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Un nouveau livre de poésie

2.7 1991-1994 : les derniers sursauts politiques

3 L’auto-organisation complexe

3.8 Contestation frontale : Con testo a fronte. Poesie e poemetti

3.8.1 Un nouveau livre de poésie

En effet, si la deuxième partie du titre réaffirme la volonté du poète de revendiquer la coexistence de lyrisme et réalisme dans sa poésie, ce qui confirme par ailleurs la ligne

interprétative syncrétique de sa poésie151, la première partie, elle, souligne le rapport que ces

poèmes entretiennent, d’une part, avec des extra-textes, et, d’autre part, avec le rôle même que le poète entend leur attribuer. Tout d’abord, la partie du titre Con testo a fronte renvoie

148 Nous empruntons la première citation à La costa incerta : « […] stampati eppure vivi » (Ibidem, p. 165). La deuxième et la troisième citation proviennent en revanche de La durata della nuvola : « […] giugno spigato del ‘45 » et « […] accumulazione capitalista » (Ibidem, p. 160).

149 LEOPARDI G., 7 Giugno 1820, in Zibaldone di pensieri, édition consultable en ligne à l’adresse suivante : http: / / www.letteraturaitaliana.net / pdf / Volume_8 / t226.pdf (consulté le 6 février 2017), p. 149 : « […] la nostra rigenerazione dipende da una, per così dire, ultrafilosofia, che conoscendo l’intiero e l’intimo delle cose, ci ravvicini alla natura. »

150 L’édition de référence pour CTAFPP (ce sera le cas aussi pour NSC) est celle des œuvres poétiques complètes, parue en 2001.

151 Voir infra, p. 33-39. En ce sens, c’est dommage que l’édition Zinato des poèmes de Volponi, parue en 2001, n’ait pas reproduit la deuxième partie du titre, Poesie e poemetti.

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ostensiblement à la formule italienne qui, dans le lexique éditorial, désigne les livres d’un auteur étranger dont on présente le texte de départ en regard de la traduction vers la langue cible. Toutefois, aucun texte à traduire n’est présent dans le livre, si bien qu’Emanuele Zinato a opportunément relevé que Con testo a fronte, qui pourrait sembler à première vue « une note servile », établit en réalité « une confrontation avec une textualité absente, à la

fois picturale, poétique ou romanesque152. » En s’appuyant sur une remarque de Guido

Santato, qui, dans un article consacré au langage de Volponi « entre poésie et roman », rappelle qu’avant d’opter pour Con testo a fronte. Poesie e poemetti, notre poète avait intitulé son livre I versi del romanzo ; en s’appuyant donc sur cette observation philologique de Santato, Emanuele Zinato voit dans la confrontation établie par ce nouveau livre une volonté de la part de Volponi d’« exhiber […] la face cachée de l’écriture », en ce sens qu’elle serait une forme de « coexistence et [de] conflit » entre formes différentes. Et Zinato d’ajouter que « Con testo a fronte et Le mosche del capitale constituent deux résultats parallèles d’un travail essentiellement unitaire », car, argumente-t-il, « [c]ertains poèmes [de CTAFPP] ont été transcrits partiellement ou intégralement en prose, comme c’est le cas de Insonnia

inverno 1971, que l’on retrouve dans le roman sans la partition en vers »153. Quoique tout à fait justes, ces observations de Zinato n’expliquent qu’en partie le rapport aux extra-textes qu’établit la première partie du titre. Plus précisément, Zinato n’indique explicitement que l’extra-texte romanesque, et même un seul, c’est-à-dire Le mosche del capitale. Or, la rédaction des poèmes de CTAFPP occupe – on le sait – un laps temporel qui va de 1967 à 1985, période pendant laquelle l’auteur œuvre à pas moins de quatre romans : Corporel, La planète irritable,

Le lanceur de javelot et, enfin, Le mosche del capitale. On peut donc étendre à trois autres romans

ce que Zinato affirme à propos de Le mosche del capitale.

Toutefois, les romans ne sont en aucun cas le seul extra-texte auquel renvoie le titre du livre de 1986. On peut en effet en dénombrer deux de plus, c’est-à-dire l’extra-texte industriel, soit son Ordre, et l’échec de l’expérience et du rêve volponiens, d’un côté, et, de l’autre, l’extra-texte du devenir, que le poète compare, dans maints poèmes du livre, à une sorte de majestueuse écriture pérenne. À la lumière de cette interprétation du devenir, l’Ordre est soumis à une critique plus radicale que dans FM, si bien que l’homophonie cèle

152 Pour toutes les citations de Zinato, voir ZINATO E., Introduzione, in PO2001, p. XXI : « Sotto le sembianze di una nota servile, il titolo allude al confronto con una testualità assente, pittorica, poetica o romanzesca. » Pour l’article de Santato sur lequel s’appuye Zinato, cf. SANTATO G., « Il linguaggio di Volponi tra poesia e romanzo », op. cit., p. 29.

153 Voir ibidem, : « […] si vuole esibire, dunque, la faccia nascosta della scrittura, come coesistenza e conflitto » ; « Con testo

a fronte e Le mosche del capitale costituiscono due esiti paralleli di un lavoro sostanzialmente unitario. Alcuni poemetti

vengono trascritti parzialmente o totalmente in prosa, come nel caso di Insonnia inverno 1971, ripreso nel romanzo senza le scansioni dei versi, alle pp. 29-33. » (note n°31)

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une troisième lecture possible de la première partie du titre : Je conteste frontalement154. Une

lecture par ailleurs confirmée par la caution pasolinienne que Volponi s’attribue dans

Pasolini da cinque anni è morto : « “Cher Pier Paolo, je n’ai pas encore toute la plénitude / de

ton manque, même si je cherche… mais je n’arrive à tâter / que des fissures de désastres,

d’une sale forteresse / tout autour… […]“155. » Du fait de sa relation avec plusieurs

extra-textes, CTAFPP est donc un livre de poésie à part entière, d’après la définition justement « relationnelle » de Niccolò Scaffai que nous avons introduite pour PP1980. En effet, trois des quatre figures fondamentales de la rhétorique de l’organisation de Scaffai sont bien présentes dans le livre de 1986.

Tout comme le livre de 1980, CTAFPP va à contre-courant d’une époque où la notion d’auteur est vue d’un mauvais œil. Ce n’est pas tout : à la fin des années 1970, afin de contrer la domination de la Nouvelle Avant-garde, on clame haut et fort un retour à la lyrique du

je poétique conçu comme interprète tout-puissant d’une Vérité donnée et comme détenteur

d’une « parole enamourée ». C’est dans ce cadre que Volponi publie un livre qui, dès le titre,

essaie de conjuguer le dedans et le dehors, la lyrique et la contestation156. Quant aux

nombreux allers et retours entre CTAFPP et les quatre romans que nous avons évoqués, leur rapport d’inclusion plus ou moins directe justifie l’emploi de notre part de la figure rhétorico-organisationnelle de la synecdoque. Alors que le livre de 1980 présentait une synecdoque totalisante par rapport à l’extra-texte éditorial de l’auteur, étant donné que les recueils précédemment publiés y devenaient des sections, dans CTAFPP, la synecdoque est de nature partiellisante, dans la mesure où les poèmes qui ont clairement un rapport d’inclusion avec les romans, comme par exemple Insonnia inverno 1971 et Petra Pertusa e

mista (Petra pertusa et mixte) avec Le mosche del capitale, n’ont pas connu de publication

autonome. De même que dans PP1980, enfin, la synecdoque souligne une fois de plus la thématique non sublime du livre de Volponi, ainsi que son goût pour une poésie hétéronome. Pour finir, les deux extra-textes restants, l’Ordre industriel et le devenir

154 Toute ma gratitude va à Caterina Volponi, la fille du poète, qui, lors d’un entretien en marge du colloque international dédié à son père (Volponi estremo, Urbino, 29-31 octobre 2015), me suggéra la possibilité de cette lecture du titre de CTAFPP. Par ailleurs, les actes du colloque en question ont été publiés in AA.VV., Volponi estremo, Ritrovato S. – Toracca T. – Alessandroni E. (éds.), Pesaro, Metauro Edizioni, 2015.

155 PO2001, p. 344 : « “Caro Pier Paolo ancora non ho tutta la pienezza / della tua mancanza, anche se cerco… ma solo crepe / arrivo a tastare di disastri, di una lurida fortezza / tutt’intorno… ».

156 La parola innamorata. I poeti nuovi 1976-1978 est le titre d’une anthologie qui parut chez Feltrinelli en 1978, sous la direction des poètes Giancarlo Pontiggia et Enzo Di Mauro (on peut lire l’introduction des deux éditeurs à l’adresse suivante : http: / / ellisse.altervista.org / index.php? / archives / 343-La-parola-innamorata.html, page consultée la dernière fois le 19 janvier 2017). Pour le rapport entre le dedans et le dehors, voir infra, p. 33-39.

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universel, entretiennent un rapport d’intersection, c’est-à-dire métaphorique, avec CTAFPP. Mais contrairement à PP1980, l’absence dans le livre de 1986 de tout dessin narratif manifeste, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en a pas un, synthétise parfaitement les deux extra-textes en question, la disposition en apparence chaotique des extra-textes reflétant le mouvement pérenne des choses, qui ne suit aucun dessin, aucune détermination, en bref, aucun Ordre. En effet, bien qu’il ne soit pas mis en évidence par un découpage des textes en sections, le dessin narratif de CTAFPP est bel et bien présent. En particulier, c’est le critère métaphorique qui nous permet de le déceler, comme ce fut le cas pour le livre précédent. L’unité thématique et idéologique du nouveau livre résulte en effet des métaphores complexes que sont l’analyse de l’Ordre capitaliste ainsi que l’affirmation du devenir, qui, d’après le poète, régit la totalité des choses. Puisqu’il s’agit des mêmes métaphores qui sous-tendaient le livre précédent, nous pouvons émettre l’hypothèse que, si le temps lui en avait donné la possibilité, Volponi aurait sans doute procédé à une intégration de CTAFPP dans le macro-texte publié en 1980. Par ailleurs, si l’on ajoute à ceci la pensée de la complexité telle qu’elle a été étudiée par Edgar Morin, on peut affirmer que ce nouveau livre de poésie est à son tour une tentative d’auto-organisation face à l’Ordre. Cette auto-organisation passe avant tout par une analyse encore plus profonde de l’Ordre et notamment de la mutation qu’il a fait subir à la totalité des choses.