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b. La notion de représentations internes

Lors de cette recherche exploratoire, nous aurions pu nous intéresser aux comportements des acteurs en situation en tant que réalité objectivable. Cependant, nous aurions eu de la difficulté à expliquer certaines attitudes sans prendre en compte l’existence des représentations internes. En effet, une représentation correspond à la réalité pour un sujet.

A ses yeux, elle n’est pas relative : « C’est pour lui une vision positive qui explique et attribue une valeur à la réalité représentée, et ce d’autant plus qu’elle est partagée par d’autres » (Arenilla, Rolland, Roussel & Gossot, 2007, p.289). « Le sujet qui perçoit, qui pense, qui agit, élabore des représentations mentales qui constituent autant de médiateurs de son interaction avec le monde » (Gallina, 2006, p.49). Comme nous l’expliquent ces auteurs, la construction d’une représentation interne est propre à chacun. Ces représentations sont entièrement incorporées aux points de vue que les sujets ont du monde, à leur manière d’être au monde et aux relations qu’ils ont avec les autres sujets qui composent leur univers. Lorsqu’un sujet est interrogé, comme dans le cadre de cette recherche au moyen d’entretiens, il va faire appel à ses représentations du monde dans lequel il vit. Ce qu’il livre alors dans ses réponses est le fruit de sa réalité propre, réinterprétée selon ses expériences vécues. Ainsi, nous avons décidé de nous intéresser aux représentations internes des sujets afin d’approcher au plus près ce que vivent, ressentent et interprètent les personnes que nous allons interviewer. Il ne s’agit donc pas de les comparer à des comportements objectivables, puisque les représentations internes sont de l’ordre du subjectif. En effet, elles sont uniques, personnelles et particulières et ne représentent la réalité que de la personne à qui elles appartiennent. Il nous faut donc tenter de définir le plus clairement possible ce que sont ces représentations internes.

Selon Arenilla, Rolland, Roussel et Gossot (2007), une représentation, c’est :

L’idée qu’un individu se fait d’une réalité complexe, à partir d’éléments relevant de son expérience, de la transaction sociale, de ses propres souvenirs ou fantasmes.

Individuelle comme contenu de pensée, lorsqu’elle émerge à la claire conscience, une même représentation est la plupart du temps partagée par un grand nombre d’individus, appartenant aux mêmes époques, aux mêmes catégories sociales, aux mêmes classes d’âge. On peut alors parler de représentations collectives » (p.289).

La représentation mentale est donc foncièrement subjective. Même si elle possède une dimension culturelle, elle est « une construction intellectuelle momentanée qui permet de donner du sens à une situation, en utilisant les connaissances stockées en mémoire et/ou les données issues de l’environnement » (Raynal & Rieunier, 2009, p.321). Bien que les représentations puissent être très résistantes aux changements, elles sont soumises à de constantes évolutions au gré des expériences que vit le sujet, de l'éducation qu'il reçoit et du contexte culturel et historique dans lequel il vit (Arenilla, Rolland, Roussel & Gossot, 2007).

Les représentations ont pour fonction la conservation des caractéristiques des objets et la formulation de leurs caractéristiques spécifiques. Elles permettent le guidage, l’orientation et la régulation des conduites des individus, la systématisation des informations et le partage d’informations porteuses de sens au travers de la symbolisation (Gallina, 2006). Bien que la construction de ces représentations soit personnelle puisque chacun élabore des représentations des objets qui lui sont utiles ou importants et sélectionne ceux-ci en fonction de ses besoins ou de ses envies, elle se fait aussi au sein d’une collectivité, d’une société puisque les objets que sélectionne l’individu circulent à l’intérieur de cette société. Le rapport que l’individu entretient avec les autres membres de cette collectivité l’incite à ajuster et réajuster cette construction et ce processus débouche alors sur des représentations sociales et non plus individuelles en ce sens qu’elles sont partagées par une certaine communauté (Bonardi & Rousseau, 1999). « En tant que produit collectif, les représentations [sociales]

permettent de définir et de distinguer le groupe qui les produit d’un autre groupe. Elles lui donnent une identité, donc lui permettent (ainsi qu’aux individus qui en sont membres) de justifier après coup leurs comportements » (p.25).

Comme nous pouvons le constater, les représentations sont des images de la réalité complètement personnelles, souples et évolutives. Elles sont, d'autre part, fortement dépendantes du contexte dans lequel elles se construisent, puisque chaque sujet vit au sein

d'une communauté avec laquelle il est en interaction. Cette architecture complexe de la pensée peut nous être accessible par le langage. C'est la raison pour laquelle nous avons opté pour des entretiens de recherche. Ces entretiens nous paraissent donc être la méthode la plus adéquate pour avoir accès aux représentations de nos interlocuteurs, puisque celles-ci servent à la conservation et à la formulation des caractéristiques spécifiques des objets que les sujets rencontrent et vivent.

Il faut néanmoins relever qu’au sein de notre démarche de recherche de type compréhensif, nous insérons un questionnaire "pré-entretien" quantitatif. Ce choix sera explicité plus loin, mais il nous a semblé intéressant de combiner des données quantitatives (les questionnaires "pré-entretien") avec des données qualitatives (les entretiens individuels) afin de faire ressortir au mieux les représentations des personnes consultées.

V) c. Les questionnaires "pré – entretien"

Avant les entretiens, nous avons décidé d’envoyer à chaque personne un questionnaire

"pré – entretien" (cf. annexes, p.208). Ce questionnaire a permis aux enseignants et directeurs de se préparer à l’entretien et de savoir sur quoi nous allions les interroger ultérieurement. Le choix d'insérer un questionnaire à caractère quantitatif ne repose pas ici sur une démarche explicative, mais reste complètement inscrit dans notre démarche compréhensive. En effet, comme l’écrit Crahay (2006), nous pensons que « si l’on considère que la réalité humaine est polymorphe, les méthodes d’analyses de cette réalité doivent nécessairement -pensons-nous- être plurielles » (p.52). Nous ne désirons pas opposer deux méthodes de recherche, quantitative et qualitative, mais nous inscrire dans un continuum méthodologique (Crahay, 2006). Bien que nous pensions que « la quantification du réel psychologique et éducationnel doit être un aboutissement autant qu’un point de départ de la réflexion » (Crahay, 2006, p.48), nous pensons utiliser cette méthode quantitative dans notre enquête comme un moyen de faire appel aux représentations de nos participants dans un cadre autre que celui de l’interview et de son face-à-face particulier. En effet, il ne s'agissait pas de dévoiler notre questionnaire d'entretien avant la rencontre, mais d'inciter nos interlocuteurs à faire appel à leurs représentations sur les notions qui nous intéressent en amont de l'entretien afin de les mobiliser plus rapidement lors de celui-ci. Par ailleurs, ces questionnaires ont l'avantage de pouvoir être remplis en notre absence. Le rapport entre le chercheur et la personne

interviewée peut avoir des effets sur les réponses de cette dernière ainsi que sur les relances de l'intervieweur. Nous voulions ainsi avoir des réponses à nos questions hors de ces phénomènes humains d'influences réciproques. Enfin, ces questionnaires "pré-entretien"

permettent de discerner ce que ces personnes pensent du sujet au niveau des notions théoriques. En effet, nous avons choisi des propositions courtes, en lien direct avec notre cadre théorique (cf. annexes, p.216). Ces propositions sont soit des citations des auteurs qui nous ont permis de construire notre cadre théorique, soit issues directement des notions que nous avons développées dans celui-ci. Elles sont réparties en quantité égale en fonction des notions qui nous semblaient importantes d'investiguer, soit:

Tableau 3 : Questionnaire "pré-entretien"

Selon vous, réfléchir sur sa pratique, c'est…..

 Coopération

 Identité personnelle

 Valeurs

 Identité professionnelle

 Institution

A votre avis, l’analyse de pratiques, c’est:

 Identité professionnelle

 Institution

 Compétences professionnelles

 Coopération

Selon vous, travailler en équipe, c'est:

 Partage des ressources

 Partage des idées

 Partage des pratiques

 Partage des élèves

Nous avons opté pour des questionnaires d’administration directe (Javeau, 1978), car nous pensons que les participants ont ainsi l’occasion de réfléchir à leurs réponses sans sollicitation de notre part (cf. annexes, p.208). En effet, nous les avons envoyés par courrier électronique au minimum deux semaines avant les entretiens et les avons recueillis au début de nos entrevues. Si les participants nous ont bien fait des commentaires sur ces questionnaires, nous ne sommes pas entrées en matière afin de garder leurs observations pour l’interview. Nous pouvons cependant relever que de nombreuses personnes nous ont fait part

de leurs difficultés à répondre à certains items qui étaient, selon eux, trop théoriques ou trop abstraits.

En ce qui concerne la forme des interrogations, nous avons opté pour des questions fermées (Javeau, 1978). Afin de permettre aux participants de nuancer leur position personnelle, nous avons décidé de mettre à leur disposition une échelle graduée (Javeau, 1978) de 0 à 12 pour répondre aux items. Ils ont pu choisir de mettre une croix entre 0 et 12 (sur les lignes), le 0 étant « pas du tout d’accord » et le 12 « tout à fait d’accord ». A chaque item correspond une possibilité de ne pas répondre en inscrivant son choix dans une case « ne sais pas ». Nous avons posé des questions sur la réflexivité, sur l’analyse des pratiques et sur le travail en équipe (cf. annexes, p.208). Les questions étaient posées de manière à ce que chaque question soit en accord avec notre cadre théorique. De plus, nous avons posé plusieurs questions sur un même concept. Par exemple, pour le travail en équipe, nous avons utilisé les « niveaux d’interdépendance » de Perrenoud (1999, p.78) et repris sa classification : le partage des élèves, le partage des ressources, le partage des pratiques et le partage des idées. Pour chacun de ces concepts, nous avons posé deux questions. Cela nous a permis, en analysant les questionnaires, de procéder à des correspondances dans les représentations des participants. Ainsi, nous avons tenté de cerner au mieux dans quel type de coopération ils se situent. Nous avons ainsi défini préalablement des catégories au sein de chaque concept que nous voulions explorer (cf. annexes, p.216), ceci afin de préciser dans quelles perspectives nous considérons les réponses des personnes questionnées.

Concernant le codage, nous avons retenu le chiffrement (Javeau, 1978). Ainsi, nous avons opté pour un nombre de points allant de 1 à 4 (cf. annexes, p.214). Nous avons considéré que les réponses dans l’échelle graduée entre 0 et 6 étaient en désaccord avec la proposition et celles entre 7 et 12 en accord. Pour affiner le codage, nous avons découpé en quatre tranches les opinions et fait correspondre le nombre de points à ces tranches.

Tableau 4 : Correspondance des échelles de notre questionnaire

Echelle graduée Avis Codage

0, 1, 2, 3 pas du tout d’accord 1

4, 5, 6 plutôt pas d’accord 2

7, 8, 9 plutôt d’accord 3

10, 11, 12 tout à fait d’accord 4

Dans un troisième temps, nous avons calculé le pourcentage d’avis en accord, en désaccord ou sans opinion selon les propositions (cf. annexes, p.218). Cette façon de procéder nous a permis de dépouiller très facilement les questionnaires et d’en faire ressortir certaines tendances, qui nous ont permis d’affiner notre analyse des interviews. Nous sommes cependant tout à fait conscientes que cette manière de réduire les opinions à une cotation puis à un pourcentage est très restrictive en ce qu’elle ne dessine qu’une tendance et n’offre pas des résultats à prendre tels quels. Cependant, nous rappelons que ces questionnaires "pré-entretien" ne sont en quelque sorte qu'une première approche de nos questions de recherche. Ils sont complétés par des entretiens de recherche personnels, en face-à-face, et traités de manière qualitative, ce qui permet d'approfondir toutes les questions que nous avons abordées dans ces questionnaires "pré-entretien". Cette complémentarité des méthodes d'entretien nous paraît être une force dans la mesure où cela permet d'entrer de manière diversifiée dans la complexité des représentations internes des personnes interrogées.