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2.7 1991-1994 : les derniers sursauts politiques

3 L’auto-organisation complexe

3.8 Contestation frontale : Con testo a fronte. Poesie e poemetti

3.8.2 La mutation globale

La première des deux métaphores complexes qui sont prépondérantes dans CTAFPP est celle qui dénonce la mutation que l’Ordre capitaliste a fait subir à la réalité humaine, sociale, naturelle, etc. Cette dénonciation est beaucoup plus acérée que dans FM, ce qui ne saurait nous surprendre, dès lors que la déception du dirigeant Volponi ne pouvait que croître au fur et à mesure que le volet industriel de l’Ordre lui montrait son vrai visage. La mutation concerne tout, depuis le paysage jusqu’aux hommes, y compris le je.

En premier lieu, c’est le paysage qui montre les conséquences de la totalisation imposée par l’Ordre. La lune devient ainsi une véritable « machine », une « pâle faucheu[se] » à la « faux irrésistible », ou encore une « cimeterre ». Sa couleur est « à la fois naturelle et artificielle ». Cette machine peut plier à ses volontés d’autres éléments du paysage : c’est par exemple le cas dans A mente (Par cœur), où le je poétique nous dit que l’« immense pleine

lune » parvient à « replie[r] » la nuit « sans un geste, par cœur »157. De la sorte, la nuit devient

157 Voir PO2001 : « […] la macchina della luna » (Vista sull’anno parallelo, p. 368) ; « […] pallido falciatore » et « […] sotto la irrestibile / falce fenara » (La luna piena, p. 196 et 198) ; « […] la luna scimitarra » (Indigetes et volumnus, pecunio, p. 226) ;

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à son tour une machine de l’Ordre : son ciel est « sale », l’obscurité dont elle est un synonyme envahit le paysage entier (« l’obscurité est montée / des fossés au tendre / vert de toute arête / escarpée »), elle « efface / ces corps et ces oiseaux et leur semblable / manière de se poser, se réunir et se colorer / de vie ». La nuit transmet ses effets néfastes à l’homme : « La nuit est le plein de toute l’inconscience / instinctive, calculée, accumulée… / la nuit est la continuation industrielle / de soi […] La nuit est la mère d’un œdipe ». La nuit peut toujours muter en prenant par exemple « un aspec[t] lacustr[e] », sans pour autant perdre son

caractère artificiel : « [...] l’eau du lac est imaginaire […] chimiquement mutée »158. La neige

est un autre élément naturel choisi par Volponi pour signifier la force totalisante de l’Ordre, comme c’était déjà le cas dans La durata della nuvola de FM. « [M]utée », « antique, / où n’arrive toujours pas de son », la neige et ses couches couvrent le paysage, se meuvent « contre tout ce qu’on doit / aux rayons gamma, à l’île Cythère », contre cette « pensée / fébrile qui ne trouve pas à boire » qu’est le devenir perpétuel de toute la matière, désormais

« infect[ée] » et « lézardée »159. L’effet enveloppant de la nuit et de la neige, d’une part, et,

d’autre part, les interactions entre la Lune et la Terre, sont donc choisis par Volponi pour signifier la force totalisante du naturel infecté. En somme, le paysage est « malsain »,

« artificiel et impraticable »160.

Les êtres qui habitent ce paysage sont à leur tour contaminés, étant donné que « [l]a contamination économique, électronique et artificielle du monde biochimique, animal et

naturel, constitue le fondement de toute corporéité présente161 » dans CTAFPP. Pour ce qui

est des animaux, ce sont notamment les oiseaux, une présence constante dans la poésie de

« […] un’impossibile tinta, / sia naturale che artificiale » (Di un piccolo colore mai visto, p. 195) ; « […] l’immenso plenilunio » et « Grande / è la sua notte / e folta la stende / sotto di sé e la ripiega / senza un gesto, a mente » (A mente, p. 228).

158 Ibidem : « Il lordo cielo serale » (La viola, p. 200) ; « […] è asceso / il buio dai fossi al tenero / verde di ogni scosceso / crinale » (Il vento si è disteso, p. 214) ; « [la notte] cancella / quei corpi e quegli uccelli e il simile / modo di posare, riunire e colorarsi / di vita, pulita e vibrante », et « La notte è il pieno di tutta l’incoscienza / istintiva, calcolata, accumulata… / la notte è industriale continuazione / di sé […] La notte è madre di un edipo » (Cattura, p. 331) ; « La notte prende aspetti lacustri », et « […] l’acqua del lago è immaginaria […] chimicamente mutata » (Indigetes et volumnus, pecunio, p. 225 et p. 223).

159 La première et la dernière citation à propos de la neige proviennent du poème La neve : « [La neve è] mutata », et « […] per contagiare l’anima indagata / della stessa materia crepata » (Ibidem, p. 359) ; « […] un’antica neve / ove continua a non giungere suono » (Pagina bianca, p. 212) ; « […] accanto al paesaggio la rimata neve / è contro tutto ciò che si deve / ai raggi gamma, alle citere » (Ancora verso Roma, p. 231) ; « […] la neve / posa sopra un pensiero / febbrile che non trova da bere » (Come perso, p. 286).

160 Ibidem : « […] resta un paesaggio insano » (Ancora verso Roma, p. 233) ; « [il paesaggio] ogni volta riappare / artificiale e impraticabile » (Come perso, p. 290).

161 ZINATO E., Introduzione, in PO2001, p. XXI : « La contaminazione economica, elettronica e artificiale del mondo biochimico, animale e naturale, costituisce il fondamento di ogni corporeità presente nei poemetti. »

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Volponi, qui montrent les signes de la mutation. S’ils étaient encore réels aux yeux du lettré

du XVIe siècle Costanzo Felici da Piobbico, dont Volponi rapporte une lettre qui en liste de

nombreuses espèces, ils ne le sont plus de nos jours162. Leur mutation passe d’abord par une

arnaque : Volponi reprend en effet une anecdote racontée par Pline l’Ancien dans son

Histoire naturelle, selon laquelle des oiseaux se précipitèrent vers le « raisin dépeint » par le

peintre Zeuxis, car ils le croyaient réel, si bien qu’une fois qu’ils eurent découvert la

supercherie, « ils s’envolèrent agacés et coléreux »163. La voie vers leur mutation est ouverte.

Les oiseaux deviennent ainsi des machines artificielles : cela concerne en particulier l’oiseau de Il pomeriggio di un dirigente. Dans cette reprise d’un poème du poète américain Wallace Stevens intitulé Thirteen ways of looking at a blackbird (Treize façons de regarder un merle), Volponi met en évidence le bouleversement que l’Ordre capitaliste a fait subir au rapport

entre le vrai et le faux164. En effet, le je poétique, qui est celui d’un « dirigeant-poète »,

comprend que « [s]a neige est fausse, / tout comme [s]a plante », car la neige et la plante naturelles n’existent plus, alors que ce qui est « vrai », c’est-à-dire réel, c’est le merle. Ce merle n’est pourtant pas naturel, mais artificiel :

[…] In questa falsa cultura del perenne vespero che come vera millanta e spergiura, impone : the black-bird è il nome di un presidente seated

non in the cedar-limbs ma

in the branch-veins cattedra e nembo.

[…] Dans cette fausse culture du vêpre pérenne,

qui vante et qui parjure,

qui impose, comme si elle était vraie : the black-bird est le nom

d’un président seated,

non pas in the cedar-limbs, mais

in the branch-veins, chaire et nimbus165. (PO2001, p. 208-209)

De même que dans Canzonetta con rime e rimorsi, le poème qui clôturait FM, Volponi attribue ici un caractère religieux, voire vétérotestamentaire au représentant de l’Ordre. L’« oiseau noir »/ « président » est en effet un « nimbus » qu’on peut imaginer en train de pontifier

162 Pour le texte de Costanzo Felici repris par Volponi, voir PO2001, p. 304-306.

163 Ibidem : « Gli uccelli furono ingannati / dall’uva dipinta di Zeusi », et « […] sfuggirono storti e irati » (Gli uccelli furono

ingannati, p. 338).

164 Pour le texte de Stevens, cf. ID., Harmonium, trad. de Malroux C., Paris, José Corti, 2002, p. 226-231.

165 Voici les originaux des citations précédentes tirées du même poème : « Così scrisse di un pomeriggio / che egli era vespero intero / un dirigente poeta », et « […] finta è la mia neve / quale la mia pianta » (Ibidem, p. 208).

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depuis sa « chaire », située non pas sur un arbre mais sur un filon d’or ramifié (« in the branch-veins »). Par ailleurs, cet « oiseau noir » aux traits humains a son cortège d’être ailés,

ces moineaux de Detto dei passeri que nous avons évoqués dans notre partie biographique166.

Ancêtres des « mouches du capital » du roman homonyme, ces « chefs ailés à la solde, / [ces] carriéristes durs et impitoyables » incarnent désormais les courtisans au service de

« l’aigle […], l’entrepreneur, le président, le chef »167. Ce groupe humain formé par le

capitaine d’industrie et sa cour est très fréquent dans CTAFPP, tout comme le symbolisme religieux qui le définit.

Si le symbolisme religieux est notamment de nature vétérotestamentaire, il ne néglige pas pour autant l’univers païen. En effet, dans Indigetes et volumnus, pecunio, Volponi nous présente une statue « sacrée de dirigeant », qui est unie à la base, c’est-à-dire au paysage naturel comme humain, en cette « époque impériale » qu’est la nôtre :

[…] La mano gonfia regge o indica ? o chiede ? La testa voluminosa bozzuta a destra

dai capelli in matassa e grandi orecchie ; il viso conserva traccia

di lineamenti indecisi e di frequente scossi dall’emozione e da parecchie finzioni…

caricaturali occhi a bulbo naso deviato e gonfio bocca resa da una sola incisione orizzontale al di sopra della parola. […]

Ambíto ed alto Mercurio erette le alette del Pegaso assai sviluppato il caduceo leggera e sciolta la fitta clamide ben composta sui fianchi e sulla schiena dove scorre il ricordo che intride la vecchia ponderazione policletea : stringatamente plastico il torso nell’atto di protendere la borsa : andrebbe bene a Foro Buonaparte a Mediobanca Iri-Eni-Rai in corsa

[…] La main gonflée maintient-elle ou indique-t-elle ? Ou [demande-t-elle ?

La tête volumineuse avec une bosse à droite, aux cheveux en écheveau et aux grandes oreilles ; le visage conserve une trace

de traits vagues et souvent

secoués par l’émotion et de nombreuses fictions…

des yeux ridicules en forme de globes le nez dévié et gonflé,

la bouche rendue par une seule gravure horizontale

au-dessus de la parole. […]

Mercure grand et convoité, Pegasus aux petites ailes érigées, le caducée bien développé, la dense chlamyde légère et souple, bien ordonnée sur les flancs et sur le dos, où court le souvenir qu’imprègne la vieille pondération de Polyclète : succinctement plastique le torse dans l’acte de tendre la bourse : ça irait très bien à Foro Bonaparte, à Mediobanca, Iri-Eni-Rai, à pas de course

166 Voir infra, p. 101.

167 Voir ibidem : « […] alati capi prezzolati / e duri spietati carrieristi », et « […] aquila è nel linguaggio industriale / l’imprenditore il presidente il capo » (Detto dei passeri, p. 315 et 316).

186 verso tutti i grandi palazzi a vetri ;

tra la nudità levigata

e le abbondanti pieghe del mantello stretto sulla spalla da fibula dorata batte vibrante un’accentuata curva chiaro-scurale… come voltata verso il piano, l’emergenza, la chiamata.

vers tous les grands palais en verre. Entre la nudité polie

et les plis abondants du manteau serré à l’épaule par une fibule dorée, une courbe accentuée en clair-obscur bat et vibre… comme orientée vers le plan, l’urgence, l’appel. (PO2001, p. 217-218)

Figuration du dieu de l’Ordre, cette statue a même ses lieux de culte, qui se situent là où les centres du pouvoir capitaliste ont leur siège. Dieu de la fiction, il est en outre glorifié par des figurants secondaires, ces « poupons et putti […], [c]es demi-dieux courroucés, /

subalternes et infantiles, / sans aucun véritable organisme ni rôle »168. En fin connaisseur de

la réalité industrielle, Volponi détaille ailleurs les rapports existants entre le monarque et ses souteneurs. Pour ce faire, notre poète choisit encore la voie de la figuration artistique : dans Territorio e figura (Territoire et figure), en effet, le groupe constitué par le président/dieu de la fiction et sa théorie d’angelots est fixé en « [une] aile, [un] retable, [une] flèche, [un] petit trône », à l’intérieur desquels chaque « élèv[e] fidèl[e] / sans / le moindre tremblement ou pli » est éclairé par « la lumière de la carrière et de la faveur ». Fort de cette adulation, le président fait plusieurs choses :

[…] il dirigente

[…] in flanella doppio petto ascolta acconsente sale su una valigetta di pelle scende

da una scaletta Twa e sempre acconsente monta su un transfert annota sente codifica programma riferisce acconsente congiunge e misura astrazioni quadri patti interpreta relazioni politiche contratti, isola interrompe trasferisce e acconsente la sicurezza sociale spiega e ripiega e intanto senza una piega

transetto paliotto lunetta dossale tutto pesa e non nega

al tradimento e alla cattura insiste e si ripete, figura per figura.

[…] le dirigeant

[…] en veste croisée en flanelle écoute et consent, monte sur une mallette en cuir, descend

d’une passerelle Twa et consent toujours, il monte sur une machine-transfert, annote, sent, codifie, programme, rapporte, consent,

il conjugue et mesure des abstractions, des tableaux, des [pactes,

il interprète des relations politiques et des contrats, il isole, interrompt, transfère et consent,

il explique et réexplique la sécurité sociale, et dans le même temps, sans faire un pli, transept, antependium, lunette, retable, il pèse tout et il ne nie rien

à la trahison et à la capture,

168 Pour toutes les citations provenantes de Indigetes et volumnus, pecunio, hormis la plus longue, voici les originaux : « […] descrizione […] di figura dirigenziale e sacrale » ; « […] in epoca imperiale come questa » ; « […] siedono come bambocci e putti / in ruoli secondari i corrucciati / subalterni infantili semidei / privi di veri organi e ruoli » (Ibidem, p. 217).

187 il insiste et se répète figure après figure169.

(PO2001, p. 324-325)

En réalité, les multiples actions du président adulé se résument à une seule : consentir à l’Ordre et à sa force de totalisation, capable de tout capturer et infecter. En d’autres termes, qu’on puise dans le fondamental Un ordine industriale (Un ordre industriel), le président n’est

qu’un « ordre d’un ordre170 ». C’est d’ailleurs dans ce poème que la force allégorique de

Volponi au sujet du groupe président/angelots atteint son comble, d’autant qu’elle frappe de plein fouet une certaine idée de l’art. Voici la description du président :

[…] l’infante perenne, il sacro fasciato tiranno attento pronto dentro l’aureo panno

della sua ammantata babilonaggine : la mattina celeste, notte di lapislazzulo, sole nell’ocra pregna dell’oro,

rossa nel bolognese sanguinoso smalto. Sempre babilonaggine esaltata e offerta il perenne infante di Cimabue e di Giotto, Martini, i Lorenzetti, […]

di tutti i grandi maestri del colore della soc. f.lli Fabbri Editore sempre lo stesso infante in ogni secolo passato o recente, al medesimo posto, l’istesso infante cui sempre genuflesso luminoso circonfuso benedicente trasmesso a puntate dall’ente televisivo di stato,

l’istesso che non vede e non sente l’infante istituito rivelato e statuato, il perenne infante presidente che beve latte, si scalda e si monda senza vederti né sentirti e la sua onda allontana da te ogni vivente.

[…] l’enfant pérenne, le sacré tyran dans ses langes, attentif, prêt dans le tissu doré

de la babylonéité qui le recouvre : le matin céleste, une nuit de lapis-lazuli, le soleil dans l’ocre imprégnée d’or, rouge dans le sanglant émail bolonais.

Toujours la même babylonéité exaltée et offerte, l’enfant pérenne de Cimabue et de Giotto, de Martini, des Lorenzetti, […]

de tous les grands maîtres de la couleur de la société d’édition Fabbri,

toujours le même enfant

dans les siècles révolus ou récents, à la même place, le même

enfant devant lequel toujours à genoux, lumineux, auréolé, bénissant,

transmis par épisodes par le service de l’audiovisuel d’État,

le même enfant qui ne voit et ne sent pas, l’enfant institué, révélé, mis sur pied, le pérenne enfant président

qui boit du lait, se réchauffe et se monde, sans te voir ni te sentir et son onde éloigne tout vivant de toi. (PO2001, p. 283-284)

169 Pour toutes les citations provenantes de Territorio e figura, hormis la plus longue, voici les originaux : « […] ala pala cuspide tronetto » ; « alunni fedeli senza / alcun tremore e piega » ; « […] la luce della carriera e del favore è vincente » (Ibidem, p. 324).

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En puisant cette fois-ci dans l’iconographie néotestamentaire, Volponi décrit ici un sujet classique dans l’histoire de la peinture, la Vierge à l’Enfant, pour en décortiquer la réelle signification. Élément de langage de l’Ordre, cet « enfant pérenne » partage sa nature divine avec le « président », c’est-à-dire le nouvel avatar de la « stratification divine » qui emprisonne le réel. Cela sert à l’Ordre pour faire de son emprise (sa « babylonéité ») sur Babylone (le consortium humain, le réel, etc.) un dogme irréfutable. À ce tableau appartiennent également les autres êtres humains, que Volponi dépeint en victimes.

S’ils étaient déjà sous la coupe de l’Ordre dans le livre précédent, dans CTAFPP, Volponi s’attarde davantage sur leur condition. En particulier, c’est au prisme de l’industrie qu’il les analyse en les classant en deux sous-catégories distinctes : le monde ouvrier, d’un côté, et, de l’autre, les cols blancs. Victimes par excellence, l’ouvrier et l’ouvrière figurent dans plusieurs poèmes du nouveau livre. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est la place que Volponi consacre aux ouvrières. Doublement victimes, car non seulement contraintes au travail éreintant de l’usine, mais aussi plus sujettes que les hommes à la jauge de l’Ordre industriel :

[…] Il lavoro alle presse mansione del tutto femminile. Mette a prova la calma, la pazienza ; esige

concentrazione e costanza per il ritmo che vige. È possibile riuscire solo se si è in buona

salute e resistenza ; sono impegnati e coordinati occhi mani piedi : alle presse grosse

il pedale è pesante, ci si sporca, c’è rumore. Se si è affaticate da oneri casalinghi se si è in salute precaria o soggette a ciclici disturbi debilitanti, la riuscita è compromessa. I temperamenti guardinghi e flemmatici si trovano a disagio.

La statura idonea sta entro certi limiti : in specie le braccia devono essere lunghe. Ci vuole buona vista. La mano leggera

sensibile e veloce, scarna ma non trista la faccia tra i ricci e i belletti. Le mancine

sono controindicate. Al rumore ci si abitua. Il senso del pericolo è attenuato dall’abitudine e anche dalla forza e seduzione dei capi. Per sentirsi abbastanza padrone del lavoro impiegano di massima quattro cinque mesi. Gli operatori ripetono le stesse cose e intanto tastano sotto i grembiuli.

Secondo le allenatrici le operaie che non riescono pur impegnate e volenterose difettano

[…] Le travail aux presses, fonction tout à fait féminine. Elle met à l’épreuve le calme, la patience ; elle exige concentration et constance par le rythme en vigueur. On ne peut réussir que si l’on est en bonne

santé et résistante ; on utilise en même temps les yeux, les mains et les pieds : aux grandes presses la pédale est lourde, on se salit, c’est bruyant. Si on est fatiguée à cause des travaux domestiques, si on a une santé précaire ou qu’on est sujette à des malaises cycliques débilitants, la réussite est compromise. Les tempéraments circonspects et flegmatiques ne se sentent pas à l’aise. La taille idoine ne dépasse pas certaines limites : les bras doivent notamment être longs.

La vue doit être bonne. La main, légère,

sensible et rapide, le visage, décharné mais non triste entre les boucles et le fard. Les gauchères

sont contre-indiquées. Au bruit, on s’y habitue. Le sentiment de danger est atténué par l’habitude, ainsi que par la force et la séduction des chefs. Pour maîtriser le travail,

il leur faut maximum quatre ou cinq mois. Les opérateurs répètent les mêmes choses en tâtant sous les blouses.

Selon les formatrices, les ouvrières qui ne réussissent pas, même si appliquées et volontaires, manquent

189 di robustezza e di sveltezza di mano. de robustesse et de rapidité manuelle.

(PO2001, p. 257-258)

Destinées à des tâches particulières en vertu de leur conformation physique et prétendument psychologique, les femmes vivent un véritable enfer. Non seulement elles doivent avoir les qualités techniques et humaines pour supporter le calvaire du travail à la chaîne, sur la base duquel elles sont sélectionnées comme s’il s’agissait de bétail, mais elles doivent également subir les violences des opérateurs, ainsi que la rigidité de ces véritables

kapos que sont leurs formatrices171. Certes, la déshumanisation frappe tous les ouvriers,

comme on peut le voir dans La deviazione operaia (La déviation ouvrière), un poème consacré au jargon du management industriel, qui fait des ouvriers un simple facteur de production,

« valeur / pérenne, flux »172. Ceci étant dit, la réification de l’ouvrière concerne aussi sa

sexualité, qui est accaparée par l’Ordre.

C’est d’ailleurs la sexualité qui règle aussi le rapport entre les employées et l’enfant président. Présence « olfactive, / ophtalmique, acoustique, tactique et même gustative / […] si proche, si trépidante, comestible », l’employée partage avec l’ouvrière son statut d’objet à la fois de travail et sexuel. Mais à la différence de son homologue, cette « sténodactylographe / porteuse de beauté, de soif, de rêves et de toute chimique / coquetterie » est si infectée par la mutation qu’elle projette de profiter de sa réification : « Une séquence mnémonique / de conquête et d’ascension divine / l’éclaire déjà : couverture, jet set, suprématie / mondaine, cohabitation mondiale et morganatique / avec le roi de l’auto, de la chimie, de l’informatique. » Voici en somme le sujet typique de la « majorité silencieuse », ces « quarante mille liés aux patrons », qui, le 14 octobre 1980