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'Qui' crée l'identité au travail ? Cette approche s'inspire de travaux d'auteurs qui mobilisent la notion d'identité au travail dans une perspective critique historique et politique. Il s'agit de la littérature sur le travail identitaire12 et la régulation identitaire qui connaît un certain essor depuis les années 2000. Ces

travaux se demandent comment les organisations essayent de "produire des individus appropriés". Alvesson, Bridgman, Willmot sont parmi les auteurs majeurs de ce courant. Dans leur ouvrage The

Oxford Handbook of Critical Management Studies publié en 2009, ils revendiquent une conception

de l'identité marquée de l'influence de Foucault, mais aussi de Barth, Bruner, Ricoeur, Elias, Butler, Lacan …

Leurs travaux présentent l’identité individuelle comme le produit de discours, idéologie et pratiques institutionnelles, à un moment donné. Pour Giddens (1991), l’identité peut être comprise "as a

reflexively ordered narrative , its construction being stimulated by social interaction and ordered by institutionalized patterns of being and knowing". Cette façon de conceptualiser l’identité facilite le focus sur l’opération des relations de pouvoir dans un contexte, aussi bien que les opportunités de

résistance au niveau micropolitique (Deetz, 1992, Alvesson et Willmott 2002).

Dans un premier temps l'identité peut donc être perçue comme une série d'attentes produites par des discours organisationnels.

Un certain nombre d'auteurs de ce courant ont ensuite mené des études empiriques qui démontrent que les managers ne restent pas passifs face aux discours. Ainsi les managers racontent activement l’histoire de leur vie et de leurs expériences au travail [Sims, 2003]. Watson et al. (2001) étudient la façon dont les managers intermédiaires essayent de sécuriser leur identité et Sveningsson et Alvesson (2003) comment les managers s’appuient sur les différents discours organisationnels comme des ressources pour créer du « sense of self ». Pour résumer, les organisations tentent de mettre en place des contrôles organisationnels sur le ‘self-positionning’ au travers de discours managériaux, mais cela est en partie contrebalancé par les individus avec des éléments d’histoire de vie d’influence et d’inspiration variées (Alvesson et Willmott, 2002).

12Auteurs majeurs courant de l’identity work (selon Watson 2013)

Alvesson et Willmott 2002 Kreiner and Hallensbe 2006 Sturdy et al. 2006

On soulignera rapidement que ces auteurs considèrent que l'organisation, en produisant des discours, a un rôle majeur dans la constitution des identités sociales au travail, mais qu'il existe d'autres sources culturelles, discursives et institutionnelles qui définissent ce que devraient être les individus.

On distingue classiquement cinq types d'identités sociales :  la catégorie sociale : genre, nationalité, ethnie ...  le rôle formel : métier, "rang", "engagement citoyen"  l'organisation dans laquelle on travaille

la personnalité (local-personnal) : (ce qui distingue des autres dans des situations ou des contextes spécifiques)

 les stéréotypes culturels

Cette façon de découper l'identité sociale nous permet de bien prendre en compte qu’il y a d’autres origines que l’origine organisationnelle dans la construction de l'identité sociale professionnelle. Cela nous permet également de comprendre pourquoi les managers peuvent percevoir des rôles offerts différents : les impulsions peuvent venir de l’extérieur comme de l’intérieur de l’organisation.

I.2)La construction de l'identité : un 'travail' permanent

Plus que l'identité, qui est donc un concept infiniment complexe à saisir, nous voulons étudier le processus de transformation, ce qui se passe lorsque les individus font évoluer leur identité professionnelle en réponse à des évolutions de leur environnement organisationnel . C'est pourquoi nous avons retenu une approche dynamique de l'identité.

I.2.1.) Une approche dynamique de l’identité

La construction de l'identité est donc la « lutte continue » autour de la création du sens de soi et de réponses temporaires aux questions « qui suis-je / qui sommes nous ? » et « qu’est ce que je représente / nous représentons (stand for) » (Svenningsson & Alvesson, 2003)

Afin de mieux comprendre les mécanismes à l'œuvre Watson établit une distinction analytique claire entre ‘self-identity’, interne et personnelle et ‘social-identity’, externe et discursive. La ‘social-identity’ permet d’établir un lien entre les discours sociaux et la ‘self-identity’. Les discours sociaux produisent un certain nombre de messages qui influent la façon dont les individus perçoivent ce qui est attendu d'eux (social-identity). Ensuite ils effectuent un travail identitaire (identity work) afin de faire évoluer leur identité personnelle (self-identity).

97 D'où notre intérêt pour les travaux d'auteurs étudiant le travail identitaire13 comme Svenningsson & Alvesson (2003) qui notent que malgré les très nombreuses études portant sur le concept d’identité en gestion, les processus et les situations de construction identitaires autour du travail et des organisations ont été très peu étudiés. Ils se penchent donc sur le travail identitaire « identity work », défini comme le fait que des personnes soient engagées dans un processus de formation, réparation, maintien, renforcement ou révision des constructions qui produisent un sens en terme de cohérence et de distinction.

Nous notons toutefois que ces auteurs ont développé ces outils pour les mobiliser dans un contexte dynamique, c'est-à-dire qu'ils considèrent que l'identité évolue en continu. Ils n'identifient pas de 'moment' spécifique où le travail identitaire serait particulièrement intense, comme une période de changement par exemple. Pullen (2006) est une exception étudiant la façon dont les managers s’appuient sur l’identité sociale comme un construit et une ressource pour rendre compte de leur situation. Il observe un phénomène récurrent, les managers restructurent et reconstruisent leur identité à la lumière des pressions et des changements organisationnels. Cela montre bien qu'il est pertinent de mobiliser leur conceptualisation dans un contexte spécifique de changement. La notion de travail identitaire, 'identity work,' a souvent été utilisée de façon informelle (Watson, 2008). Sveningsson et Alvesson (2003) proposent comme définition la conceptualisation formelle de la façon dont les êtres humains sont constamment engagés dans la formation, réparation, maintien, renforcement ou révision qui produisent du sens en termes de cohérence et de spécificité.

Watson explicite aussi une dimension externe du travail identitaire, soulignant l’importance des tiers dans la construction de l’identité. Il reprend la métaphore du miroir : nous nous voyons aussi au travers de ce que les autres nous renvoient de nous. Pour lui, cette intervention des autres dans le travail identitaire se manifeste de trois façons :

 ce que nous renvoient les autres quand nous sommes en leur compagnie (Goffman, 1958)  ce que pourraient nous renvoyer les « autres imaginaires » (les personnes qui vont ou

pourraient voir notre travail, lire un document que nous produisons, par exemple)

 dans le dialogue imaginaire que nous établissons avec les arguments des ‘autres être humains’ lors de nos processus de réflexion ou de décision. (Watson, 2001)

Watson souligne l’importance de cette dimension externe de la construction identitaire, car c’est elle qui permet d’approcher la dimension publiquement disponible de l’identité sociale, du ‘personnage’.

13Identity work : d’autres auteurs travaillent sur des notions proches :

Identity construction Identity management Identity achievement Identity manufacture Identity project

Watson (2009) estime que le mécanisme de construction identitaire ne doit pas être envisagé comme la simple déclinaison du discours managérial qui donnerait les identités managériales. Le mécanisme identitaire doit s’envisager en trois temps comme repris dans la Figure 12: il précise qu’il distingue ces trois temps, ‘discourses’, ‘social identities’ et ‘self identity’14 pour rendre possible l’analyse des

mécanismes, mais qu’en réalité ces mécanismes sont à l’œuvre simultanément.

Figure 12 : A ‘THREE STEP’ VIEW OF THE RELATIONSHIP BETWEEN MANAGERIAL AND OTHER DISCOURSES AND SELF-IDENTITIES.(T.J.WATSON,MANAGINIG IDENTITY,2009, P.128)

À multiplicity of