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Retour de la lecture anti-lyrique

1.2 La ligne Pasolini

1.2.3 Retour de la lecture anti-lyrique

La sortie en 1986 de CTAFPP rouvre le débat sur la nature de la poésie volponienne. Si la « ligne Bo » tire profit de l’intervention directe de son initiateur, la ligne « “anti-lyrique“ » ne connaît qu’un seul adepte parmi les « critiques-témoins » : Giuliano Gramigna, dont

74 Cf. MARTIAL, Epigrammes, t. II - Ie partie, op. cit., X 4, p. 76.

75 Nous citons à partir de FERRETTI G.C., Paolo Volponi, in Il castoro, n. 64, Florence, La Nuova Italia, février 1972, p. 8 : « ho cominciato a scrivere poesie secondo modi stilistici post-ermetici che erano per me il massimo della novità e della libertà, e che mi consentivano di dire subito quello che volevo, che mi davano cioè un rapporto immediato con la poesia. »

76 Cf. COMPAGNON A., La seconde main ou le travail de la citation, Paris, Seuil, 1979, p. 40, et cf. p. 55: « L’acte de citation est une énonciation singulière : une énonciation de répétition ou la répétition d’une énonciation (une énonciation répétante), une ré-énonciation ou une dénonciation» (c’est nous qui soulignons).

77 VOLPONI P., Scrivo a te…, op. cit., p. 56 : « un discorso 1954 ». À propos de cette définition, Fioretti évoque en bas de page un passage de l’interview que Volponi concéda à Ferdinando Camon en 1973 : « Pasolini m’a donné une conscience plus précise de mes outils littéraires, de mes possibilités, des problèmes réels que j’avais en moi et devant moi, ce qui m’a aidé à sortir de toutes les suggestions post-hermétiques, voire hermétiques, des influences contradictoires de mes lectures désordonnées que j’avais faites à Urbino, tout seul, dans un rapport plutôt angoissé avec ma propre vie et avec la littérature » (« Pasolini mi ha dato una coscienza precisa dei miei mezzi letterari, delle mie possibilità, dei problemi reali che avevo dentro e davanti, aiutandomi a uscire da tutte le suggestioni postermetiche o addirittura ermetiche, dalle influenze contraddittorie delle letture disordinate che avevo affrontato a Urbino, da solo, in un rapporto piuttosto angoscioso con la mia stessa vita e anche con la letteratura »).

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l’analyse fait l’objet d’une « mention spéciale78 » de la part du poète. Dans son article pour

la revue Alfabeta, dont Volponi était l’un des rédacteurs, Gramigna évoque le « fine frenzy » shakespearien, c’est-à-dire l’heureuse frénésie de l’œil des vrais poètes balayant la totalité comprise entre ciel et terre. En d’autres termes, la poésie de Con testo a fronte donne forme au « Dasein, c’est-à-dire [à] sa manière d’être un homme ayant des liens avec les autres hommes ». Cette fonction relationnelle, et donc sociale, de la poésie se manifesterait aussi par un autre aspect. Selon Gramigna, « l’insistance paroxysmique » de la rime volponienne, qui développe un procédé déjà à l’œuvre dans certains poèmes de FM, crée un « système phonique » « extrême et original ». Ce qui mène le critique à affirmer que « la poésie de Con

testo a fronte doit être prononcée […] comme une sorte de gestualité mandibulaire. J’entends

par là qu’il s’y manifeste quelque chose relevant […] d’une gymnastique orale ». En renouant avec l’oralité qui était le propre de la poésie des origines jusqu’au Moyen Âge, Volponi renouerait aussi avec la nature sociale de cette poésie. Ce caractère oral et politique de la poésie de CTAFPP, ainsi que l’idée que ce recueil serait une véritable machine complexe, sont les deux pierres que Gramigna est conscient d’apporter à la lecture de Pasolini, dont il cite expressément le nom et les idées majeures (« valeur de la parataxe et de la syntaxe, “regret moral“ »). Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas souscrire entièrement au choix de Zinato, qui place Gramigna parmi « [l]es critiques qui soulignent

la nature essentiellement contradictoire et paradoxale du lyrisme79 » de Volponi.

De la même manière, nous ne souscrirons pas à l’idée que l’introduction de Filippo Bettini à NSC, le dernier recueil de Volponi, serait le manifeste de l’approche anti-lyrique. En effet, sa lecture allégoriste est moins anti-lyrique qu’on le croit. Elle propose, certes, une lecture politique de la poésie volponienne, et notamment des deux derniers recueils, elle se pose,

78 « Una poesia politica e materiale. Colloquio tra Paolo Volponi e Filippo Bettini su Con testo a fronte » [1986], in AA.VV.,

Paolo Volponi e la scrittura materialistica, Rome, Lithos, 1995, p. 80 : « Ma, se mi è permessa una speciale menzione, la farei

per il pezzo di Gramigna su Alfabeta ».

79 GRAMIGNA G., « Con testo a fronte », in Alfabeta, n. 90, novembre 1986. Dans sa monographie de 2001 Zinato a reproduit de très longs extraits de cet article : voir ZINATO E., Volponi, op. cit., p. 234-237. Nous citons de cette édition : « Volponi farnetica, nel senso di fine frenzy che si trova in Shakespeare. Il farnetico st anel divorare fino in fondo, in questi versi, la sua esperienza umana e scrittoria, il suo Dasein, quanto a dire il suo modo di essere uomo in rapporto con gli altri. » (236) ; « insistenza parossistica [della rima] » (235) ; « Il ricorso particolare a una forma estrema, e originale, di fonicità, mi pare autorizzi una conclusione critica di questo genere : che la poesia di Con testo a fronte vada pronunciata […] come una sorta di gestualità mandibolare. Intendo dire che vi si manifesta qualcosa che ha a che fare […] con una ginnastica orale » (236) ; « valore della paratassi e della sintassi, “rimpianto morale“, secondo Pasolini » (237). Pour la citation de Zinato, voir ID.,

Volponi, op. cit., p. 150 : « I critici che sostengono la sostanza intimamente contraddittoria e paradossale della “liricità“ della

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certes, « contre tout idéalisme80 » et contre la poésie symboliste, au sens large de poésie du

symbole privilégiant un espace qui « est un enclos sacré, un temple dont le je est le prêtre

officiant81 », mais pour autant elle ne balaie pas d’un revers de main la possibilité lyrique.

Toutefois, avant d’en arriver à cette conclusion, une archéologie de l’interprétation intermédiaire entre les deux dominantes s’impose.

Après LDPA et la consécration consécutive de Volponi comme poète, l’auteur décide de mettre en sourdine sa poésie, ou plutôt sa publication, pour se consacrer au roman. Au cours des vingt-six ans qui séparent LPDA de CTAFPP, Volponi ne publie que deux volumes de vers : FM, en 1974, et PP1980, en 1980. Le premier, nous l’avons déjà évoqué, passe presque inaperçu, du fait que le poète choisit une édition prestigieuse de ces cinq poèmes. Six ans plus tard, ces vers sont enfin rendus publics dans PP1980, que le poète fait paraître chez Einaudi. Comme son titre l’indique, ce volume contient aussi les trois premiers recueils volponiens, si bien que FM, auquel Volponi ajoute deux poèmes par rapport à l’édition de 1974, est reçu comme une prolongation de l’itinéraire commencé presque trente ans plus tôt.

Toutefois, quelque chose de nouveau apparaît dans le paysage critique grâce à ce volume de 1980. En premier lieu, c’est Zinato qui le remarque, la critique s’intéresse à nouveau aux débuts poétiques de Volponi. En second lieu, la plupart des interprètes proposent une lecture archéologique des quatre premiers recueils, bien que certains d’entre eux essaient

d’en « préciser l’autonomie », alors que d’autres y cherchent « les “sources“ des romans82 ».

En dernier lieu, et c’est à notre avis l’aspect le plus important à mettre en valeur, une nouvelle lecture moins partisane de la poésie volponienne apparaît dans le paysage critique. Une lecture que nous proposons d’appeler « syncrétique », étant donné qu’elle constitue une solution à mi-chemin entre les lignes « lyrique » et « anti-lyrique ».

80 BETTINI F. – CARLINO M. – MASTROPASQUA A. – MUZZIOLI F. – PATRIZI G., « La costellazione della scrittura materialistica », in AA.VV., Paolo Volponi e la scrittura materialistica, op. cit., p. 9 : « contro ogni idealismo […] riteniamo che la costruzione di una ipotesi alternativa non possa svolgersi, corroborarsi e proficuamente produrre che sotto il segno del materialismo. »

81 Ibidem, p. 23 : « Il simbolo è “privato“, il suo spazio d’elezione è un sacro recinto, un tempio con l’io nel ruolo di lirico officiante ».

82 ZINATO E., Volponi, op. cit., p. 122 : « Dopo un quindicennio in cui Volponi era divenuto largamente noto come narratore, i critici tentarono di precisare l’autonomia delle prime raccolte o, viceversa, di individuare nei versi giovanili le “fonti“ dei romanzi. »

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