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b. Retranscription d’entretien I

Etu. : Etudiante Ens. Enseignant

Etu. : En quelques mots, pouvez-vous nous expliquer votre parcours professionnel ?

Ens. : Alors, c’est ma 7ème année d’enseignement à l’école de S., suite à la LME à l’Université de Genève. Je suis en division moyenne depuis le début et je n’ai quasiment eu que des 5P-6P, sauf une année où j’ai eu une 3P-4P.

Etu. : Donc, ça fait 7 ans que vous travaillez dans cette école. Pouvez-vous nous dire quelles sont vos conditions de travail ? De quel type d’établissement s’agit-il ?

Ens. : Alors, on a un milieu socio-économique moyen, avec de grandes disparités entre des familles à faible revenu et des familles à revenus assez élevés. Donc, c’est vrai qu’on a pas mal de différences à ce niveau-là. On a des cultures très différentes aussi. On a quand même beaucoup d’allophones dans l’école. On a une structure d’accueil. On est au centre ville.

On a une intégration des enfants de Montbrillant, des enfants malentendants. Et… voilà.

Etu. : Et votre équipe, comment la définiriez-vous ?

Ens. : Génial ! On est une équipe qui collabore, qui travaille ensemble. On a des idées qui se regroupent pas mal sur la manière de voir l’enseignement, de voir notre profession. On a quand même des fortes têtes. On dit ce qu’on pense, mais on s’écoute. Il y a du respect au sein de l’équipe.

Etu. : Quelles sont les limites de votre équipe ? Par exemple ?

Ens. : Alors, comme dans toute grande équipe, parce qu'on est quand même seize classes, plus Montbrillant, plus la structure d’accueil, il y a quand même certaines personnes qui sont peut-être moins intégrées au niveau de l’équipe, qui aident moins à la collaboration que d’autres. On collabore quand même énormément par degré ou par double degré. Quand il s’agit des apprentissages, des fois, on peut se retrouver avec quelqu'un de moins ouvert que nous. Donc, ça c’est peut-être une des limites. C’est rare, parce qu’il y a quand même peu de personnes, mais des fois on se retrouve à devoir travailler seul pour notre classe. Après, quand c’est plutôt des questions d’ordre général, d’école, d’enseignement au sein de l’école, là, tout le monde est assez ouvert.

Etu. : Selon vous, dans l’absolu, que devrait être le travail en équipe ? Qu’en attendez-vous ?

Ens. : C’est un partage. C’est pour évoluer, pour avancer, pour réfléchir sur sa pratique. Le jour où j’ai eu mon entretien d’embauche pour rentrer dans l’enseignement, j’avais mis dans ma lettre de motivation que le métier d’enseignant étant en perpétuelle évolution et que l’on était en formation constante. On évolue tout le temps. On n’est pas enseignant : « ça y est, c’est fait ! ». On est un tel enseignant une année, puis, suite à nos expériences, à nos enrichissements, grâce aux enfants, grâce aux collègues, aux formations et autres, on évolue dans notre métier.

Etu. : Dans l'absolu, une équipe fonctionnerait-elle mieux encore que ce que vous vivez actuellement ? Dans l'idéal, quelle forme prendrait-elle ?

Ens. : Je pense que nous sommes une équipe qui travaille déjà très bien. Trouver mieux ? je ne sais pas si c’est possible.

Etu. : D’accord. Et puis, selon vous, comment comprenez-vous l’expression "analyse de pratiques" ?

Ens. : Moi, je le perçois comme revenir sur sa pratique. Donc, quelque chose qu’on a prévu, qu’on a fait en classe, puis on réfléchit sur ce qu’il s’est passé, sur ce qu’on a fait, sur le retour qu’on a de la part des enfants. On peut le faire directement, sur le moment, en essayant de modifier la préparation, ou bien après coup. Qu’est-ce qui a marché, qu’est-ce qui n’a pas marché ? qu’est-ce que je peux faire la prochaine fois pour que ça fonctionne ? De quoi les élèves ont-ils besoin ? de quoi moi, enseignant, j’ai besoin ?

Etu. : Ok, et dans quel but ? Ens. : Dans le but de progresser.

Etu. : Progression personnelle, alors ? Ens. : Voilà, alors oui.

Etu. : Vous avez donc déjà été sensibilisé à l’analyse de pratiques dans votre parcours professionnel ?

Ens. : Oui, beaucoup quand même à l’Université. On nous demande beaucoup de faire des analyses a priori, a posteriori. Je pense que cette formation m’a servi à ça, à avoir vraiment un regard de réflexion sur sa pratique.

Etu. : Et qu’en est-il des formations continues ? Ou ici ?

Ens. : En formation continue, non. Je n’ai pas pris des formations continues de ce type-là. Après, en classe, oui. A l’école, on a des réunions pédagogiques, où on discute de certains thèmes comme les devoirs, les études surveillées, le français, la lecture… peu importe ! A ce moment-là, chacun amène un peu de son bagage. On en discute. On essaie de chercher des choses communes, puis d’améliorer un peu, voir ce qu’on peut prendre chez l’un et chez l’autre, et essayer de trouver quelque chose de cohérent au sein de l’école. Alors là, oui, on a tous ensemble une analyse de pratiques.

Etu. : Donc, vous en faites déjà dans votre école ? Ens. : Oui.

Etu. : Et comment se passent ces réunions ? Avez-vous un intervenant extérieur ? Ou cela se passe-t-il qu’entre vous ? Ens. : Alors, ça dépend des fois. C’est soit des réunions pédagogiques, donc des TTC qui durent une heure et demie, ou alors ça peut être des fois dans des formations d’école, donc sur une demi-journée ou une journée, avec ou sans intervenants extérieurs. On a tout eu.

Etu. : Pensez-vous que l’analyse de pratiques doit avoir sa place dans un établissement ? Ens. : Oui.

Etu. : Doit ?

Ens. : Oui. Après, c’est pour moi. C’est personnel. Si on ne revient pas sur sa pratique, c’est qu’on est sûr de soi, de ce qu’on fait et qu’on n’a pas besoin d’évoluer. Ca fait un peu prétentieux.

Etu. : Mais, ça devrait venir des enseignants, de l’institution ? Ca devrait être une attente personnelle ?

Ens. : A la base, ça doit venir de l’enseignant. Pour moi, c’est une des composantes de l’enseignant. Ca fait partie de son métier.

Etu. : Vous voulez dire par là que c’est une compétence du métier d’enseignant ? Ens. : Oui, exactement. C’est une compétence du métier d’enseignant.

Etu. : A titre personnel, vous parlez de l’analyse de pratiques comme quelque chose d’important pour vous, mais, dans l’idéal, quelles sont vos attentes par rapport à ça ?

Ens. : Que les journées soient plus longues pour qu’on puisse le faire. Non, c’est vrai. Ca prend quand même du temps. Avec l’expérience, au fur et à mesure, on le fait beaucoup plus vite. Je pense qu’on réalise plus vite ce qu’on a fait, ce qui a marché, ce qui n’a pas marché. Après, ce qu’on peut faire pour améliorer, je ne vois pas trop.

Etu. : Donc, jusqu’ici, vos expériences d’analyse de pratiques ont été plutôt satisfaisantes ?

Ens. : Oui. Et puis après, d’années en années, on évolue et on s’améliore quand même. On ne teste plus que des nouvelles choses. Mais, c’est vrai que ça peut être très différent suivant la classe qu’on a. Mais, il y a quand même des choses qui marchent, et donc on va faire attention à d’autres choses.

Etu. : Auriez-vous un exemple de quelque chose qui a fonctionné ?

Ens. : Alors là, par exemple, avec ma stagiaire, on reprend quelque chose que j’avais préparé sur la vie d’Anne Frank. J’ai préparé cette séquence il y a peut-être deux ou trois ans et ça m’a demandé énormément de temps. Ca veut dire que j’ai eu un public un peu test. Ils ont testé les trucs. Ca a plus ou moins bien marché. On a eu beaucoup de discussions. On regarde un film. J’interromps le film à plusieurs moments et on discute. C’est tout en lien avec la vie d’Anne Frank, la deuxième guerre mondiale, mais actuellement il y a aussi un lien avec les gangs aux Etats-Unis et autres. Et puis, suite à ça, j’ai vu les discussions qui avaient marché, les thèmes qui les intéressent. Et ensuite, je voulais m’arrêter là, mais, en voyant leur intérêt, je me suis dit que je ne pouvais pas m’arrêter là. Alors, il faut que je continue. Ils me posent des questions. Moi, il faut que je puisse répondre à leurs questions. Alors, il a fallu faire des recherches. Ne serait-ce que de culture générale, pour pouvoir répondre à leurs questions. Et puis réfléchir comment j’allais pouvoir utiliser tout ça. C’est quand même des enfants. C’est un sujet délicat : on parle de Juifs, de Blacks, des Asiatiques… donc il faut pouvoir assumer de parler de ça en classe. Donc, je l’ai fait une première fois. Ensuite, j’ai vraiment pu poser sur papier les séquences. Ca dure 6-7 séquences de deux périodes. Et là, par exemple, je l’ai proposé à ma stagiaire, et ça fonctionne tout de suite.

Etu. : Et auriez-vous un exemple au niveau de l’équipe ? Quelque chose qui a marché ? Quelque chose qui vous a vraiment aidé par la suite ?

Ens. : Alors, au niveau de l’équipe… les devoirs, les études surveillées, on en a beaucoup parlé ces derniers temps. Rien que dans la structure des devoirs. Exposer ce que chacun faisait, sous quelle forme, etc. Et ensuite trouver quelque chose de cohérent dans l’équipe. Du coup, on se retrouve avec quelque chose de plus homogène au sein de l’école et je pense que, pour l’enfant et pour ses parents, c’est quand même sympa de suivre une certaine progression dans l’école.

Etu. : Donc, c’était surtout en raison d’un souci de cohérence ? Ens. : Oui.

Etu. : D’accord. Et pour vous, dans quel contexte l’analyse de pratiques doit-elle ou peut-elle prendre place ? Ens. : Comment ça ?

Etu. : Est-ce que l’analyse de pratiques doit forcément être un travail d’équipe ? Doit-elle être amenée par l’extérieur ? Cela doit-il forcément être fait ensemble ?

Ens. : Moi, je pense que ça se fait tout le temps et sur tout. Pas seulement sur le métier d’enseignant, mais aussi personnellement. Peut-être que je réfléchis trop, mais je suis tout le temps en train de réfléchir si ce que je suis en train de faire, si ce que je dis, c’est bien ou si j’aurais pu le faire autrement. Dans notre métier, on réfléchit tout le temps : seul, pendant, après, avant. En équipe, tout seul. Faut pas que ce soit une obsession, mais on a quand même souvent des échanges entre collègues. Ca peut être informel, entre deux portes : « Il s’est passé ça dans ma classe. J’ai l’impression que je n’aurais pas dû dire ça. Qu’est-ce que tu en penses ? ». Ce n’est peut-être que 5 minutes d’échange, mais c’est important.

Etu. : Et quel est le rôle de la directrice, par exemple, dans cette analyse de pratiques ?

Ens. : Alors, moi, je vais souvent lui poser des questions. Souvent, je fais appel à elle, surtout qu’elle a une grande expérience du métier d’enseignant, ce que je trouve génial. Elle a été à notre place. Et elle connaît l’établissement. Elle connaît tout d’ici. Donc, c’est vrai que c’est un appui important. C’est vraiment une personne de référence. Mais, c’est vrai aussi qu’on ne va pas toujours aller spontanément vers elle. Il y aussi les collègues ou autre. Mais, c’est vrai qu’elle est là et qu’elle aide énormément.

Etu. : Donc, c’est plutôt ascendant, pas descendant ? Ens. : Oui.

Etu. : D’accord. Et vous voyez cela comme ça. Ca ne devrait pas être différent ? Ens. : Oui.

Etu. : Selon vous, l’analyse de pratiques doit-elle ou peut-elle avoir sa place dans le travail en équipe ? De quelle manière ? Dans quelle mesure ?

Ens. : Oui, elle doit avoir sa place. Un peu comme on le fait. Il n’y pas besoin de faire plus. Comme on collabore entre degrés, on se voit chaque semaine et on dit déjà ce qui a fonctionné, ce qui n’a pas fonctionné. En équipe, par rapport à ces TTC pédagogiques, c’est très intéressant et c’est important au sein de sa pratique. Mais on en a, donc je pense que c’est bien.

Etu. : Mais dans une autre école, par exemple ? Dans votre école, cela fonctionne bien, mais ce serait envisageable d’imposer cette analyse de pratiques à une équipe qui ne fonctionnerait pas aussi bien que la vôtre ?

Ens. : Mes attentes seraient que cela se fasse, que ce soit obligatoire. Je trouve ça un peu dur, mais en même temps, si ce n’est pas fait, je pense que c’est un manque de travail, parce que ça fait partie de notre travail.

Etu. : Selon vous, l’analyse de pratiques a des conséquences sur le travail en équipe ? Ens. : Ah ben oui ! Et des bons même !

Etu. : Avez-vous des exemples ? De quels types ? Quels bons effets ? Ens. : Il ne peut y avoir que de bons échanges, vu qu’il y a réflexion…

Etu. : D’accord, mais votre sentiment est que l’analyse de pratiques vous a amené à de meilleurs échanges ?

Ens. : Alors, on avait déjà des échanges. On échange tout le temps, et c’est en échangeant qu’on s’améliore dans sa pratique.

Donc, l’analyse de pratiques, elle découle de l’échange quand on est en équipe.

Etu. : Est-ce que cela a un effet sur tout le monde ? Sur le climat général ? Sur la manière de travailler ensemble ? Ens. : Oui, moi je pense que oui. On est toujours en train de se remercier, donc je pense que c’est bien.

Etu. : Donc, c’est plutôt bénéfique ? Ens. : Ben oui, je pense que oui.

Etu. : Alors, voici trois citations que nous avons choisies dans la théorie. Pourriez-vous les lire et nous dire un peu ce que vous en pensez ?

Ens. : [Lecture de la première citation] Alors, la première… pour moi oui. Car tout est bon à prendre des autres. On apprend des autres, etc., donc oui. Maintenant, je ne veux pas dire que, si on prépare des choses seul et qu’il n’y pas d’organisation collective, les élèves sont défavorisés. Mais c’est un plus. Donc, je suis d’accord avec cette phrase.

[Lecture de la deuxième citation] Bon, ben elle dit un peu la même chose…

Etu. : Ce qu’elle veut dire ici c’est que si chacun a une réflexivité propre, ça aide à une réflexivité collective.

Ens. : Ben oui, bien sûr. Pour moi, c’est évident. En même temps, si on arrive à une réflexivité collective, c’est qu’on en a une personnelle.

Etu. : Ok, mais est-ce que c’est bénéfique pour l’équipe ?

Ens. : Ben oui, c’est positif, ça aide. En même temps, sans analyse collective ou autre, il n’y a pas tellement de travail en équipe. Je ne vois pas trop comment sans ça on peut bien travailler en équipe.

Etu. : Ok. Donc sinon ce ne serait pas du travail en équipe ?

Ens. : Non, si on travaille en équipe, on réfléchit ensemble, sinon ce n’est pas du travail en équipe. [Lecture de la troisième citation] Ben oui.

Etu. : Et l’inverse ?

Ens. : Alors, l’inverse, si t’as pas d’analyse de pratiques, tu ne peux pas développer le travail coopératif… Alors je pense que ça s’apprend. On apprend à analyser sa pratique. On a fait ça à l’Université. Mais pour moi, oui, c’est une ressource précieuse pour développer la coopération professionnelle. Mais on peut, je pense, quand même collaborer sans une grande

expérience de l’analyse de pratiques, mais, au bout d’un moment, l’un va avec l’autre.

Etu. : Donc, ça s’enclencherait un peu automatiquement. C’est ça l’idée ?

Ens. : Oui. Parce que je ne vois pas comment on peut faire des démarches de projet sans avoir analysé sa pratique. On part de rien sinon.

Etu. : Vous nous avez parlé de votre perception de l’analyse de pratiques et du travail en équipe. D’où viennent ces représentations ?

Ens. : Ca vient de l’Université, ça vient de ma personnalité. Au départ, on est quand même une personne et je réfléchis beaucoup sur ma pratique. Avant l’Uni, j’étais monitrice de danse. Je le suis toujours. Je fais partie d’une association et on fait tout un travail en équipe ensemble. C’était déjà avant, c’est encore maintenant. Donc, on apprend de sa vie privée aussi, hors enseignant, hors universitaire.

Etu. : Vous avez toujours pensé comme ça ?

Ens. : Ben, en fait, peut-être qu’au début on ne se rend pas forcément compte qu’on le fait, et après c’est vrai, peut-être à l’Université, on se dit : « Mais, pourquoi ils nous font écrire tous ces dossiers ? ». On réfléchit, on réfléchit, et finalement on le fait, on le met sur papier. Mais, c’est quelque chose que j’avais déjà naturellement et qui s’est développé durant cette formation universitaire.