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Observation et analyse

C- LA CAsA De LA MUjer DE GRANADA : UNE ÉMERGENCE DE LA SPHÈRE CIVILE AU COEUR DU CONTEXTE NICARAGUAYEN

IV- LA PLACE DE L’HABITAT : DES PROBLÈMES OBSERVES ET DES CHOIX A FAIRE ?

2- Quels risques d’échec des quartiers (dégradation du tissu social, abandon, revente) ?

2.1- Une prise en compte suffisante de l’origine sociale et économique ?

L’un des critères conditionnant la réussite d’un projet d’habitat est la prise en compte de la différence réelle (de niveau et de mode de vie) existant entre la 63 Les bailleurs de fonds espagnols (Paz Y Solidaridad, Gouvernement d’Aragon) interdisent par exemple l’installation de commerces dans les habitations qu’ils subventionnent dans le quartier de Pantanal.

64 « Le municipalismo devient peu à peu un phénomène de mode en Amérique centrale avec la prise de conscience de l'importance de la décentralisation et de l'appui aux municipalités. », In : Véronique de GEOFFROY, François GRUNEWALD, Eric LEVRON (2001), Capitalisation des actions de reconstruction en Amérique centrale trois ans après Mitch au Nicaragua et au Honduras huit mois après les séismes au Salvador, rapport de mission, Évaluations itératives avec mini-sémi- naires, Mission n°2 (septembre 2001), p.9.

65 Ingénieur à la Direction des Services Techniques Municipaux, lors d’un entretien effectué le 30.11.11 à la Mairie de Granada.

situation antérieure des familles et ce que propose au final le projet en termes d’amélioration des conditions de vie et d’intégration économique à la ville. Le concept très occidental de la « maison digne » universelle impose inéluctable- ment un nouveau mode de vie aux bénéficiaires (vie urbaine, habitat concentré, accès à de nouveaux services payants). La promotion systématique de ces ser- vices peut s’avérer problématique, car elle implique de regrouper la population dans des lotissements afin d’en rationaliser l’accès et d’en optimiser les coûts d’installation et d’utilisation. Mais elle confronte aussi les bénéficiaires à des

contraintes additionnelles plus ou moins acceptables.

Une mauvaise évaluation de la volonté et de la possibilité des familles de payer pour de nouveaux services, l’obligation de verser des rembourse- ments pour une maison que l’on a pas toujours voulu ainsi66, la promiscuité

du voisinage, l’impossibilité de pouvoir agrandir sa maison, l’absence de jardin pour un élevage et une agriculture domestique de taille adaptée, font partie de ces causes récurrentes et souvent occultées qui mettent en péril les projets d’habitat destinés à des populations aux revenus très bas.

2.2- Environnement construit et environnement social  : architecture et comportement

Nous avons vu précédemment qu’un préalable à toute démarche de projet

d’habitat ressort distinctement pour l’intervention en milieu urbain et semi-ur-

bain : il s’agit de l’intégration à la trame et aux réseaux de la ville. Le quartier de Pantanal, lui, est connu pour être un véritable « coupe-gorge67 » et les problèmes

qui y sont rencontrés rejoignent d’une certaine manière ceux des périphéries de villes des pays occidentaux en matière de mixité d’usages et de ségrégation spa- tiale.

2.2.1- Un confinement et un manque d’espaces de sociabilité préoccupants : quels risques à venir ?

On oublie trop vite que l’on sait aussi rapidement créer une habitation digne et saine qu’un habitat traumatisant et dangereux pour les populations, notamment par l’édification de lotissements, de mini-villes ex nihilo - sans services ni activités sociales.

Si les nouveaux quartiers (comme celui de Pantanal, avec son programme de plus de 250 maisons concentrées), sont crées sans espaces de sociabilisation publique (sans maisons des femmes, sans espaces de rencontre pour les jeunes, sans lieu de médiation des violences sociales, sans planning familial, sans terrains de sport, sans maisons communales, sans bibliothèques), ils risquent d’induire un senti- 66 Infra III. C- LA Casa de la Mujer : UNE ÉMERGENCE DE LA SPHÈRE CIVILE AU COEUR DU CONTEXTE, concernant l’absence de co-conception directement avec les bénéficiaires en amont des pro- jets.

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ment de confinement et de générer de nombreux déséquilibres.

Si les espaces de vie sociale sont oubliés, soit consciemment, soit par ignorance, soit par défaussement ou déresponsabilisation, les inéquités et les manques qui surviendront ne pourront, en l’absence d’autres exutoires, que conduire aux dy- namiques déjà bien connues de désocialisation : alcool, drogue, prostitution, vio- lences et tous les traumatismes qui en découlent. De plus, ces situations ouvrent fréquemment la voie aux églises extrémistes (seuls appui et lieu de rassemble- ment possibles) et aux mouvements les plus réactionnaires, lesquels abondent au Nicaragua et contre lesquels lutte également la CdM engagée à faire face à l’obscurantisme religieux pour redonner aux femmes l’usage intrinsèque et légal de leur corps.

2.2.2- L’architecture comme outils pour lutter contre la promis- cuité et la violence familiale  : des choix essentiels d’aménage- ment interne

Dans la société nicaraguayenne et particulièrement au sein des couches sociales les plus défavorisés, la violence familiale est un fait trop fréquent pour être igno- ré. La création d’espaces d’intimité et de séparations lors de la conception de la maison est l’un des outils de gestion de ces questions. Nous avons par ailleurs réalisé (à travers le projet Paz y vida) que fixer le nombre de pièce à l’avance

est une absurdité, car les besoins peuvent varier selon les cas (femmes seules, nombre d’enfants variant, etc.). De fait, il serait opportun à l’avenir de pouvoir mettre à disposition des modèles de maison avec des nombres de pièces dif- férents selon les besoins et les moyens spécifiques des familles (quitte à pré-

voir les extensions futures), mais aussi de permettre une évolution du mode de cloisonnement.

2.2.3- Des quartiers neufs, mais loin du bassin de l’emploi : quelle vie économique ?

L’implantation de l’habitat a toujours été liée à une logique de rapprochement des lieux permettant une activité économique (production, commerce, etc.). Les populations actuelles des quartiers informels en périphéries de Granada s’ins- crivent dans cette même logique de convergence, attirées par les activités de la ville, quitte à s’installer dans des lieux peu adaptés. Ces franges urbaines sont souvent occupées illégalement puis cédées par la ville. Au relogement dans des lotissements visant à remplacer ces abris précaires, s’associe bien souvent la question du déplacement antérieur de populations aux origines parfois très diverses. L’installation ou le réaménagement de quartiers en périphéries de villes induit des distances importantes entre les zones de travail et les populations. Les déplacements augmentent la durée du temps mobilisé en-dehors de l’activité économique et accroissent le coût de la vie.

La réalisation de lotissements neufs ne doit absolument pas devenir synonyme d’une perte d’accès aux activités économiques : services, commerce, culture, arti- sanat, etc. Les démarches en cours dans ces quartiers (Pantanal, Paz y vida, El for-

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tin) devraient être l’occasion de réaliser des projets partagés entre les autorités publiques et la sphère civile pour faciliter l’aménagement de la voirie, la création de transports urbains (partagés, collectifs, coopératifs, etc.) et favoriser le secteur économique. Il est donc important de prendre en compte les circuits de produc- tion et de commercialisation préexistants pour offrir à la population les condi- tions de leur intégration au bassin de l’emploi.

Des études supplémentaires similaires à ce que l’IEI (Instituto de Estudiós Interdisci- plinarios) a effectué pour la population de Malacatoya – (Agglomération de Gra- nada), pourraient être menées afin d’offrir de nouvelles sources d’informations permettant de développer des stratégies stimulant la création d’emplois.

2.3- Aménagement du territoire et considération des risques naturels ?

Comme nous l’avons vu précédemment, la ville de Granada est confrontée à deux risques majeurs liés à sa position sur une faille sismique et aux inondations qui touchent certaines de ses zones. Par exemple, le site de projet de Pantanal se situe dans une zone d’inondations et d’érosions fortes et récurrentes68. Si les au- torités publiques veulent protéger leur population et promouvoir son épanouis- sement, cela ne peut se faire qu’en s’attaquant à la cause de ces installations à risque, difficiles à viabiliser ou à aménager correctement. Toutefois, il ressort de notre enquête que l’engagement de la municipalité de Granada est important. Un entretien avec l’ingénieur Alonso Caño69, nous a permis de comprendre que la municipalité appui les projets sur différents aspects, notamment avec l’aide d’une équipe de topographes pour les relevés afin d’effectuer les implantations ; mais aussi en participant au processus de légalisation des terrains, à travers la mairie si le terrain est municipal ou la « procuraria » si le terrain appartient à l’état. En ce qui concerne l’eau potable, la Casa de la Mujer traite directement avec l’ENACAL (Empresa Nicaragüense de Acueductos y Alcantarillados) et la mairie. La municipalité apporte également son appui dans le domaine des infrastructures en réalisant des rues ainsi que les raccords aux réseaux. A chaque nouveau projet, des accords sont définis entre la Casa de la Mujer et la municipalité. Des améliora-

tions sont toutefois à apporter selon Alonso Caño, ingénieur responsable des services techniques de la municipalité :

• Être plus pointilleux au niveau de la programmation,

• Prendre mieux en compte ce type de projet, bien définir les temps,

• Manque de combustible : l’inclure dans les budgets des subventions deman- dées ?,

• Les programmes d’habitats ne sont pas inclus dans le plan du budget annuel, 68 Source : Diagnostico Municipal de Granada, plan de desarrollo 2001/2020; Arquitectas Concep-

ción Mendoza y Blanca Gutierrez – 2001

69 Ingénieur à la Direction des Services Techniques Municipaux, lors d’un entretien effectué le 30.11.11 à la Mairie de Granada.

• Il n’y a pas d’étude du sol avant les projets, pas assez de prévention des risques d’inondation 

Le risque considéré ici pour les familles bénéficiaires et pour l’ensemble des ac- teurs engagés (CDM, FAP, HC) réside dans l’engagement de dépenses « vaines » pour la création d’habitats qui pourraient bien être largement sous-utilisés ou fortement dégradés d’ici à quelques années (fondations adaptées  ? Drainages suffisants ? etc.). Ce point rejoint un problème énoncé par une responsable de la CDM, critiquant le fonctionnement de leur processus interne de projet. Elle expliquait qu’en raison d’un manque avéré de temps, de moyens et de certaines compétences, la CDM n’est pas en mesure d’effectuer les diagnostics et d’études d’impacts nécessaires en amont des projets.

V- ÉVALUATION DE LA DEMANDE DES PARTIES IMPLIQUÉES DANS