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LES APPROCHES PAR LA FONCTION : LES MANAGERS VUS COMME DES EXECUTEURS DE FONCTIONS UNIVERSELLES

manager : une fonction et des activités stables

CHAPITRE 1 : MANAGER, UNE FONCTION ET DES ACTIVITES STABLES

I. LES APPROCHES PAR LA FONCTION : LES MANAGERS VUS COMME DES EXECUTEURS DE FONCTIONS UNIVERSELLES

Suite à la Grande Dépression, crise économique majeure de la fin du XIXème siècle, les dirigeants ont éprouvé le besoin de surveiller, contrôler, encadrer voire concevoir le travail. Pour cela, ils ont cherché à disposer de doctrines d'action pour organiser le travail. Des théoriciens et des praticiens se sont alors efforcés d’élaborer des théories formelles de gestion autour de deux questions majeures :

 Comment établir des méthodes rationnelles permettant d'augmenter la productivité des ouvriers ? Ce sont des auteurs tels que Taylor, Gilbreth, Gantt, qui vont être à l'origine de ce que l'on appelle le management scientifique et qui cherche en grande partie à établir les règles  Comment organiser de façon optimale l'entreprise : ainsi Fayol, Weber font poser les fondements de la théorie administrative.

Ainsi Fayol, dans un discours de 1901 appelle les ingénieurs de son temps à participer à son effort pour "s'ingénier à découvrir et à appliquer les lois qui rendront aussi parfaites que possible

l’organisation et le fonctionnement des machines administratives."

L’étude de ces travaux permet aussi de comprendre comment ces auteurs ont travaillé sur une redéfinition de la notion de "chef". Ils ont cherché à développer des savoirs nouveaux pour être chef dans un nouveau contexte de production.

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I.1) Frederick W. Taylor, les 8 chefs au cœur du dispositif d'organisation scientifique

Frederick W. Taylor (1856-1915) est un ingénieur américain. Son objectif a été de trouver des moyens 'scientifiques' d'augmenter la production des ateliers industriels. Il a parcouru différents échelons hiérarchiques et connaît bien les fonctionnements des ateliers.

Taylor se pose la question du contrôle du travail ouvrier. Il considère que des méthodes rigoureuses permettraient de sortir des mauvaises relations entre la direction et les ouvriers qui seraient sinon caractérisées par un « état de guerre ». Il constate que d’un côté les membres de la direction ne savent pas vraiment ce qu’ils peuvent attendre de leurs salariés et donc ont tendance à reprocher aux ouvriers de travailler insuffisamment et de l’autre les ouvriers ont le sentiment de n’être pas payés à la juste valeur de leur travail. Taylor cherche donc à mettre en œuvre des méthodes qui permettent d’objectiver la valeur du travail et donc d’améliorer les relations entre les ouvriers et les salariés.

Il faut ajouter à cela que Taylor doute de la bonne volonté de l'ouvrier à produire le meilleur de ce qu'il pourrait faire et à améliorer sa manière de produire. C'est une des raisons majeures qui le pousse à sortir de ce qu'il appelle lui-même 'l'ancien type de management' pour passer à un 'nouveau type de management, le management scientifique' (souvent traduit par organisation scientifique). Selon lui, l'ancien type de management repose entièrement sur l'initiative du travailleur, or il estime que cette prise d'initiative par le travailleur est rare. Au contraire, avec le nouveau type de management, l'initiative du travailleur serait obtenue uniformément et dans une bien plus large mesure que dans l'ancien système.

De la même manière, il est préoccupé par les questions de la coordination du travail collectif qui se complexifie. « Autrefois le succès pouvait dépendre d’un homme ayant les qualités de chef. Le succès des entreprises dépendra plus dans l’avenir de l’action harmonieuse d’un groupe d’hommes moyens unissant leurs efforts que de l’action d’un seul homme. L’efficacité d’un groupe convenablement constitué est de loin la plus grande. »

C'est un des éléments récurrents dans ses écrits : dans le système ancien, un 'grand homme' pouvait diriger seul une entreprise vers le succès, mais cela n'est plus possible, en effet, les grands hommes sont rares, et on ne peut uniquement se reposer sur eux. Il est nécessaire d'organiser un système de management efficace.

L'étude des méthodes de direction le mène à ce constat : on ne peut pas compter uniquement sur des grands hommes pour organiser une grande entreprise.

« […] les différents services d’une entreprise se développent d’une façon non homogène. Chacun d’entre eux est dirigé par un ou deux hommes ; c’est grâce à leur énergie et à leurs qualités personnelles qu’ils se sont développés. En règle générale, ces chefs s’élèvent de postes plus ou

moins importants dans l’un ou l’autre des services de l’entreprise jusqu’à ce qu’ils deviennent chacun chef d’un service. Quand l’un d’entre eux montre une aptitude spéciale à son poste, il est, pour cette raison, nommé directeur général de l’entreprise.

Quand on examine l’organisation du travail dans le service d’où vient le directeur général, on constate fréquemment que, grâce à son action, cette organisation est arrivée au plus haut niveau possible, le succès de ce chef étant dû à une connaissance approfondie des rouages du service, dans leurs détails les plus infimes, connaissance qu’il a acquise par son expérience personnelle, et à un entraînement progressif de tous les membres de ce service, de telle manière qu’ils atteignent l’efficience maximum.

Mais les autres services que le directeur connaît peu par expérience personnelle présentent très souvent des exemples frappants d’inefficience. Ceci est dû au fait que la direction des entreprises n’est pas considérée comme un art comportant des lois aussi précises et pouvant être aussi nettement énoncées que, par exemple, les principes fondamentaux de la mécanique, qui demandent pour être connus une étude et des réflexions longues et poussées à fond. La direction des entreprises est encore uniquement considérée comme un problème purement humain, l’opinion ancienne étant que quand on a l’homme qualifié au poste de direction, on peut lui laisser en toute sécurité le soin de définir les méthodes de direction. "

L'élaboration de ces nouvelles méthodes de direction l'amène à se pencher sur le rôle du chef. Il estime qu'il devrait être suffisant de donner des instructions écrites décrivant le travail, mais les ouvriers ont besoin d’être guidés :

« Cependant la nature humaine est telle que la plupart des ouvriers, si on les laissait à eux- mêmes, ne prêteraient que peu d’attention aux instructions écrites. Il est alors nécessaire d’avoir des instructeurs (que nous avons appelés contremaîtres fonctionnels) pour s’assurer que les ouvriers comprennent et appliquent les instructions écrites. " (Taylor, 1916, p. 277)

Par ailleurs un des principes à l'origine de sa doctrine sur le management scientifique réside dans le partage des responsabilités entre ouvriers et la direction.

« Les patrons n’aident pas assez leurs ouvriers. Pour que le travail puisse être accompli en respectant des lois scientifiques, il est nécessaire qu’il existe une répartition de la responsabilité du travail entre la direction et les ouvriers plus équitable que celle que nous constatons dans les modes courants de direction. Les membres de la direction qui ont pour tâches de créer et de faire progresser cette science doivent aussi guider et aider les ouvriers à l’appliquer ; par conséquent il leur faut prendre en charge, eux et les autres membres de la direction, une plus grande part de responsabilité, en ce qui concerne l’exécution du travail, que dans les modes actuels de commandement. » (Taylor, 1916 b, p. 33) " le manager a la charge de recueillir le savoir traditionnellement détenu par les travailleurs, et de le classer, l'organiser, l'ordonner de façon à

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le réduire à des règles, des lois et des formules qui seront immensément utiles au travailleur dans l'exécution de son travail quotidien. » 1

Le manager étudie le savoir détenu par les ouvriers et le transforme en règle. C'est pourquoi les managers se voient confiés "de nouvelles charges, de nouveaux devoirs, de nouvelles

responsabilités jamais imaginées dans le passé : le management prend en charge de

nouveaux devoirs qui impliquent de nouvelles et lourdes charges. Ces nouveaux devoirs sont regroupés en quatre principes :

« Premièrement : les managers doivent développer une science pour chaque élément

du travail humain, qui remplace les anciennes méthodes approximatives.

Deuxièmement : ils doivent sélectionner scientifiquement puis former, instruire les

travailleurs, alors qu'auparavant ces derniers choisissaient leur travail et se formaient du mieux qu'ils pouvaient.

Troisièmement : il y a pratiquement une division égale du travail et des responsabilités entre le management et le travailleur. Le management reprend tout le

travail pour lequel il est plus compétent/ que le travailleur. Alors que dans le passé la majeure partie du travail et la plus grande part des responsabilités étaient prises par les travailleurs.

C'est cette combinaison d'initiative des travailleurs, couplée aux nouveaux types de missions réalisées par le management qui fait que le management scientifique est bien plus efficient que l'ancien.

Quatrièmement : une égale division des responsabilités entre le management et le

travailleur" Ce qui est entendu ici renvoie à la division du travail. Le travailleur est entièrement responsable de la qualité de son travail, et cela amène notamment à mettre en place le management de "initiative and incentive". Par ailleurs, ce sont les travailleurs qui réalisent l'ensemble du travail physique. Par contre, le manager dans son bureau des méthodes, conçoit les meilleures méthodes et est entièrement responsable de ce qu'il élabore.

Cet extrait illustre le transfert de la connaissance de l'ouvrier au manager qui est un élément central du management scientifique mis en place par Taylor. Mais il pointe aussi la charge du manager qui s'alourdit considérablement. En fait, Taylor affirme même que l'organisation

1 traduction personnelle (et très perfectible) du texte F. W. 1916 The Principle of Scientific

Management, Harper & Brothers. Les traductions françaises de Taylor sont anciennes et ont

souvent été critiquées sur le choix du vocabulaire qui fait parfois contresens (Mispelblom Meyer, 2006)

scientifique du travail n’amène pas à une augmentation du travail ouvrier, mais à une augmentation des responsabilités de ceux qui encadrent le travail. Ils vont avoir davantage de travail à effectuer.

Or, selon l'expérience de Taylor, l'ancien modèle de management, qu'il compare au modèle militaire, n'est pas efficace dans un environnement de production se caractérisant par des ateliers variés dans une organisation complexe.

" Dans un établissement de cette sorte, les devoirs des contremaîtres, chefs de bande, etc. sont si variés, et exigent une telle quantité d’informations spécifiques jointes à une telle variété de compétences naturelles, que seul un homme avec des qualités exceptionnelles d'une

part et qui aurait en plus des années de préparation, pourrait réussir d’une manière satisfaisante. "(§ 310)

Cela le conduit à dresser la liste des aptitudes nécessaires pour être un bon encadrant : il faudrait des hommes aux compétences exceptionnelles.

"La difficulté à obtenir d’un même homme la variété des connaissances requises et les qualités mentales et morales nécessaires pour accomplir toutes les tâches effectuées par ces hommes est clairement résumée dans la liste qui suit des neuf qualités qui font un homme complet :

- l’intelligence - l’éducation

- des connaissances spécifiques ou techniques, la dextérité manuelle ou la force physique - le tact

- l’énergie - la fermeté - l’honnêteté

- la capacité de jugement ou de bon sens - une bonne santé" (§ 328)

Le premier problème qui se pose à lui est qu'il est très rare de trouver toutes ces qualités réunies chez un même homme, et si c'est le cas il doit être placé au plus haut degré de l'entreprise.

Le second problème est que le travail managérial doit lui aussi répondre aux principes fondateurs du management scientifique : tâches clairement définies et délimitées, possibilité d'accomplir le travail dans un temps défini, récompense ou sanction selon que le travail a été effectué conformément aux prescriptions. Or il note que le travail managérial ne répond à aucun de ces principes.

35 Cela conduit Taylor à mettre en place un système de 'direction fonctionnelle' qui consiste à tellement diviser le travail de management que chaque homme, depuis l’assistant-superintendant jusqu’au plus bas échelon, doit avoir aussi peu de fonctions que possibles à réaliser. Il détaille alors les huit personnes qui réalise les fonctions d'encadrement simultanément (cf. encadré 1 : les huit chefs chez Taylor )