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La doctrine est divisée quant à l'étymologie du mot « chèque »185. En effet, si pour certains, le mot «chèque» est un emprunt à l’anglais check, pour d’autres, ce mot est rattaché terme français « échec ». Toujours est-il que le chèque tire son origine des vieilles pratiques des détenteurs de monnaie métallique qui la confiaient en dépôt aux orfèvres, ancêtres des banques186. Comme on l’a vu plus haut, l’orfèvre remettait en guise de récépissé du dépôt un billet au détenteur de la monnaie, généralement un commerçant. Pour régler ses factures, ce dernier au lieu de se rendre chez l’orfèvre pour retirer son avoir, remettait à son créancier un document écrit, justifiant qu’il est détenteur de monnaie chez un orfèvre ; document sur lequel, il ordonnait à son orfèvre d’effectuer un paiement d’un certain montant à son créancier, porteur du document. On parlait alors de lettre de change dont l’usage généralisé et étendu par la suite au public a donné naissance au chèque. C’est particulièrement « au cours du 17e siècle en Angleterre que s'est développé l'usage du chèque avec les caractéristiques actuelles »187 que nous connaissons.

Pour cerner l’origine du chèque tel que nous le connaissons, il faut remonter à l’origine des effets de commerce, notamment celle de la lettre de change. Pour ce faire, il faut retourner à la lex mercatoria en vigueur au 13e siècle188. Il s’agissait d’abord d’écrit constatant une dette c’est-à-dire, un engagement à payer, dont les caractéristiques juridiques ont évolué au fil des siècles, singulièrement en droit britannique en raison de la reconnaissance de cet écrit par les tribunaux de common law de la lex mercatoria à titre d’usage de commerce constitutif de droit189.

185 Michel CABRILLAC, « Chèque : Généralités, Règles de forme », JCl. Banque, Crédit, Bourse, Fasc. 310,p. 3, en ligne, <http://www.lexisnexis.com/ca/legal/results/tocBrowseNodeClick.do?tocCSI=268027&rand=0.2806282064067698&clickedNod e=TAABABD>.

186 James Milnes HOLDEN, The History of Negotiable Instruments in English Law, London, University of London, Athlone Press, 1955, p. 206 ; GEVA, The Law of Electronic Funds Transfers, supra, note 140, no 1.03 [2]; James Steven ROGERS, The Early History of the Law of Bills and Notes: A Study of the Origins of Anglo-American Commercial Law, Cambridge: Cambridge

University Press, 2004.

187 Michel VASSEUR et Xavier MARIN, « Le chèque », dans Banques et opérations de banque, Paris, Sirey, 1969, T. 2, n° 7 ; J. BOUTERON, Le chèque, théorie et pratique, Paris, Dalloz, 1924, p. 1 s. Le chèque a été introduit en France en 1865. Voir dans

ce sens, Auguste MOUSSU, « les nouveaux moyens de paiement », (1984) Banque 463.

188 CRAWFORD and FALCONBRIDGE, supra, note 56, p. 1171-3. 189 Woodward v. Rowe (1677), 2 Keble 105 et 132, 84 E.R. 67 et 84.

Toutefois, pour confirmer l’existence légale d’une des principales caractéristiques des lettres de change, soit leur négociabilité, il fallut une intervention législative190. Jusqu’à l’adoption du Bills of Exchange Act en 1882191, le droit britannique des effets de commerce demeura gouverné surtout par la jurisprudence et donc en pratique par l’acceptation par les tribunaux de la preuve des usages commerciaux. En gros, les décisions des tribunaux étaient trop tributaires de la preuve des usages et de précédents, pouvant, à l’occasion, manquer de cohérence. D’où la nécessité de codifier ces usages. En sus, de par sa nature juridique, la lettre de change met en effet en présence trois personnes le donneur d’ordre, son banquier et le bénéficiaire de l’ordre. Mais entre le bénéficiaire et le banquier, la lettre peut aussi être endossée et négociée par de nombreux intermédiaires, chacun d'eux voulant dans la mesure du possible être assuré que le document qu'il détient comporte bien une valeur correspondant à celle qu'il a lui-même donnée en contrepartie de l’effet. Cette nature tripartite de la lettre compliquait les relations juridiques au niveau des droits et responsabilités des parties en présence au paiement d’une lettre de change. Aussi, devint-il indispensable, dans ce domaine, de clarifier l’état du droit. Le Canada n’a guère tardé à suivre l’exemple du législateur anglais, en adoptant en 1890 la Loi sur les lettres de change. En effet,

In the late 19th century a renowned commercial lawyer, M. D. Chalmers, codified the law relating to bills of exchange and sales of goods. Those legislative initiatives were enacted by the British Parliament in 1882 and 1894 respectively192. In 1890, after minor changes to accommodate Canadian banking practice, the federal government became the fourteenth government to adopt the English Bills of Exchange Act193. The English Sale of Goods Act was similarly adopted by the governments of the Canadian common law provinces in the last years of the century194.

Par la suite, le Parlement canadien n’intégra pas dans la LLC les modifications législatives effectuées par le Parlement britannique. Aussi, le droit canadien et le droit britannique en matière d’effets de commerce diffèrent-ils donc à bien des égards, même si le législateur précise que « Les règles de la Common Law d'Angleterre, y compris en droit commercial, s'appliquent […] aux effets de commerce, [dont le chèque] dans la mesure de leur compatibilité avec les dispositions expresses de la loi sur les lettres de change » (art. 9 LLC). À noter que les règles applicables au chèque sont pour la plupart

190 Promissory Notes Act, (1704) 3 & 4 Anne, c. 9.

191 R.-U. 1882, c. 61. Il s'agirait du tout premier cas dans l'histoire parlementaire britannique où le législateur codifia un ensemble de règles de common law; L'auteur de la loi s'est inspiré abondamment d'un recueil dont il avait déjà rédigé deux éditions avant de prendre la plume du législateur, et aux fins de la confection duquel il avait consulté 2 500 décisions judiciaires et 17 lois particulières. Lire dans ce sens, CRAWFORD and FALCONBRIDGE, supra, note 56, p. 1177.

192 Bills of Exchange Act 1882, 45 & 46 Viet., c. 61; Sale of Goods Act 1893,56 & 57 Vict., c. 71.

193The BiIls of Exchange Act, 1890, S.C. 1890, c. 33. Conformément à l’article 91(18) et 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, cette nouvelle loi abrogeait implicitement l'essentiel des articles 2279 à 2354 du Code civil du Bas-Canada qui, depuis

1866, régissaient les lettres de change, les billets et les mandats à ordre au Québec. Cette loi de 1890 est devenue l’actuelle

Loi sur les lettres de change L.R.C. (1985) c. B-4. Sur l'état du droit au Québec durant cette période, lire CRAWFORD and

FALCONBRIDGE, supra, note 56, p. 1178-80.

80

d’inspiration common law195. D’où la spécificité de l’application de ces règles au Québec, une province canadienne de tradition civiliste, dans laquelle lesdites règles ne sont pas dictées uniquement par celles du code civil, celles de la common law s’appliquent également conformément à l’art. 9 LLC précité. Depuis son adoption, cette loi de 1980 a fait l’objet de plusieurs amendements196. La plupart de ces interventions législatives visaient des éléments purement techniques ou constituaient des modifications de concordance sur les questions de fond, telle l’extension de la définition du mot « chèque » qui permit d’y inclure les lettres de change tirées sur des institutions de dépôt autres que les banques et qui conduisit à la création des « lettres et billets de consommation » (a. 188-92 LLC)197.

Actuellement, au Canada, le chèque est principalement régi par la LLC ; les règles relatives à l’encaissement et au paiement sont fixées par le Règlement administratif no 3 de l’ACP198 ; et selon le cas, par quelques dispositions de la Loi sur les banques199 et du Règlement sur l’accès aux services

bancaires de base200.

En France, par contre, le chèque a fait son apparition avec la Loi du 14 juin 1865, dont l’adoption coïncida avec le développement des premiers grands établissements bancaires français. Ensuite il y eu la signature de la Convention internationale de Genève du 11 mars 1931 qui établit un régime unifié du droit du chèque pour les parties signataires. Mais cette convention ne fut pas ratifiée par de nombreux pays et ceux qui l’ont ratifiée l’ont fait avec certaines réserves. Ce qui explique pourquoi il n’existe pas à proprement dit un droit international du chèque complètement unifié. Toutefois, en France c’est sur la base de cette convention que la loi régissant le chèque a été élaborée. Actuellement, le chèque est régi par le CMF en ses articles L.131-1 à L.131-87.

Dans l’UEMOA, il est difficile de situer avec certitude l’origine du chèque. Toutefois, l’on peut affirmer, sans ambigüité, que la réglementation du chèque en tant qu’instrument de paiement date de 1994 avec l’adoption de la loi uniforme. Jusqu’à cette date, c’étaient les textes qui traitaient des effets de commerce et des paiements qui régissaient principalement le chèque. Il s’agit notamment du Code de commerce et du Code civil. Cette Loi uniforme de 1994 a été abrogée et remplacée en 2002 par le Règlement UEMOA qui régit aujourd’hui le chèque.

195 Le système bancaire canadien étant d’inspiration de common law, cela vient bonifier notre étude comparative entre les systèmes de paiement par compensation interbancaire de tradition civiliste (France – Uemoa) et les systèmes de common law qui traitent différemment à quelques nuances près le paiement du chèque via lesdits systèmes. À noter que techniquement parlant, la procédure de traitement du chèque – manuel ou automatisée – est la même dans l’ensemble des systèmes étudiés. Seules diffèrent (selon le degré de modernité du système en cause) les règles juridiques applicables à ce traitement. 196 Sur l’historique de cette loi, voir, CRAWFORD and FALCONBRIDGE, supra, note 56.

197 Sur les lettres et billets de consommation, voir CRAWFORD and FALCONBRIDGE, Ibid., p. 1178. 198 Règlement administratif no 3 de l’ACP, DORS/2003-346.

199 Loi sur les banques (ci-après abrégée, L.B.), L.C. 1991, c.46.

En résumé, malgré les nombreuses interventions législatives en matière de paiement par chèque, force est de constater l’absence de normalisation juridique internationale sur les caractéristiques et l’utilisation du chèque. Aussi, le chèque est-il soumis à des règles très diverses d'un pays à l'autre. Ce qui explique pourquoi, un chèque émis dans un pays est mal accepté à l'étranger. Qu’en est-il alors du droit applicable en cas de conflit de lois? Pour résoudre ce problème, certaines banques accordent le droit d'émettre des chèques avec entente de compensation dans une devise autre que leur devise nationale. Dans un tel cas, le chèque est réputé émis par la banque présente dans le pays visé par l'entente. Quoiqu’au demeurant les banques nationales ont tendance à refuser le recouvrement des chèques tirés sur une banque étrangère, sur le fondement des lois nationales relatives à la lutte antiterroriste et de blanchiment d'argent.