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Le choix d’une démarche de recherche participante

CHAPITRE 4 : LE CHOIX D’UNE DEMARCHE DE RECHERCHE PARICIPANTE

III. 4.3.) Le risque d’instrumentalisation

Ma présence n'a pas été neutre et il a fallu comprendre ce qui se jouait dans les différentes interactions avec les personnes. Elle n'a pas été neutre pour de nombreuses raisons. La première était le rattachement du projet à la direction générale et au chef de projet : il fallait d'une part établir une relation de confiance, pouvoir permettre aux gens de s'exprimer librement sans craindre que leurs propos se retournent contre eux, que nous puissions chercher à rapporter leur propos. Dans un contexte d'évolution des rôles du manager et de réorganisation des fonctionnements, les craintes étaient nombreuses.

Mais cela a impliqué que je sois également considérée d'une certaine façon comme porte-parole, une personne capable de transmettre leurs messages 'anonymisées' à la direction. Il fallait donc, d'autre part, comprendre quand on cherchait à me faire porter un message. J’ai donc veillé en permanence à comprendre dans quelle mesure il pouvait y avoir des éléments qui venaient à ma connaissance, qui étaient soit partiels, soit 'instrumentés'. Non pas que ces propos perdent de leur valeur, mais bien parce qu'ils étaient porteurs d'enjeux dont nous devions avoir conscience dans leur interprétation. Dans le cadre de la participation au projet, il a fallu se faire une place, pouvoir s'exprimer en étant crédible. Les réactions étaient parfois négatives, pointant d'une part une inexpérience (réelle) de la 'vraie vie' de l'entreprise, de l'autre la crainte que je me crois apte à donner des conseils en raison d'un bagage théorique universitaire tout frais. Enfin, il a fallu négocier la possibilité d'assister à des réunions clés, notamment à des comités de direction (dans un système très hiérarchisé où l'accès à ses réunions est réservé à quelques 'happy few'.) et d'avoir accès à toute une série de documents.

Une difficulté supplémentaire s'est posée : le projet a été l'occasion d'un certain nombre de tensions et de jeux de pouvoir. Le fait de se positionner comme un peu extérieure à l'entreprise a été un atout dans ce contexte. En n'ayant pas un contrat de travail et en faisant savoir que mon souhait n'était pas de rester dans l'entreprise au-delà du contrat de recherche, j'ai pu d'une certaine façon affirmer une certaine distance vis-à-vis des partis-pris des uns et des autres. La participation opérationnelle a aussi été un vrai avantage : compte-rendu de réunion, préparation de support, études, coordination dans le cadre des chantiers management et pilotage et puis surtout dans un second temps pilotage du dispositif d'écoute interne : coordination interne et externe, communication, exploitation des résultats. Bien que cela ait représenté une charge de travail considérable, cela m'a permis de montrer que j'étais immédiatement productive et cela a aussi facilité mon accès aux différents acteurs, aux réunions, aux échanges, aux documents. Le fait de n’être pas salariée, de ne pas avoir de relation de subordination m’a permis d’avoir un positionnement plus libre, j’ai eu accès à des informations confidentielles, à des réunions stratégiques, de ne pas être soumise aux mêmes contraintes et en même temps, il a fallu montrer que mon respect des règles du jeu, des normes communes

Une des autres difficultés a été l'instabilité du type de coopération, de coélaboration des outils, de validation des connaissances acquises avec les acteurs supports de notre démarche sur le terrain, parce que ces acteurs, ou leur fonction, ont changé durant le projet.

Nous avons donc rempli les trois conditions identifiées par Hatchuel (2008) pour éviter les principaux risques liés à une recherche partenariale en entreprise : vérifier que les commanditaires reconnaissaient l'existence d'un 'problème ouvert' (c'est-à-dire le caractère inopérant de la situation actuelle), une présence dans la durée qui permet de suivre les évolutions longues et l'appui sur un laboratoire, le CGS, particulièrement familier des pratiques de recherche intervention en entreprise.

Le fait d'avoir observé de l'intérieur cette organisation sur une période de cinq ans a permis de suivre des évolutions lentes, peu 'visibles', d'étudier des phénomènes sous forme de trajectoires.

Nous avons pu comprendre de façons plus fines les stratégies des différents acteurs, les mettre en perspectives. Parfois une information obtenue permet de remettre en perspective un témoignage obtenu plusieurs années auparavant.

L'évolution de la perception de mon travail et de ma place au sein de l'organisation a aussi été profitable. Les interactions avec les acteurs ont évolué et ont permis d'obtenir des informations variées. Le simple fait de changer de statut (de la stagiaire en fin d'études en 2007 à la doctorante présente depuis plusieurs années et intégrée au sein du cabinet du secrétariat général) a eu un impact dans le type d'information obtenue. Certaines personnes ont été plus confiantes, plus libres de s'exprimer avec quelqu'un qu'elles ne connaissaient pas et d'autres vont au contraire davantage s'exprimer avec quelqu'un en qui elles ont confiance.

Lors des échanges avec certains des managers de managers, un phénomène est revenu plusieurs fois : lors de nos premiers entretiens, ils étaient très factuels, avaient des opinions assez affirmées. Lors des derniers entretiens, ils laissaient davantage la place à des opinions nuancées, des réflexions en cours.

Le travail a alors consisté à distinguer la caractérisation de premier ordre effectuée par les différents membres de l’organisation en fonction des situations et de leurs interprétations et les concepts de deuxième ordre (les interprétations extraites par les chercheurs) (Van Maanen, 1988). Pour cela nous avons notamment travaillé sur les situations observables et la présentation qui en était faite par les participants. Nous avons aussi cherché à détecter les ‘mensonges’ plus ou moins délibérés, les éléments involontairement mis en côté et les vérités ‘toutes faites’.

À partir de cela nous allons mobiliser nos observations et les analyser en deux étapes : une première étape de narration des éléments observés ou exprimés par les participants (analyse de premier ordre). Puis nous nous efforcerons de mettre en perspective ces informations dans des raisonnements analytiques explicatifs, afin de proposer un ensemble de catégories conceptuelles et les liens qui les relient (analyse de deuxième ordre) (Van Maanen, 1988).

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