’ai observé les éléments suivants :

les types de produits vendus dans le marché, les vêtements indigènes portés pour la « feria »,

• les ventes de produits agricoles des paysans de l’ayllu Urinsaya,

• les modes de transports utilisés par les paysans pour aller à Pongo depuis leur territoire,

• quelques rituels propres à la « feria », • l’alimentation.

2.3 La visite d’obersvation de trois communautés de la municipalité de Huarina

67 La visite de trois communautés de Huarina a été organisée par Eva Colque, directrice de la fondation NUNA. Cette visite, qui a duré une journée, a eu lieu pendant le mois d’aout 2014, pendant la saison sèche. Huarina est une commune rurale située sur l’Altiplano du département de La Paz, près du lac Titicaca, et ses communautés indigènes sont essentiellement quechuas. L’organisation du territoire de cette communauté se distingue par un habitat très dispersé. Eva Colque souhaitait se rendre dans ces communautés, qui avaient bénéficié des interventions de la fondation, dans le cadre de transferts de technologies agroécologiques, afin de vérifier si celles-ci étaient toujours maintenues et utilisées.

La première visite fut effectuée dans l’exploitation d’une famille de la communauté de Cotacota, qui est très spécialisée dans l’élevage et la production laitière. Nous avons été reçus par un couple âgé, propriétaire de l’exploitation et qui assure une partie de ses revenus grâce à la vente de produits laitiers (lait et fromage) et de viande. La deuxième et la troisième visite se sont déroulées dans la communauté de Quinsachala qui, selon Eva Colque, est la plus vulnérable de la municipalité et la moins soutenue par les pouvoirs publics. Dans cette communauté 43 familles ont ainsi bénéficié des interventions de la fondation NUNA. Nous avons visité les exploitations d’un homme puis d’une femme, les deux très âgés ( plus de 60 ans) et vivant seuls. Les visites ont eu lieu pendant la saison sèche, où les travaux agricoles sont très réduits, cela explique pourquoi une partie des habitants migrent vers les villes, pour assurer d’autres revenus économiques. Ce sont essentiellement les personnes âgées et les adultes femmes qui restent dans les communautés pendant toute l’année. Les adultes hommes (environ entre 18 et 50 ans), qui migrent vers les villes pour de longues périodes, reviennent dans la communauté pour assister aux réunions importantes ou encore assurer des charges communales qui leur incombent (souvent une fois tous les deux ou trois mois). Ces activités s’inscrivent dans le cadre de l’organisation socio-politique des communautés indigènes de l’Altiplano bolivien. Les deux personnes âgées que j’ai rencontrées ont avoué être épuisées par une vie marquée par des travaux agricoles harassants et par l’absence d’une partie de la main d’œuvre familiale. Cela explique pourquoi Ils n‘effectuent pas de grands travaux d’aménagement dans leurs parcelles, tels que l’entretien des terrasses nécessaire pour lutter contre l’érosion des sols. La quatrième visite eut lieu dans une communauté plus éloignée, et située sur les rives du lac Titicaca. L’exploitation qui fut visitée appartenait à un couple. Le mari était un enseignant à la retraite depuis 2009, il avait des revenus supérieurs à ceux des

68 personnes visitées dans les autres communautés. La taille des parcelles était également plus importante et les infrastructures agricoles étaient plus nombreuses et modernes. Selon les propos du couple, le sol de leurs parcelles est encore fertile et leur projet fut de se spécialiser davantage dans a production laitière. Le couple a confié également leur grande motivation pour se former à des techniques agricoles plus spécialisées comme l’insémination artificielle mais aussi à la médecine et à l’alimentation animale. Les différentes visites ont ainsi concerné des habitants avec des profils socio-économiques différents.

Les éléments qui furent observés sont principalement les infrastructures agrécologiques16 transférées ou restaurées par la fondation NUNA, et liées à :

• la conservation des sols : les cultures en terrasses, les corridors de plantes ou d’arbustes pour retenir les sols face à l’érosion, le matériel pour réaliser le compost et d’autres fertilisants naturels, les vergers et potagers sous serre,

• la gestion de l’eau : les « qotanas » qui sont des bassins de rétention d’eau creusés près des parcelles ( ils peuvent accueillir plus de 100 000 litres d’eau), les fontaines d’eau, les fossés d’infiltration,

• l’élevage : les abreuvoirs, les étables, les tripodes qui permettent de faire sécher les fourrages destinés au bétail, ainsi que des structures de stockage sous-terraines ( les « ensilajes ») qui permettent de les conserver, et de les préserver l’humidité.

L’observation des infrastructures a permis aussi d’aborder, avec les paysans rencontrés et l’agronome Eva Colque, la question de l’organisation communautaire, qui a rendu possible et favorisé les grands travaux. Cette organisation se distingue, entre autre, par le principe de la réciprocité et de l’entraide entre les paysans de la même communauté.

IV/ La seconde phase de la recherche documentaire : les pistes nouvelles ou à approfondir

Une seconde phase de recherche était rendue nécessaire par les données recueillies à travers les entretiens et observations, qui furent réalisées pendant les deux séjours effectués en Bolivie. Les données recueillies ont amené de

16 Les infrastructures agroécologiques représentent soit des innovations apportées par des agronomes, soit la

récupération des équipements hérités des peuples incas, et progressivement abandonnés par les paysans indigènes, par exemple les terrasses (« qatanas ») et les bassins de rétention d’eau ( « qotanas »).

69 nouvelles pistes que je n’avais pas étudiées et examinées : les risques climatiques, la vulgarisation agricole, la recherche-action-participation, la démarche « De campesino a campesino » (« De paysan à paysan »). Elles m’ont incité à approfondir davantage la question de l’agroécologie que j’avais entrevue dans la première recherche documentaire, à travers les différents modèles agricoles.

Les données recueillies m’ont permis de délimiter mon terrain de recherche, à savoir le circonscrire aux communautés de l’ayllu Urinsaya, situées dans le canton de Challa (province de Tapacari). Cela rendait nécessaire un nouveau travail de recherche documentaire pour décrire le cet ayllu, ses communautés et leur contexte.